Chrétiens
et citoyens
L'impôt dû à
César (Matthieu 22, 15-21)
Autres lectures : Isaïe 45, 1.4-6a;
Ps 95(96); 1 Thessaloniciens 1, 1-5b
À notre époque, au centre de l'actualité,
on a la Déclaration des droits de la personne et la Charte
des droits. Ces déclarations de principes sont au fondement
du débat sur la confessionnalité des écoles,
sur la place de la prière dans les réunions de corps
publics, sur l'objection de conscience dans les traitements médicaux...
Le débat ne serait pas le même s'il n'y avait eu un
enseignement de Jésus aux conséquences marquantes.
Distinguer la religion et l'État
En disant : Rendez à César ce
qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu, Jésus sépare la religion du gouvernement.
C'est la première fois qu'on distinguait si nettement Dieu
de l'État. Car à cette époque, César
tenait tout dans ses mains, y inclus le culte et le dogme. Sa personne
était sacrée et divine. Jésus proclame que
la religion n'est plus l'État, et qu'obéir à
César n'est plus la même chose qu'obéir à
Dieu. Le Seigneur a supprimé la domination exclusive de l'État
sur l'individu; il a séparé l'homme du citoyen; il
a placé l'homme au-dessus du citoyen, le « prochain
» au-dessus du compatriote; il a proclamé la supériorité
infinie du royaume de Dieu sur n'importe quel royaume de la terre;
il a donné à l'homme le droit et le devoir d'obéir
à Dieu, sans pour autant le sosutraire à ses devoirs
civiques.
Jésus était en quelque sorte
figuré par Cyrus, le roi des Perses, qui plusieurs siècles
auparavant avait délivré les exilés juifs à
Babylone. La personne humaine s'épanouit pleinement dans
la liberté. Les structures trop rigides doivent être
humanisées, nous suggère la première lecture
du livre d'Isaïe.
Saint Paul a libéré les Thessaloniciens
de la croyance en des divinités païennes. Elles étaient
la caution d'un système politique très dur; il favorisait
les inégalités, tandis que le christianisme, en soulignant
la dignité de la personne, a facilité l'affranchissement
des esclaves. L'adhésion de foi de la communauté opère
une mutation profonde dans la vie des individus.
Notre époque évalue mal ce
qu'elle doit à l'évangile dans le progrès des
idées. Les idéologies athées ont pourtant abouti
à des régimes d'oppression qui sont des échecs
dans la poursuite du bonheur. Incroyant, Albert Camus disait cependant
: « Il faut donc se choisir un maître, Dieu n'étant
plus à la mode ».
Les pharisiens avaient une pensée
organisée au sujet des relations avec l'empire romain. Les
pharisiens constituaient d'abord un groupe religieux attaché
à la Loi de Moïse. Ils considéraient qu'on pouvait
le faire même dans un pays occupé et dirigé
par les païens. Il n'est pas juste de dire qu'ils désiraient
un royaume terrestre pour Israël. Certains étaient même
pacifistes, aimant mieux mourir que de prendre les armes.
Une discussion serrée
Dans l'épisode de l'impôt dû
à César, la scène se passe en présence
des partisans d'Hérode. Ceux-ci cultivaient l'amitié
des Romains, comme leur « patron » Hérode Antipas,
le tétrarque de Galilée et surtout autrefois Hérode
le Grand. Ce groupe, pour plaire à l'autorité romaine,
n'aurait pas manqué de dénoncer Jésus s'il
s'était opposé à l'impôt.
Des juifs opposés à Rome
et qui prendront plus tard le nom de zélotes interdisaient
l'impôt. Ils refusaient le signe de la soumission à
Rome. On demande à Jésus : Est-il permis, oui ou
non, de payer l'impôt à l'empereur (à César)?
Jésus demande à son tour qu'on lui montre la monnaie
de l'impôt. En apportant l'argent de l'impôt, ceux qui
posent la question paraissent, curieusement, prêts à
le payer eux-mêmes. La monnaie courante en Palestine ne portait
pas l'image de l'empereur, en concession à l'horreur des
juifs pour les images sculptées interdites par l'un des commandements.
Jésus a dit : Rendez à César ce qui est
à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.
En disant « rendez à César »... Jésus
recommande de payer l'impôt impérial et cette réponse
contient en germe une appréciation positive du rôle
de l'État, dans la ligne de certaines doctrines juives du
temps selon lesquelles les grands doivent leur autorité à
Dieu. Par exemple, au livre de la Sagesse : Écoutez, ô
rois, c'est le Seigneur qui vous a donné la domination
(Sagesse 6, 3). La pratique des premiers chrétiens s'est
conformée à ce principe (cf. Romains 13, 1-7).
Dans cet épisode, ce qui est mis
en relief, surtout, c'est le point culminant : rendez à
Dieu ce qui est à Dieu. Au-delà des questions
politiques qui sont d'importance secondaire, il faut rendre à
Dieu ce qui lui est dû. Il faut célébrer ses
louanges, obéir à ses commandements, l'aimer plus
que tout.
Dans la parabole du banquet, les invités
à la noce ont toute sorte de prétextes pour refuser
de participer : l'un à son champ, l'autre à son
commerce (Matthieu 22, 5). La parabole du semeur illustre le
cas de ceux en qui le souci du monde et la séduction de
la richesse étouffent la Parole (Mt 13, 22). Ils représentent
ceux qui ne rendent pas à Dieu ce qui lui est dû.
Un message actuel
Pour beaucoup, la politique a remplacé
la religion. Des personnes mettent le même zèle au
service d'un parti politique qu'elles l'auraient fait en d'autres
temps pour le progrès de l'Église. Le nationalisme
réclame une ferveur brûlante et bien des prédicateurs
dans la foi nouvelle ne se rendent pas compte que le culte de la
nation touche souvent à l'égoïsme collectif.
Les grandes causes humanistes deviennent aussi des succédanés
de la foi en Dieu. On n'a plus d'énergie que pour les réunions
qui en parlent, pour les publications qui en traitent et pour les
démonstrations qui en brandissent les slogans.
Dieu premier servi! Il mérite mieux
que n'importe quel idéal de l'horizon terrestre.
Les chrétiens dans le monde
Extrait de la Lettre à Diognète
Les chrétiens ne se distinguent
des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les
coutumes. Car ils n'habitent pas de villes qui leur soient propres,
ils n'emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre
de vie n'a rien de singulier. Leur doctrine n'a pas été
découverte par l'imagination ou par les rêveries d'esprits
inquiets, ils ne font pas comme tant d'autres, les champions d'une
doctrine d'origine humaine.
Les chrétiens habitent les cités
grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun;
ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la
nourriture et le reste de l'existence, tout en manifestant les lois
extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de
vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme
des étrangers domiciliés. Ils s'acquittent de tous
leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme
des étrangers. Toute terre étrangère leur est
une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère.
Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils
n'abandonnent pas leurs nouveaux-nés. Ils prennent place
à une table commune, mais qui n'est pas une table ordinaire.
Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils
passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils
obéissent aux lois établies, et leur manière
de vivre est plus parfaite que les lois.
Pierre Bougie, PSS, bibliste
Grand Séminaire de Montréal
Source: Le Feuillet biblique,
no 2027. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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