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Vingt-cinquième dimanche ordinaire A - 18 septembre 2005
 

La conversion du regard

Les ouvriers de la onzième heure (Matthieu 20, 1-16)
Autres lectures : Isaïe 55, 6-9; Ps 144(145); Philippiens 1, 20c-24.27a

 

Pour une mentalité comme la nôtre, soucieuse d’égalité et d’une juste rétribution du travail, le récit d’aujourd’hui est pour le moins choquant. En effet, un patron qui donne le même salaire à des hommes qui travaillent douze heures et à ceux qui ne travaillent qu’une heure ne peut que susciter la controverse au sein de son équipe. À moins que nous ne sachions lire entre les lignes pour y voir se profiler l’image de Dieu...

Un second regard
     D’entrée de jeu, disons que ce récit n’est pas un traité de justice sociale mais une parabole évangélique. Ou si vous aimez mieux, une petite histoire pour faire comprendre une grande vérité. Il est vrai que lue au premier degré, cette anecdote a de quoi faire sursauter patrons et ouvriers. Il y a là un manque flagrant de justice et d’équité salariale. Mais voilà, le lecteur et la lectrice que nous sommes doivent sortir de cette lecture à courte vue et emprunter les yeux de Dieu ou encore les mœurs de Dieu, pour bien le saisir.

Les valeurs évangéliques
     L’évangile établit une hiérarchie des valeurs qui n’a rien à voir avec les règles établies par nos conventions sociales. Les relations humaines y sont basées sur l’amour écrit au fond du cœur et non sur un contrat écrit devant notaire. Autrement dit, le salaire reçu n’est pas octroyé en fonction du mérite mais bien plutôt du besoin. La liberté de Dieu est souveraine et ne saurait se conformer aux diktats des hommes. Devant lui, nul ne peut revendiquer un dû.

Des exemples éloquents
     Le plus bel exemple de cette manière de fonctionner, nous le retrouvons dans l’attitude des parents envers leurs enfants. Le soin qu’ils prennent d'eux, pour les aider à grandir sur tous les plans, n’est pas lié aux mérites mais au besoin fondamental de leurs enfants. Leur manière de faire est dictée par l’amour. C’est pourquoi le plus faible exigera et recevra plus d’attention. Son manque sera comblé par un surplus d’affection. Il en va de même lorsque l’on améliore les conditions de vie des prisonniers ou quand une société construit des logements sociaux pour les plus démunis. Les gestes sont posés pour combler des besoins élémentaires, non pour récompenser les mérites de qui que ce soit. Personne ici n’agit en fonction du mérite mais en fonction du besoin qu’a toute personne humaine d’être traitée avec décence et avec respect.

Deux logiques
    Dans nos manières de voir, nous empruntons deux logiques différentes : la première est sensible au mérite, l’autre au besoin. Et la Bonne Nouvelle dans tout cela? C’est que le nouvel ordre prôné par l’évangile est centré sur l’attente intérieure des personnes, souvent non formulée, bien plus que sur la récompense pour services rendus. Derrière un soi disant mépris de la loi et de ses obligations, se cache un amour profond de l’être humain pour l’élever au rang d’enfant de Dieu. Enfant aimé et comblé.

La part de la personne
    Demeurons dans le contexte de la parabole : si les ouvriers envoyés à la vigne avaient refusé le travail offert, ils n’auraient rien reçu. S’ils avaient dit oui sans donner suite, ils n’auraient rien reçu. Ils ont répondu et se sont rendus à la vigne du maître en y travaillant de leur mieux. Voilà ce qui dépend de la personne humaine. Dieu ne nous sauve pas malgré nous. Il s’adresse à notre liberté et nous avons à acquiescer ou à refuser son invitation. En ce sens, tout dépend de nous.

La part de Dieu
    Malgré ce respect de notre liberté, il ne faut pas tomber dans le pharisaïsme et penser que c’est à cause de nos bonnes œuvres que Dieu nous sauve. Les scribes auxquels Jésus s’adresse avait justement cette mentalité. Pourtant, rien ne s’achète chez Dieu. Il ne tient pas commerce et ne prête à personne. Il paie comptant selon ses calculs à lui. C’est pourquoi tout doit être reçu comme un don, comme un cadeau. À nous d’avoir un regard de tendresse envers cette bonté divine qui surpasse celle de tous les pères et mères de ce monde et de tous les patrons de la terre.

Une dénonciation
    Je terminerai en donnant un éclairage sur les conditions ouvrières des gens au temps de Jésus. Un large fossé séparait pauvres et riches. Les propriétaires agricoles se comportaient comme des dieux et considéraient souvent leurs employés au même titre que leur cheptel et souvent moins encore. Jésus déplore cette manière de faire et agit à l’inverse. Il donne autant aux uns comme aux autres. Il est prodigue et père. Il prend position pour le plus démuni. C’est là une constante évangélique qui lui confère une originalité encore inégalée.

Le peuple en exil
Isaïe 55, 6-9

    ... Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur...

    On peut esquisser des parallèles intéressants entre les deux lectures et l’évangile. Dans la première, Isaïe (55, 6-9) s’adresse à un peuple en exil. Un peuple riche devenu pauvre. Un peuple qui commence à comprendre où est l’essentiel. Un peuple qui doit renoncer à mettre aux comptes de ses mérites ses institutions et le choix de Dieu. Car là ne se situe pas la volonté de Dieu. Pour cela il doit changer son regard et se convertir.

Un disciple en prison
Philippiens 1, 20c-24.27a

    ... Soit queje vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps...

    Lorsque Paul s’adresse aux Philippiens (1, 20-27), il est en quelque sorte en exil lui aussi. Privé de sa communauté qu’il a évangélisé dans des jours meilleurs, il se sent miné dans son corps et abattu dans son âme. Il cherche la volonté de Dieu : Je voudrais bien partir mais… (v. 23). Il semble dire : « Serais-je mieux mort ou ai-je encore des forces à mettre à la vigne du Seigneur? » Mais il s’abandonne à la volonté de Dieu qui ne peut vouloir que son bien.

Que conclure?
    L’espérance du Christ est offerte à tous, pauvres et riches, exilés ou enracinés, méritants ou pécheurs. Le Seigneur n’attend pas nos dons périssables ou nos mérites impondérables. Il attend notre cœur et notre bonne volonté. Vu sous cet angle, nos lieux de culte déborderaient de publicains repentants et verraient des pharisiens quitter l’enceinte, déçus. Et Jésus, le Fils du Vigneron généreux, serait encore et toujours mis à mort…

Ghislaine Salvail, SJSH, bibliste
Saint-Hyacinthe

Source: Le Feuillet biblique, no 2023. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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