Êtes-vous
heureux ?
Le sermon sur la montagne : introduction : Matthieu
5, 1-12a
Autres lectures : Sophonie
2, 3; 3,
12-13; Psaume
145(146); 1
Corinthiens 1, 26-31
Il nexiste peut-être
pas de texte évangélique plus difficile à commenter
que les Béatitudes. Au sujet de ce texte célèbre,
la bibliographie est immense; on a écrit tout et son contraire.
Il
gravit la montagne... (v. 1).
À quel auditoire Jésus sadresse-t-il?
Qui sont les disciples qui sapprochèrent (v.
1)? Le verbe employé pour décrire le mouvement des
foules : des foules nombreuses le suivaient, est caractéristique
du disciple qui suit son maître. Dans lévangile
de Matthieu, il arrive souvent que des foules nombreuses suivent
Jésus (voir, par exemple : Matthieu
8,1; 14,13;
19,
2; 20,
29; 21,
9). On nest pas alors en présence dun groupe
indistinct mais du cercle élargi des sympathisants. Cest
déjà lÉglise qui se met en marche à
la suite de son Maître.
Sur la montagne du Sinaï Moïse était
monté seul (cf. Exode
24,12-18); Jésus gravit la montagne avec ses disciples
et là, il sassoit (v. 1). Il ne prend pas lattitude
de lorateur qui harangue une foule mais celle du professeur
qui instruit ses élèves. À lÉglise
naissante, Jésus va donner ses premières instructions.
Heureux
!
Jésus ne crée pas la forme littéraire
des béatitudes; celle-ci existe dans lAncien Testament
(voir, par exemple Psaume
1, 1) et dans la littérature extra biblique, aussi bien
grecque que juive. La béatitude se distingue de la bénédiction.
Cette dernière est une formule efficace qui produit ce quelle
exprime (voir, par exemple : Genèse
27, 27-29) alors que la béatitude est plutôt le
constat dune situation. En cela elle se distingue aussi du
souhait; dire heureux les pauvres de cur (v. 3) est
beaucoup plus fort que dire : « je souhaite que les pauvres
puissent être heureux ». En somme on pourrait dire que
la forme des béatitudes se rapproche de celles des félicitations
(ce mot vient dailleurs du latin felix : heureux, presque
synonyme de beatus, doù provient le français
béatitude). À quelles conditions peut-on accéder
à ce bonheur?
Les béatitudes se répartissent
en trois groupes (vv.
3 à 6, vv.
7 à 10 et vv.
11-12).
Les béatitudes du premier groupe expriment
des situations de privation : les pauvres de cur (v.
3), les doux (v.
4) cest-à-dire ceux qui renoncent à lusage
de la violence pour se défendre et faire valoir leurs droits,
ceux qui pleurent (v.
5), ceux qui ont faim et soif de la justice (v.
6). Pour eux Dieu va intervenir afin de reverser leur situation.
Les pauvres de cur reçoivent le Royaume dont la révélation
est accordée aux tout-petits (cf. Mt
11,
25). Les doux héritent de la Terre Promise alors quautrefois
Josué et les Israélites lavaient conquise par
les armes (voir, par exemple : Sirac
46, 1-6). Ceux qui pleurent seront consolés selon la
promesse faite par Dieu : il ma envoyé porter la
bonne nouvelle aux pauvres
pour consoler tous les affligés
(Isaïe 61, 1-2). La justice dont il faut avoir faim
et soif nest pas la « justice judiciaire » mais
une attitude de fond selon laquelle le fidèle tend de tout
son cur à faire la volonté de Dieu. Saint Joseph
est déclaré homme juste (Mt
1, 19); il a trouvé son bonheur à accueillir dans
sa vie le projet de Dieu.
Les béatitudes du deuxième groupe
(vv.
7-10) concernent des attitudes personnelles des disciples :
la miséricorde, la pureté de cur, le fait dêtre
bâtisseur de paix et souffrir pour la justice. La conséquence
nest plus un renversement de la situation mais un accroissement
de grâce qui permet dentrer dans une intimité
plus grande avec Dieu : recevoir de Dieu la miséricorde pour
ses péchés, voir Dieu (cf. Exode
24, 11), être reconnus pour ses fils, participer à
son Royaume.
Remarquons que la première et la huitième
béatitudes comportent la même conséquence :
le Royaume des cieux est à eux (vv. 3.10). Cette forme
de récapitulation nous invite à croire que cette conclusion
sapplique à toutes les béatitudes. Le Royaume,
nest-ce pas la possession de la véritable Terre promise,
la consolation pour les affligés, létablissement
de la justice de Dieu dans toute sa création, etc
?
Le bonheur réside dès maintenant dans la venue du
Royaume, en la personne de Jésus, même si sa pleine
réalisation est toujours objet despérance (cf.
Romains
8, 24).
Heureux...
si on vous persécute (v. 11).
Le troisième paragraphe est différent
des deux autres. Il contient une seule béatitude, beaucoup
plus développée que les précédentes;
il est rédigé à la deuxième personne
du pluriel plutôt quà la troisième; il
ne concerne pas une attitude personnel-le de ceux qui sont déclarés
heureux mais une situation objective, puisque les victimes
nont pas recherché les mauvais traitements quils
subissent. Enfin la conséquence est différée;
ceux qui sont persécutés seront rétribués
dans les cieux (v. 12).
On se situe dans la tradition du juste souffrant
(voir par exemple : Isaïe
52,
13 53,12; Psaume
22(21); 69
(68), 8-10; Sagesse
2, 10-20; 3,
1-13; 5,
15-19 etc
). Le Juste Souffrant par excellence,
cest Jésus lui-même; les disciples doivent se
réjouir dêtre associés à la Passion
de leur Maître pour pouvoir aussi partager sa gloire (cf.
Mt
10, 17-20; Actes
5, 41; 1
Pierre
3, 13-17).
Une image
de Jésus
En mettant en tête de lenseignement
de Jésus le Discours sur la montagne et en ouvrant celui-ci
par les Béatitudes, Matthieu présente à ses
lecteurs un portrait de son héros. On voit se dessiner clairement
les traits essentiels de la personne de Jésus et de sa mission.
En arrière-fond on retrouve loracle
de Isaïe
61, 1-3. De manière moins explicite que Luc (cf.
Lc
4, 16-21) et en procédant par allusions, lévangéliste
montre comment Jésus est celui qui accomplit parfaitement
ce qui était annoncé par le prophète : porter
la bonne nouvelle aux pauvres, panser les curs meurtris, consoler
les affligés (cf. Mt
5,17).
Le meilleur commentaire des Béatitudes se trouve dans la
bouche de Jésus lorsquil se décrit lui-même
: je suis doux et humble de cur et vous trouverez soulagement
pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau
léger (cf. Mt 11, 29-30). Le chemin du bonheur
proclamé par Jésus consiste à vivre à
sa manière puisque toute sa vie est une mise en application
des Béatitudes.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2129. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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