La nouveauté qui recrée le monde
Introduction aux discours d'adieu : Jean
13, 31-33a.34-35
Autres lectures : Actes
14, 21-27 ; Psaume
144(145) ; Apocalypse
21, 1-5
Sur quoi se construit la bonne réputation
de Dieu? Comment sexprime sa gloire? Sur des événements
grandioses, des miracles spectaculaires? Non. Lévangile
répond aujourdhui que la gloire de Dieu se dit simplement,
car elle se base sur le comportement des personnes qui lui sont
familières et qui vivent entre elles une réciprocité
positive : Aimez-vous les uns les autres.
Jésus précise que ce
comportement réciproque est la réponse à un
commandement nouveau. Que veut-il dire par « nouveau »?
Ses propos nous semblent bien répétitifs. Nous avons
toujours entendu parler du commandement de lamour. Il nous
semble donc étrange de le qualifier avec le vocabulaire de
linnovation!
Or, cest précisément
le point de vue de Jésus. Sa proposition entend apporter
autre chose au groupe de ses disciples. On peut comprendre la force
de lintervention de Jésus lorsquon décrit
le contexte social de son époque. Ce qui était hautement
apprécié, cétait la stabilité
des rôles et des tâches. La nouveauté était
non seulement étonnante: elle était dangereuse et
mal venue. Entendre proclamer un commandement qualifié par
Jésus de « nouveau » devait donc être à
tout le moins fort inquiétant. Voilà de quoi décaper
notre appréciation de lévangile de ce dimanche!
Dailleurs, le commandement
de Jésus ne consiste pas seulement à proposer lamour.
Nimporte quelle vedette de la chanson peut le hurler, le hululer
ou le miauler. Jésus propose la manière de vivre en
profondeur cet amour. Il invite à explorer lintimité
divine du Père et du Fils. Jésus a aimé lhumanité
avec lintensité qui anime la relation des personnes
divines entre elles. En quelques mots, Jésus ouvre ce territoire
tout neuf aux disciples de toutes les époques.
Les propos de Jésus décrivent
en quoi le commandement est nouveau, en quoi aussi il nous met entre
les mains un outil pour renouveler le monde. Combien de catholiques
savent quau cur du aimez-vous les uns les autres,
il y a le comme je vous ai aimés? Nous ne sommes pas abandonnés
à nous-mêmes, lorsquil sagit dappliquer
le commandement de Jésus. Jésus nous fournit lui-même
le modèle dintervention.
Un bel écho du Premier Testament
Lamour voué à
lautre, à limage de lamour de soi, était
déjà proposé comme norme de comportement dans
lAncien Testament. Lévitique 19, 18.34 propose
daimer lautre comme on saime soi-même :
Ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à légard
des fils de ton peuple : cest ainsi que tu aimeras ton prochain
comme toi-même... cet émigré installé
chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme lun
de vous; tu laimeras comme toi-même; car vous-mêmes
avez été des émigrés dans le pays dÉgypte.
Dans la période qui
sépare le Premier Testament du Nouveau, le livre des Jubilés
(36, 3-4) rapporte ainsi le commandement dIsaac à Esaü
et Jacob : Et ceci je te commande... aimez-vous les uns les autres,
mon fils,... comme un homme aime sa propre vie. Dans les Évangiles
synoptiques, ce commandement est élargi pour inclure lamour
des ennemis.
Puisque cet idéal semble
déjà familier pour les lecteurs de la Bible, en quoi
est-ce « nouveau » de proposer ce commandement? On peut
envisager quil sagit dun indicateur de lalliance
nouvelle prévue par le prophète Jérémie
(31,
31-34). Mieux encore : lobservance de ce commandement
ouvre la porte sur lintimité avec Dieu (14,
20) parce quil sinscrit dans la suite de la mission
de Jésus. Ce commandement est donné par lenvoyé
de Dieu, vu sa capacité de déléguer à
son tour (13,
34).
