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Vingt-quatrième dimanche ordinaire A - 11 septembre 2005
 

Le débiteur devenu créancier

Le débiteur impitoyable (Matthieu 18, 21-35)

Autres lectures : Siracide 27, 30 - 28, 7; Psaume 102(103); Romain 14, 7-9

L'image de Dieu qui se dégage, à première vue, de ce texte n'est pas très rassurante. Chacun peut faire sienne la prière du psalmiste: Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera? (Ps 130 (129), 3).

     Pourquoi Jésus qui, par ailleurs, nous montre un Dieu patient, qui ne veut perdre aucun de ses enfants (cf. Mt 18, 12-14) nous présente-t-il son Père sous les traits d'un juge prêt à livrer le coupable au bourreau?

    Revenons à la présentation que Dieu fait de lui-même à Moïse: Yahvé passa devant lui et cria: Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité; qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération (Ex 34, 6-7). Dans le mystère de Dieu cohabitent sa tendresse envers les pécheurs et son refus du péché. Être parfait comme le Père (Mt 5,48) suppose d'être prêt à pardonner comme lui tout en prenant les moyens nécessaires pour corriger les pécheurs et éliminer le péché (cf: Mt 18, 15-18).

    La parabole commente l'enseignement de Jésus dans le discours sur la montagne (Mt 5-7): Du jugement dont vous jugez, on vous jugera et de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous (Mt 7,2) et encore dans la conclusion du Notre Père: Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi, mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra vos manquements (Mt 6,14-15). L'image de Dieu évoquée par cette histoire est cohérente avec celle du reste de l'évangile comme avec l'ensemble de la tradition biblique. Jésus ne veut pas faire peur à ses auditeurs mais présenter les exigences concrètes d'une vraie fidélité: être disciple suppose la capacité de pardonner.

Combien de fois devrais-je pardonner à mon frère? (cf. v. 21)
   Jésus reconnaît comme frère, sœur, mère toute personne qui accomplit la volonté du Père (Mt 12,50). Tous les membres de la communauté sont frères (Mt 23,8). La question de Pierre concerne donc les relations entre chrétiens: quand mon frère commettra des fautes contre moi (v. 21). Précédemment Jésus avait abordé le cas des fautes commises contre la communauté (cf. Mt 18,15); la question soulevée ici concerne plutôt les conflits entre les personnes. Aucun délai n'est mentionné pour les sept pardons envisagés. Sept fois est déjà une expression de totalité; pardonner sept fois, c'est pardonner à chaque fois qu'une occasion de le faire se présente. Pardonner soixante-dix fois sept fois, c'est pardonner au superlatif. La réponse de Jésus ne contredit pas la suggestion de Pierre, elle renchérit sur elle. Jésus veut souligner à quel point le pardon est essentiel au maintien des relations fraternelles dans l'Église.

En effet, le Royaume des cieux est comparable… (v. 23)
    La parabole commence par une locution conjonctive exprimant un lien de cause à effet: on doit pardonner sans cesse à cause de ce qui suit. De plus, cette parabole concerne le Royaume. Non seulement le pardon est-il nécessaire aux bonnes relations dans la communauté, mais le Royaume des cieux est directement concerné; il ne peut pas s'accomplir dans un monde marqué par la rancune et la vengeance. Et la communauté chrétienne ne pourra devenir signe de ce Royaume en train de naître que si ses membres sont capables de vivre le pardon mutuel, eux qui ont déjà reçu de Dieu le pardon de leurs péchés.

Un roi voulut régler ses comptes avec ses serviteurs (v. 23)
    La même expression revient en Mt 25,19 (et seulement là dans tout le Nouveau Testament). Elle a une portée nettement eschatologique, ce règlement de comptes n'est pas une simple vérification de routine, il revêt un caractère définitif. Même si, dans l'histoire racontée par Jésus, il y a un lendemain à la reddition des comptes, la portée symbolique du récit oriente vers le jugement de Dieu à la fin de la création telle que nous la connaissons. Lorsque viendra le Royaume des cieux, les options des uns et des autres seront irréversibles: Ainsi en sera-t-il à la fin du monde: les anges se présenteront et sépareront les méchants d'entre les justes pour les jeter dans la fournaise ardente; là seront les pleurs et les grincements de dents (Mt 13, 49-50).

Saisi de pitié, le maître… lui remit sa dette (v. 27)
    Voici le cœur de l'argument de Jésus. La dette du serviteur est astronomique; un talent, c'est ce qu'un ouvrier pouvait espérer gagner durant sa vie, dix mille talents représentent les gains de dix mille personnes durant toute leur existence! Dans une perspective strictement d'affaires, il n'y a aucune chance que le débiteur puisse venir à bout d'un tel engagement. Jésus ne veut pas nécessairement décrire une situation réelle mais mettre en relief l'incroyable générosité du roi qui accepte de renoncer à tout remboursement alors que son débiteur lui demandait simplement un délai. Telle est la situation des disciples. Dieu lui-même leur a remis leurs péchés. Lorsque Jésus prescrit de prier en disant: Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes remettons à ceux qui nous doivent (Mt 6,12), il ne minimise pas la difficulté du pardon. Il sait cependant que cette prière est celle des enfants de Dieu, de ceux qui bénéficient déjà de la miséricorde infinie du Père. La seule manière de vivre en fils ou fille de Dieu c'est : Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons…(Mt 5,44-45).

Ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon? (v. 33)
    On connaît bien la loi dite du talion: Vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied (Dt 19,21). À l'origine, il s'agissait d'une mesure destinée à limiter la vengeance. À mesure que progressait le sens moral, les prophètes et les sages s'apercevaient que le recours à la violence ne solutionnait pas les problèmes engendrés par la violence. S'en prendre physiquement à quelqu'un, même de manière limitée et contrôlée, porte atteinte à sa dignité d'enfant de Dieu, créé à son image. Le texte de Sirac proclamé comme première lecture est sans doute l'expression la plus achevée de cette évolution avant l'enseignement de Jésus. Le sage affirme que le pardon des offenses est une condition nécessaire pour obtenir soi-même le pardon: Pardonne à ton prochain le tort qu'il t'a fait; alors, à ta prière, tes péchés seront remis (Si 28, 2). Mais la pratique de la miséricorde n'est pas une affaire de marchandage avec Dieu, elle est une conséquence de la vie dans l'Alliance: Pense à l'Alliance du Très Haut et oublie l'erreur de ton prochain (Si 28, 7). On peut aller encore plus loin et répondre au mal par le bien: Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s'il a soif, donne-lui à boire (Pr 25, 21). C'est, en effet, la seule manière de vaincre le mal: Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien (Rm 12,21).

Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur (Rm 14,8)
    Pour Paul, vivre c'est le Christ (cf. Ph 1, 21). Toute son existence est centrée sur le Christ mort et ressuscité. Rien ne doit pouvoir détourner de lui (cf. Rm 8, 35-37). Voilà pourquoi, en toutes circonstances, son argumentation consiste à ramener ses lecteurs à l'essentiel: qu'est-ce qui fait le mieux grandir en vous la vie du Christ? Telle est la meilleure solution. Dans le débat qui, semble-t-il, agitait la communauté romaine au sujet de certaines pratiques alimentaires, Paul refuse de prendre parti; ce qui importe, c'est la fidélité au Christ, manifestée dans la charité (cf. Rm 14, 13-15). Le pardon mutuel, procédant de la miséricorde de Dieu lui-même, est certainement un des moyens par excellence de vivre pour le Seigneur.

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2022. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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