Le désert
de la peur
La prédication de Jean le Baptiseur
Marc
1, 1-8
Autres lectures : Isaïe
40, 1-5.9-11; Ps
84(85); 2
Pierre 3, 8-14
Bien qu'il ait été un militant de l'athéisme,
Friedrich Nietzsche a dit au sujet de l'homme du désert quelque
chose que l'on peut appliquer à Jean Baptiste : « C'est
au désert qu'ont toujours vécu les véridiques,
les libres esprits, seigneurs des déserts; dans les villes
habitent les sages bien nourris et célèbres - les
bêtes de trait ».
Jean Baptiste, dans sa volonté
de convertir les foules, s'est installé au désert.
Cela ne manque pas d'étonner car le désert est une
solitude dépeuplée. Pourquoi ne l'aurait-il pas fait
pour donner à ce geste toute sa valeur pédagogique!
Le désert avec son sol aride, ses arbres décharnés,
son roc austère, figure bien le péché. C'est
l'image du mal dans lequel Jean Baptiste a plongé tout en
demeurant innocent.
On avait gardé un souvenir
épeurant de la traversée du désert depuis l'Égypte
jusqu'à la Terre Promise. Moïse, enfin parvenu avec
le peuple au bord du Jourdain, remémore la frayeur qu'il
avait éprouvée au point de départ : Nous
entrâmes en ce désert grand et effroyable que vous
avez vu sur le chemin de la montagne des Amorites (Deutéronome
1, 19). La rareté de la nourriture, la présence des
bêtes sauvages rendaient le désert tout à fait
inhospitalier. Aujourd'hui la photo, même si elle nous permet
de voir les couleurs splendides du désert, nous fait connaître
de plus près ce qui causait la terreur des Israélites.
Il n'y a pas âme qui vive sur de longues distances et le solitaire
qui s'y trouve paraît comme livré aux démons
qui y habitent. L'évangile évoque l'esprit mauvais
qui est sorti des possédés : Lorsque l'esprit impur
est sorti de l'homme, il erre par des lieux arides en quête
de repos et il n'en trouve pas (Matthieu 12, 43).
Les foules ont intuitionné
cet aspect de la chose et c'est pourquoi elles sont accourues. Le
grand désert qui sépare Babylone de Jérusalem
faisait peur lui aussi. Les exilés du temps d'Ézéchiel
redoutaient d'en affronter les dangers et c'est pourquoi les poètes
en prédisaient la transformation totale : Que la steppe
exulte et fleurisse; comme l'asphodèle, qu'elle se couvre
de fleurs (Isaïe 35, 1). Jean Baptiste a été
vivre au désert pour réfléchir à la
puissance du mal mais aussi à la puissance de Dieu qui est
capable de faire toute chose nouvelle. Le pays de la soif allait
devenir le pays de la fraîcheur. Les inspirés en avaient
eu la vision : Le Seigneur changea le désert en nappe
d'eau, une terre sèche en source d'eau; là il fit
habiter les affamés et ils fondèrent une ville habitée
(Psaume 107, 35-36). La « ville » nouvelle, c'est
sans doute celle de tous les chercheurs d'absolu qui ont été
attirés par une expérience forte.
Ceux qui cherchent Dieu
Nombreux étaient ceux qui avaient
quitté les villes de Judée pour tenter la vie au désert.
Ceux qui habitaient à Qumrân étaient de ceux-là.
Ils sont responsables des fameux manuscrits de la mer Morte qui
disent beaucoup sur les élites spirituelles d'Israël.
Que d'hommes et de femmes désiraient connaître Dieu
et pressentaient sa présence au désert. Le paradoxe
était donc que c'était le lieu des démons,
le séjour d'Azazel (Lévitique
16, 26), mais aussi celui de Dieu venu y remporter une victoire
décisive contre l'empire du mal.
L'armement de la lutte contre les
forces des ténèbres comportait pour Jean Baptiste,
des habitudes ascétiques. Il portait un vêtement de
poil de chameau comme celui d'Élie, il se contentait aussi
d'une nourriture frugale : des sauterelles et du miel sauvage.
