Autonomes et réconciliés
La breis égarée : Luc
15, 1-3.11-32
Autres lectures : Josué
5, 10-12 ; Psaume
33(34) ; 2
Corinthiens 5, 17-21
Le menu biblique du quatrième dimanche de
Carême offre une parabole tellement connue que nous avons
presque envie de hausser les épaules. En effet, cette parabole
du père miséricordieux a été étudiée
sous toutes les coutures depuis le Concile Vatican II. Sa mise à
l'honneur a contribué à diminuer notre insistance
parfois maladive quant à certains aspects déplaisants
de la justice divine. La bonté, la miséricorde de
Dieu ont retrouvé la place qui leur revient.
Déjà lu? Toujours neuf!
En réalité, nous n'avons pas épuisé
cette mine d'or de réconfort spirituel. Jésus adopte
une manière vigoureuse pour raconter la patience et la générosité
du Père du ciel. Sa parabole peut trouver facilement des
échos dans notre expérience de vie actuelle. En effet,
l'horizon de notre quotidien est encombré d'un préjugé
favorable pour le chacun pour soi. En même temps, notre expérience
des relations humaines laisse remonter à la surface notre
besoin d'être en relation, de recevoir des autres certaines
composantes de notre existence. Mille et une actualisations de la
parabole sont donc possibles.
Une actualisation entre mille
C'est l'histoire d'une mère qui aime sa progéniture
en dépit des commentaires acides de son entourage. Vous connaissez
sans doute des parents qui ouvrent encore leur porte à un
enfant qui les a reniés. Vous savez, le genre de jeune de
18 ans à qui ses parents ont beau expliquer que ce n'est
pas avec ses allocations déposées à la Caisse
populaire depuis sa naissance qu'il pourrait aller vivre à
Vancouver... le genre de jeune qui n'en fait qu'à sa tête!
Les mois passent. Pas de nouvelles. Jusqu'au jour où
un coup de téléphone à frais virés amène
enfin des nouvelles : « Meman, meman... oui, j'ai pu travailler...
deux semaines! Meman, je m'ennuie! Je voudrais revenir...
-Prends le premier avion puis viens-t'en. Ta chambre
est encore là, tu sais!
-J'voudrais ben, mais...
-Qu'est-ce qu'il y a? T'es pas malade, toujours? »
Une voix en anglais coupe la conversation. La mère
a la présence d'esprit d'appeler la compagnie de téléphone.
La ligne est rétablie, et la mère rattrape à
temps son grand flanc mou pour lui dire : « Combien il te
manque d'argent pour l'avion? Maman va te le payer... »
La journée de son arrivée à l'aéroport,
maman est là pour recevoir son grand insignifiant de fils.
Une vie d'économies flambées en pure perte. En plus
d'un billet d'avion aller-simple en pleine haute saison, sans parler
du souci et du coeur brisé... Pour la mère, il n'y
a rien de trop cher pour pouvoir réintégrer son fils
dans sa famille, avec son père et les autres enfants.
Évidemment, la parenté ne l'a pas vu
du même oeil. On ne s'est pas gêné pour passer
des commentaires cinglants du genre : « Tu parles d'une bonasse.
Cette mère s'est privée pour lui toute sa vie; pour
la remercier, il sacre son camp avec le compte en banque. Elle,
la trop bonne mère, elle lui paie l'avion de retour. Franchement...
»
L'autonomie, réceptacle des générosités
divines
Des situations semblables, nous en avons tous connu
dans nos parentés, si ce n'est pas dans notre maison. Même
si le gros bon sens semble être du côté des gérants
d'estrade, la logique du parent accueillant sera la logique du coeur
et de l'appartenance.
C'est exactement ce qui se passe dans le récit
de l'évangile. Le jeune fils a été bête.
Il est la cause de son propre malheur... Mais ce fils léger
a au moins un mérite. Il prend la décision de revenir...
Il est tout à fait autonome dans sa prise de décision.
Et cela rend possible la générosité du père.
Le fils aîné de la parabole a-t-il fini par accepter
la bonté du père trop miséricordieux à
ses yeux? Est-il entré dans la fête offerte pour le
fils revenu à la vie, parce que réinséré
dans sa famille? En ce temps-là, le réseau familial
était une condition de survie non négociable.
Et nous, avec notre désir de tout réussir
par nos seules forces, que pensons-nous des largesses de ce père
abusé, exploité, et malgré tout accueillant?
Si nous voulons être honnêtes, nous admettrons nos réticences
à accepter les largesses de Dieu à l'égard
de l'humanité. Elles nous déboussolent et nous indisposent
carrément parfois...
Cela correspond à une autre composante de notre
projet de vie, composante bien présente dans le menu de ce
dimanche. Les affirmations sur les comportements de Dieu s'insèrent
aujourd'hui dans le cadre d'une réflexion très actuelle:
une réflexion sur le fragile équilibre à maintenir
entre l'autonomie si valorisée aujourd'hui et la relation
profonde entre nous et Dieu. L'autonomie des gens qui acceptent
son alliance est voulue par Dieu, comme l'affirme la première
lecture. L'autonomie dans la conduite de la vie, même matérielle,
est aussi un don de Dieu.
La réconciliation, don de Dieu
On entend parfois dire que Dieu nous veut écrasés
devant lui. C'est faux. Dieu veut des partenaires, des adultes responsables,
des gens qui se tiennent debout pour collaborer à sa création,
des personnes libres et autonomes, au-delà de leurs handicaps
intérieurs.
Que nos gestes du carême, un peu de jeûne,
plus de charité, et même de la prière, nous
concentrent sur l'essentiel! Dieu vaut la peine qu'on risque sa
vie avec lui, parce qu'il a pris des risques le premier avec nous.
En nous déléguant la gérance de sa création.
En nous ouvrant pour toujours la porte de la réconciliation.
La deuxième lecture (2 Corinthiens 5,
17-21) fonctionne comme un pivot, au coeur de la liturgie de la
Parole de ce dimanche. Elle décrit comment s'établit
l'équilibre entre notre autonomie et le don de Dieu, toujours
disponible : Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés
avec lui par le Christ, et il nous a donné pour ministère
de travailler à cette réconciliation. Ce verset
18 dit à sa manière comment nous pouvons « revenir
à la vie » comme le jeune fils de la parabole. Il suffit
d'accepter d'être réinséré dans le réseau
d'amour que tissent autour de nous le Père et le Fils. Nous
serons ainsi pleinement disponibles pour vivre leur Esprit de sainteté.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2092. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
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