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3e dimanche de Carême B - 19 mars 2006
 

Des mots qui portent!

La purification du Temple Jean 2, 13-25
Autres lectures : Exode 20, 1-17; Psaume 18(19); 1 Corinthiens 1, 22-25


Les publicitaires ont l'art de flairer l'air du temps. Une de leurs meilleures trouvailles, au Québec, fut la célèbre rimette : « Je bois mon lait quand et comme ça me plaît ». Sous un dehors alléchant, cette déclaration a cristallisé les nouveaux critères de choix de toute une population. Désormais, au Québec, c'est chacun pour soi. Peu importe le domaine de la vie, chaque personne définit ses critères. Les autres doivent respecter ses choix.

La clarté, condition de survie
    Le
s gens du temps de la Bible n'auraient jamais admis un tel flou de l'engagement ou du discours moral. Pourquoi fuyaient-ils les nuances qui sont si chères à notre époque?

    Pour survivre dans un monde fragmenté et hostile, ces gens avaient besoin de frontières claires. Les limites de comportement devaient être nettement décrites. Pour appuyer ces délimitations essentielles, les chefs devaient payer de leur personne en posant des gestes sans ambiguïté. Ils devaient donc avoir à la bouche des mots tranchants comme des épées. Les chefs devaient être prêts à en assumer les conséquences, jusqu'à la mort s'il le fallait.

Des mots à la hauteur de l'amour de Dieu
    Ainsi s'explique le comportement (soi-disant agressif) de Jésus dans le Temple de Jérusalem. Jésus constate que les transactions commerciales engendrées par le système des sacrifices empiètent sur les gestes relationnels (les sacrifices) qui devraient occuper tout l'espace de ce lieu saint. Il décide donc de parler avec des mots durs et des gestes clairs.

    Jésus ne perd pas son temps à proposer l'abolition du système des sacrifices. Il va beaucoup plus loin, en déclarant que sa personne fait corps avec le Temple, au point de le remplacer bientôt.

    Pour son peuple juif, le Temple de pierre qui avait pris le relais de l'abri temporaire de la Tente de réunion au désert abritait la présence de Dieu. En voyant la splendeur des pierres taillées, on comprenait que Dieu était avec son peuple pour toujours. Voilà que Jésus s'introduit dans la routine commerciale de ce lieu, que Jésus met à bas l'organisation pratique qui permettait d'accomplir les sacrifices normaux prescrits. On aurait dû comprendre le puissant clin d'oeil : Jésus venait de s'identifier comme Messie et prophète dans l'esprit de Zacharie 14 et Malachie 3. En se frayant un chemin en plein cœur du Lieu saint, Jésus annonce que Dieu va enfin se manifester d'une manière définitive.

    Mais on n'a pas saisi l'allusion subtile contenue dans le geste un peu fendant. Jésus doit donc être plus clair, et parler. Comme il propose de mettre à terre ce qui fait la fierté de son peuple, on ne le suit plus... ou on le suit sans trop comprendre. Il faudra la résurrection pour que tout devienne lisible.

    Et encore, cela n'ira pas de soi, puisqu'il faudra aussi inclure dans le bagage de la foi le signe du Messie crucifié. C'est un scandale pour toute personne qui était éduquée dans la connaissance de la Bible. Car on y lit : Malheur à celui qui pend au bois (Deutéronome 21, 22-23). On peut donc ne pas croire. Il est normal d'hésiter. Mais il faudra bien finir par trancher. Jésus, dans son corps détruit puis ressuscité, deviendra alors le signe par excellence.

    Alors, aujourd'hui, en plein cœur du Carême, posons-nous une question importante. Jésus a déplacé l'attention du Temple sur sa propre personne. Est-ce que nous, les croyants du XXIe siècle, savons être transparents de Jésus dans nos gestes et nos organisations de foi? Serions-nous plutôt des obstacles qui empêchent nos concitoyens de percevoir que c'est Dieu qui agit dans nos vies, que c'est lui qui est la source de notre engagement?

Des limites claires : l'expérience du peuple de Dieu
    Ce n'est pas parce que Jésus est le Ressuscité, le nouveau Temple, le nouveau signe de la présence de Dieu, que tout ce qui vient de l'Ancien Testament est devenu inutile. N'est-il pas venu pousser à la perfection ce qui existait avant lui? Il a dit : N'allez pas croire que je sois venu abolir la Torah ou les Nevi'im: je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (Matthieu 5, 17).

    Cette affirmation du Seigneur trouve son écho dans le texte de Vatican II sur la Révélation : «... encore que le Christ ait fondé dans son sang la nouvelle alliance, néanmoins les livres de l'Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique, atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament, auquel ils apportent en retour lumière et explication » (Dei Verbum 16). Jésus est le centre de notre foi parce qu'il est le meilleur signe de la présence de Dieu. Cela ne veut pas dire que les normes qui permettaient de reconnaître l'appartenance au peuple de l'alliance ne sont plus valables.

    Quand Jésus pose ces limites claires, il a en tête de nombreux exemples qui parsèment les Écritures saintes des Juifs. La première lecture nous en fournit un prototype célèbre : les dix Paroles fondatrices du comportement du peuple en alliance. Ces lignes établissent des limites bien claires pour le comportement des gens.

    Dans un contexte de pénurie permanente, on y évoque la gravité du vol, qu'il s'agisse de la vie de l'autre, de ses relations privilégiées ou de sa réputation. On y décrit le sérieux de l'engagement divin avec le mot « jaloux ». Loin des sautes d'humeur émotive d'un amoureux possessif, il s'agit de décrire les attentes légitimes de celui qui a créé la liberté au bénéfice d'un peuple d'esclaves. On ne badine pas avec un tel amour!

Dans un monde en recherche... voici des repères!
    Dans les agirs fracassants de prophète adoptés par Jésus ou dans les textes fondateurs du judaïsme et du christianisme, on va à l'essentiel en appelant un chat « un chat »! Nous limiterons-nous à proposer aux gens d'aujourd'hui les réponses de Dieu dans un discours tellement imprécis qu'il masque le drame du choix qui nous est proposé : vivre avec Dieu ou vivoter et dépérir, seuls dans notre coin?

   Si nous prenons au sérieux l'alliance donnée par Dieu, nous ne pouvons nous contenter d'émettre un discours religieux tissé de mots flous qui ne dérangent personne. Pour changer le monde, osons-nous dire les vraies choses de la foi? La Bible propose une Parole d'alliance inscrite dans des mots forts et des gestes clairs. Ma réponse sera-t-elle à la hauteur dans mes choix quotidiens?

Alain Faucher, ptre
Diocèse de Québec

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2049. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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