Les saintes femmes au tombeau. William-Adolphe Bouguereau, 1890. Huile sur toile. Collection particulière, États-Unis (Wikipedia).

Don de Dieu, tombeaux ouverts !

Alain FaucherAlain Faucher | Dimanche de Pâques (A) – 23 mars 2008

Le tombeau vide : Matthieu 28, 1-10
Autres lectures : Ézéchiel 36, 16-17a.18-28; Psaume 41(42); Romains 6, 3b-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Pâques fait partie de la liste des fêtes que nous prenons trop facilement pour acquises. Nous croyons tout savoir du message biblique qui y est rattaché. La nouveauté introduite au cœur de notre humanité par le don de la Résurrection du Fils de Dieu semble banale, car elle n’étonne plus la conscience chrétienne.

Attention cependant ! La place centrale de ce jour de fête dans l’année chrétienne est moins perceptible qu’autrefois pour la plupart des baptisés. Ce brouillage est causé par des gens à l’agenda différent du nôtre : ils ont décidé d’en tirer profit. Comme c’est souvent le cas pour Noël, les médias s’emploient à prouver que cette fête n’a rien de religieux. Excellente stratégie pour détourner l’attention de l’essentiel et intéresser le plus grand nombre à consommer les produits des commanditaires! Chez les chrétiens bousculés par la vie de famille et de travail, ce discours engourdit le réflexe de curiosité qui devrait nous animer lorsque la Parole est proclamée au matin de la fête.

Alors, munissons-nous d’un antidote contre l’impression de déjà vu qui nuit à notre écoute de l’évangile rattaché au dimanche des dimanches! Nous observerons d’abord l’activité des personnages mis en scène dans l’évangile. Des détails de leur interaction, nous pourrons en tirer quelques questions fascinantes pour notre quotidien. La fête de Pâques jouera alors pleinement son rôle dans notre vie : illuminer les multiples circonstances où se déverse la générosité de Dieu à notre égard.

Des détails qui font la différence

Marie-Madeleine et l’autre Marie étaient convaincues de la mort de Jésus, puisqu’elles visitent un tombeau bien identifié. Elles ne vivent pas sur l’illusion que Jésus serait simplement inconscient ou caché en attendant de revenir sur scène. Pour elles, Jésus est bel et bien un mort. Sa nouvelle adresse est un tombeau. Affaire classée, qui appelle un comportement de personnes en deuil.

Mais surprise : un tremblement de terre, et un grand, vient perturber la tranquillité de leur marche nocturne. Un tremblement de terre, dans un texte biblique, n’est pas seulement un incident géologique. C’est un élément de langage qui affirme à quel point les événements qui y sont associés concernent tout l’univers créé. Dit dans nos mots : « Nous voici dans les ligues majeures! »

À la manière des grands récits de rencontre avec Dieu dans le Premier Testament, l’Ange du Seigneur en personne se déplace depuis la maison de Dieu (le ciel) jusqu’à la lourde pierre du tombeau. Il la roule pour s’en faire un siège. Revêtu de la luminosité d’un éclair et de la blancheur de la neige, ce personnage est porteur des signes normaux pour un personnage rattaché à la divinité. Encore une fois, nous assistons à une rencontre au sommet : Dieu s’est invité et va parler pour gérer la situation. Peu étonnant que les gardes prennent l’aspect de cadavres ! Ils perdaient leur temps à garder une sépulture, et les voilà relégués au rang de celui qu’ils pensaient garder. Belle ironie ! Devant celui qui contrôle la mort et la vie, ces pauvres gardes sont dépassés par les événements.

L’Ange du Seigneur véhicule un message très dense. Il évacue la crainte. Il donne la clef de l’absence de Jésus : il est ressuscité comme il l’avait lui-même dit. Il faut désormais changer d’espace. Les disciples sont invités à se rendre dans la région dont les gens de Jérusalem se méfiaient le plus : la Galilée. C’est là que le Ressuscité se laissera voir.

Les deux femmes passent aussitôt à l’action : elles quittent le tombeau, tremblantes et joyeuses. Elles courent porter la nouvelle aux disciples. Jésus lui-même vient alors à leur rencontre et les salue. Les femmes le reconnaissent comme un être divin : elles lui prennent les pieds et se prosternent devant lui. Jésus redit l’essentiel des propos de l’Ange : il ne faut pas craindre; il faut annoncer aux frères que la Galilée est le prochain lieu de contact visuel.

Dans l’Ancien Testament, il ne pouvait être question de voir Dieu, tant sa grandeur et son éclat risquaient de tuer le croyant soumis à pareille expérience. Dans l’évangile de Pâques, il est fascinant de constater que Jésus est honoré comme un personnage divin. En effet, il a le pouvoir de confirmer les propos du messager de Dieu en répétant que la Galilée sera le lieu où il se laissera voir aux disciples.

Des détails qui changent notre vie

De tels propos nous propulsent comme lecteurs et auditeurs à un niveau jamais espéré. Nous sommes invités à vivre désormais la plongée dans la vie avec Jésus, commencée lors de notre baptême, avec l’intensité ressentie par les deux femmes et les disciples de Jésus.

Quand avons-nous senti le séisme de la présence du Ressuscité ? Question fondamentale s’il en est une ! En théorie, chaque personne baptisée a vu au moins un moment de sa vie complètement bouleversé par la sensation claire et nette d’une brèche définitive dans tout ce qui conduit à la mort. C’est l’expérience de base qui justifie la demande d’être baptisé : savoir qu’en plongeant dans une situation de mort avec Jésus, la vie aura le dernier mot. Sentir que ce retournement de situation n’est pas dû à nos seules forces, mais qu’il est un don transmis par amour divin.

Pâques est l’occasion de célébrer cette brèche radicale dans la mort. Nous voilà loin du gentil réveil de la nature, du glouglou des ruisseaux qui s’affranchissent de leur chape de glace et du retour des petits oiseaux. L’évangile de Pâques nous parle de rupture, d’un après totalement différent de l’avant. Il y avait un cadavre au tombeau. Il y a désormais un vivant qui rencontre et qui invite à aller plus loin grâce à lui. Pâques ne célèbre pas l’éternel retour des choses, mais plutôt la nouveauté du perpétuel élan vers l’ailleurs et le meilleur.

Pâques nous aspire au-delà des apparences de la routine et du déjà vu. Célébrer la Résurrection révèle le vide de certaines situations. Quelles zones de notre existence pouvons-nous considérer comme un tombeau désormais risible, parce que vidé de ses cadavres ? Quels espaces jusque là inexplorés pouvons-nous envisager comme nôtres ?

La Résurrection réoriente notre marche. Où nous mèneront ses propositions de vie ? Et quel est notre enthousiasme à nous mettre en route sur ces chemins neufs? Sommes-nous lents à démarrer ? Ou sommes-nous remplis d’une énergie nouvelle pour annoncer à notre tour que la mort n’a pas eu le dernier mot ce jour-là... et pour toujours ?

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2136. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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