Des mots
qui portent!
La purification du Temple Jean
2, 13-25
Autres lectures : Exode
20, 1-17; Psaume
18(19); 1
Corinthiens 1, 22-25
Les publicitaires ont l'art de flairer l'air du temps. Une de
leurs meilleures trouvailles, au Québec, fut la célèbre
rimette : « Je bois mon lait quand et comme ça me plaît
». Sous un dehors alléchant, cette déclaration
a cristallisé les nouveaux critères de choix de toute
une population. Désormais, au Québec, c'est chacun
pour soi. Peu importe le domaine de la vie, chaque personne définit
ses critères. Les autres doivent respecter ses choix.
La clarté, condition de survie
Les
gens du temps de la Bible n'auraient jamais admis un tel flou de
l'engagement ou du discours moral. Pourquoi fuyaient-ils les nuances
qui sont si chères à notre époque?
Pour survivre dans un monde fragmenté
et hostile, ces gens avaient besoin de frontières claires.
Les limites de comportement devaient être nettement décrites.
Pour appuyer ces délimitations essentielles, les chefs devaient
payer de leur personne en posant des gestes sans ambiguïté.
Ils devaient donc avoir à la bouche des mots tranchants comme
des épées. Les chefs devaient être prêts
à en assumer les conséquences, jusqu'à la mort
s'il le fallait.
Des mots à la hauteur de l'amour
de Dieu
Ainsi s'explique le comportement (soi-disant
agressif) de Jésus dans le Temple de Jérusalem. Jésus
constate que les transactions commerciales engendrées par
le système des sacrifices empiètent sur les gestes
relationnels (les sacrifices) qui devraient occuper tout l'espace
de ce lieu saint. Il décide donc de parler avec des mots
durs et des gestes clairs.
Jésus ne perd pas son temps à
proposer l'abolition du système des sacrifices. Il va beaucoup
plus loin, en déclarant que sa personne fait corps avec le
Temple, au point de le remplacer bientôt.
Pour son peuple juif, le Temple de pierre
qui avait pris le relais de l'abri temporaire de la Tente de réunion
au désert abritait la présence de Dieu. En voyant
la splendeur des pierres taillées, on comprenait que Dieu
était avec son peuple pour toujours. Voilà que Jésus
s'introduit dans la routine commerciale de ce lieu, que Jésus
met à bas l'organisation pratique qui permettait d'accomplir
les sacrifices normaux prescrits. On aurait dû comprendre
le puissant clin d'oeil : Jésus venait de s'identifier comme
Messie et prophète dans l'esprit de Zacharie
14 et Malachie
3. En se frayant un chemin en plein cur du Lieu saint,
Jésus annonce que Dieu va enfin se manifester d'une manière
définitive.
Mais on n'a pas saisi l'allusion subtile
contenue dans le geste un peu fendant. Jésus doit donc être
plus clair, et parler. Comme il propose de mettre à terre
ce qui fait la fierté de son peuple, on ne le suit plus...
ou on le suit sans trop comprendre. Il faudra la résurrection
pour que tout devienne lisible.
Et encore, cela n'ira pas de soi, puisqu'il
faudra aussi inclure dans le bagage de la foi le signe du Messie
crucifié. C'est un scandale pour toute personne qui était
éduquée dans la connaissance de la Bible. Car on y
lit : Malheur à celui qui pend au bois (Deutéronome
21, 22-23). On peut donc ne pas croire. Il est normal d'hésiter.
Mais il faudra bien finir par trancher. Jésus, dans son corps
détruit puis ressuscité, deviendra alors le signe
par excellence.
Alors, aujourd'hui, en plein cur
du Carême, posons-nous une question importante. Jésus
a déplacé l'attention du Temple sur sa propre personne.
Est-ce que nous, les croyants du XXIe siècle, savons être
transparents de Jésus dans nos gestes et nos organisations
de foi? Serions-nous plutôt des obstacles qui empêchent
nos concitoyens de percevoir que c'est Dieu qui agit dans nos vies,
que c'est lui qui est la source de notre engagement?
Des limites claires : l'expérience
du peuple de Dieu
Ce n'est pas parce que Jésus est
le Ressuscité, le nouveau Temple, le nouveau signe de la
présence de Dieu, que tout ce qui vient de l'Ancien Testament
est devenu inutile. N'est-il pas venu pousser à la perfection
ce qui existait avant lui? Il a dit : N'allez pas croire que
je sois venu abolir la Torah ou les Nevi'im: je ne suis pas venu
abolir, mais accomplir (Matthieu 5, 17).
Cette affirmation du Seigneur trouve son
écho dans le texte de Vatican II sur la Révélation
: «... encore que le Christ ait fondé dans son sang
la nouvelle alliance, néanmoins les livres de l'Ancien Testament,
intégralement repris dans le message évangélique,
atteignent et montrent leur complète signification dans le
Nouveau Testament, auquel ils apportent en retour lumière
et explication » (Dei Verbum 16). Jésus est
le centre de notre foi parce qu'il est le meilleur signe de la présence
de Dieu. Cela ne veut pas dire que les normes qui permettaient de
reconnaître l'appartenance au peuple de l'alliance ne sont
plus valables.
Quand Jésus pose ces limites claires,
il a en tête de nombreux exemples qui parsèment les
Écritures saintes des Juifs. La première lecture nous
en fournit un prototype célèbre : les dix Paroles
fondatrices du comportement du peuple en alliance. Ces lignes établissent
des limites bien claires pour le comportement des gens.
Dans un contexte de pénurie permanente,
on y évoque la gravité du vol, qu'il s'agisse de la
vie de l'autre, de ses relations privilégiées ou de
sa réputation. On y décrit le sérieux de l'engagement
divin avec le mot « jaloux ». Loin des sautes d'humeur
émotive d'un amoureux possessif, il s'agit de décrire
les attentes légitimes de celui qui a créé
la liberté au bénéfice d'un peuple d'esclaves.
On ne badine pas avec un tel amour!
Dans un monde en recherche... voici des
repères!
Dans les agirs fracassants de prophète
adoptés par Jésus ou dans les textes fondateurs du
judaïsme et du christianisme, on va à l'essentiel en
appelant un chat « un chat »! Nous limiterons-nous à
proposer aux gens d'aujourd'hui les réponses de Dieu dans
un discours tellement imprécis qu'il masque le drame du choix
qui nous est proposé : vivre avec Dieu ou vivoter et dépérir,
seuls dans notre coin?
Si nous prenons au sérieux l'alliance
donnée par Dieu, nous ne pouvons nous contenter d'émettre
un discours religieux tissé de mots flous qui ne dérangent
personne. Pour changer le monde, osons-nous dire les vraies choses
de la foi? La Bible propose une Parole d'alliance inscrite dans
des mots forts et des gestes clairs. Ma réponse sera-t-elle
à la hauteur dans mes choix quotidiens?
Alain Faucher, ptre
Diocèse de Québec
Source: Le Feuillet biblique,
no 2049. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
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