Une réciprocité à vivre dans nos rassemblements
Dans lévangile,
Jésus annonce son absence toute proche. Il délègue
donc à des personnes de confiance le soin dexprimer
par leur comportement la relation la plus profonde qui anime le
Père et le Fils. Les disciples deviennent des envoyés,
des mandatés qui doivent se comporter à limage
de la personne qui les envoie. Reportons-nous à cette époque
où la seule façon de véhiculer un message,
cétait de le confier à une personne de confiance.
Les rois et les grands personnages utilisaient ce moyen pour se
rendre présents un peu partout à la fois. Jésus
na pas hésité à faire de même.
Lorsque nous nous rassemblons
au nom de Jésus pour faire mémoire de lui selon la
manière quil a choisie, nous nous devons dagir
à la hauteur de ses attentes. Pendant notre rassemblement
priant. Et dans son prolongement au fil des jours. Il est de notre
devoir de faire connaître ainsi la mission que Jésus
nous a confiée : transposer dans notre monde les comportements
de Dieu pour que notre monde ait enfin accès à lamour
qui cimente la Trinité.
Dans sa première encyclique
Dieu est amour, Benoît XVI évoque avec admiration
cette ouverture ultime de nos amours sur le monde divin : «
Lamour pour Dieu et lamour pour le prochain sont maintenant
vraiment unis : le Dieu incarné nous attire tous à
lui. À partir de là, on comprend comment agapè
est alors aussi devenu un nom de leucharistie : dans cette
dernière, lagapè de Dieu vient à
nous corporellement pour continuer son uvre en nous, à
travers nous. Cest seulement à partir de ce fondement
christologique et sacramentel quon peut comprendre correctement
lenseignement de Jésus sur lamour » (Dieu
est amour, numéro 14).
Le message de ce dimanche est donc
un élément important de notre préparation pour
la grande fête de 2008 à laquelle nous sommes déjà
convoqués : le Congrès eucharistique international
de Québec.
Une nouveauté qui pétrit tout notre univers
La présence dun texte
du dernier livre de la Bible, lApocalypse, nest
pas anodine. La deuxième lecture donne un visage bien concret
à la nouveauté, en abordant la nécessité
dun renouvellement divin du lieu par excellence des rencontres
humaines : la ville.
Certaines sectes représentent
lavenir radieux du monde sous la forme dun paysage campagnard,
avec des fruits et des légumes en abondance, des ruisseaux
agréables et une humanité ravie de vivre en «
gentlemen farmers ». Cette fixation agricole est contredite
en partie par le dernier livre de la Bible. Lhorizon ultime
proposé dans lApocalypse, cest celui du
rassemblement urbain. Donc, du lieu par excellence des multiples
interactions humaines. La vie chrétienne a surgi dans les
métropoles de lEmpire romain, comme Thessalonique,
Corinthe, Rome. Peu étonnant que le grand rêve des
premières générations de personnes croyantes
englobe lespérance dun fonctionnement harmonieux
en société.
Et le fruit ultime de lespérance
véhiculée par la Bible, cest un don venu de
Dieu : une Jérusalem nouvelle (21,
2). Cette ville symbolise la totalité et la perfection
de lamour divin. Cest un lieu éclairé
par la sainteté divine enfin directement accessible, un endroit
où les services des luminaires cosmiques (cause de tant dambiguïtés
païennes, comme les cultes à la lune et au soleil) ne
sont même plus requis.
Nous sommes souvent inquiets de la
montée des comportements urbains désagréables
: violence gratuite, mendicité, sollicitations déplacées,
saleté et graffitis, fêtes urbaines dégénérant
en émeutes. Quand nous désespérons de trouver
une solution aux lacunes de nos grands ensembles citadins, serions-nous
en train de perdre de vue la conviction fondamentale de la Bible
au sujet de la ville et de la communion humaine?
Source: Le Feuillet biblique,
no 2099. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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