Les moines de Qumrân qu'on
appelle souvent Esséniens observaient des coutumes de purification
religieuse dans des bassins que l'on a retrouvés dans leurs
installations. Jean Baptiste, de son côté, avait réduit
ce lavage rituel du corps à une seule fois. Une autre différence
majeure entre les Esséniens et lui, est que cette immersion
dans l'eau créait un lien personnel entre le Baptiseur et
ceux qui se soumettaient à ce rite. Ils pouvaient être
appelés « disciples de Jean » (Jean
3, 25).
Jésus et Jean Baptiste
Jésus a sans doute fait partie
du groupe des disciples de Jean Baptiste. Une phrase du quatrième
Évangile le laisserait clairement entendre : Or les disciples
de Jean s'étaient mis à discuter avec un Juif à
propos des bains de purification. Ils allèrent donc trouver
Jean et lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec
toi de l'autre côté du Jourdain, celui à qui
tu as
rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous vont
à lui! » (Jean 3, 25-26). C'est par humilité
que Jésus s'est joint à des pécheurs repentants.
Il est cependant intouché par le péché.
Certains ont vu un lien entre Qohélet
(l'Ecclésiaste) et Jean Baptiste. Qohélet, le sage
réputé le plus pessimiste de la Bible, se situe dans
le temps de l'attente. Le regard qu'il jette sur le monde est dépourvu
de toute complaisance. Il passe en revue tout ce qui fait la vie
de l'homme et constitue son environnement. Comme le monde de Marc,
celui de Qohélet est marqué par la force destructrice
du mal. L'existence y est insupportable et l'homme ne peut que la
regretter et la maudire : D'autre part, je vois toutes les oppressions
qui se pratiquent sous le soleil. Regardez les pleurs des opprimés:
ils n'ont pas de consolateur; la force est du côté
des oppresseurs; ils n'ont pas de consolateur. Et moi, de féliciter
les morts qui sont déjà morts plutôt que les
vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui
qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'uvre
mauvaise qui se pratique sous le soleil (Qohélet
4, 1-3). Cependant, et contrairement aux apparences, Qohélet
ne se livre en rien à la profession nihiliste de «
l'homme sans Dieu »; tout au contraire, il nous livre l'expérience
du croyant qui porte devant Dieu la misère et la vanité
du monde, et qui les assume.
Pour Jean, comme pour Qohélet,
il ne s'agit donc nullement de condamner le monde, ni les hommes
qui l'habitent, mais de les appeler à prendre en compte la
dure réalité de la vie et à se « convertir
». Qohélet est dans le temps de l'attente, et il fait
ce que font tous les prophètes: avertir les hommes de la
misère profonde du monde, afin qu'ils en prennent conscience
et se convertissent. Si Qohélet fait un premier pas, Jean
en fait un deuxième; après avoir proclamé un
baptême de conversion pour le pardon des péchés
(Marc 1, 4), il annonce celui qui viendra derrière
moi, celui qui est plus puissant que moi (Marc 1, 7).
Ce que Qohélet avait vainement attendu, Jean l'annonce :
celui qui viendra apporter l'espérance au cur de l'homme,
cette espérance dont Qohélet ne dit mot. Jésus
enfin va faire un troisième pas : annoncer que les temps
sont accomplis et que le Règne de Dieu est tout proche (Marc
1, 15).
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Pour votre information...
À la différence de
saint Marc, saint Matthieu précise que le vêtement
était fait de poils de chameau, c'est-à-dire tissé
avec ce poil. La peau de chameau est beaucoup trop épaisse
et dure pour que les Bédouins songent à l'employer
comme vêtement, dit le Père Lagrange. La ceinture ne
se plaçait pas par-dessus, mais tenait lieu de tunique. Ce
n'était pas une courroie, mais une sorte de pagne en peau
enroulé autour des reins.
La sauterelle se mange salée
comme le poisson de conserve; on la fait sécher pour la conserver.
La sauterelle ne répugne pas aux gens de Palestine. Le miel
peut être un miel végétal qui proviendrait de
l'exsudation des tamaris. Les anciens Arabes le mêlaient d'eau
pour s'en faire une boisson.
Pierre Bougie, PSS, bibliste
Grand Séminaire de, Montréal
Source: Le Feuillet biblique,
no 2034. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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