Fraternité
et responsabilité
La
correction fraternelle (Matthieu 18, 15-20)
Autres lectures : Ézéchiel
33, 7-9; Ps 94(95);
Romains
13, 8-10
La paix et la justice, lentraide et la solidarité,
la promotion sociale et le soutien au développement international
sont autant de manifestations de la fraternité que les sociétés
portent comme un idéal certes, mais surtout comme un projet
à réaliser. LÉglise elle-même est
concernée par ce projet au nom même de sa foi dans
le Christ Jésus. Nest-il pas venu semer dans la terre
humaine le Royaume de Dieu afin quil grandisse jusquà
son accomplissement? Servante de lÉvangile du Royaume,
lÉglise a reçu la vocation et la mission de
témoigner que cette fraternité est possible, en sédifiant
comme une communauté fraternelle et responsable, signe du
Royaume en devenir.
Le passage dévangile de ce
dimanche fait partie de lenseignement de Jésus sur
la vie de la communauté ecclésiale, qui occupe tout
le chapitre 18 de lévangile de Matthieu. Il
sagit dune démarche assez élaborée
pour corriger un frère qui a péché. Nous ne
saurions apprécier le bien fondé de cette démarche
sans dabord la situer dans son contexte.
Sur la terre, vivre comme des frères
à cause de notre Père dans les cieux
À la question des disciples
qui demandant qui est le plus grand dans le Royaume des cieux, Jésus
répond en prenant un petit enfant et en le plaçant
au milieu des disciples (vv. 1-5). Le geste illustre un double message.
Le premier se trouve dans la parole dinterprétation
: la petitesse de lenfant invite à se faire petit et
humble afin daccueillir la Bonne Nouvelle du Royaume de notre
Père qui est aux cieux. La véritable grandeur du disciple
est la confiance quil met en Dieu, attendant tout de lui et
rien de soi. Le salut réside dans le sens que Dieu donne
à notre vie et la foi est notre réponse. Lautre
message ne peut être saisi que par le regard : placé
au milieu du groupe des disciples et par le fait même auprès
de Jésus, lenfant devient le signe de Jésus
qui se tient au milieu de la communauté ecclésiale
et qui est lenfant du Père par excellence. La présence
de Jésus au milieu de ses disciples sera clairement rappelée
à la fin du passage : la communauté tire son existence
de la communion des disciples avec leur Seigneur.
Une deuxième section (vv.
6-14) est encadrée par les mots lun de ces petits
qui sinspire de la mention du petit enfant mais qui renvoie
surtout à toute personne qui, sétant faite petite
et humble comme un enfant, a accueilli le Royaume et est entrée
dans la vie nouvelle. Le respect dû à cet enfant de
Dieu entraîne lobligation, pour les autres disciples,
déviter le scandale qui serait un contre témoignage
à la nouveauté du Royaume et une façon dempêcher
la Parole de croître et de produire ses fruits.
Le message de cette section est clair.
Jésus est lêtre-avec-nous de Dieu, lEmmanuel.
Laccueil que nous lui réservons, en nous faisant humbles,
nous fait devenir enfants de Dieu. À partir du moment que
nous croyons en Dieu et que nous reconnaissons en lui notre Père
des cieux, nous devons considérer et vivre comme des frères
et des surs sur la terre. La communauté ecclésiale
apparaît alors comme le lieu où vivre la fraternité
de manière effective.
Un devoir de responsabilité fraternelle
(Ézéchiel 33, 7-9)
... Si tu ne lui dis pas d'abandonner
sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché,
mais à toi, je demanderai compte de son sang...
La démarche proposée
pour corriger un frère qui a péché sinscrit
dans la foulée de ce qui précède. Le péché
en question nest pas défini, mais on peut supposer
quil peut justement être celui dun frère
qui a causé un scandale. En sécartant gravement
de sa vocation denfant de Dieu et de disciple de Jésus,
il porte atteinte à la communauté et à son
rayonnement. Doù la démarche qui fait appel
à la responsabilité des membres et qui consiste à
laccompagner dans un discernement de sa faute, en vue de sa
conversion, de sa réconciliation et de laccueil du
pardon de Dieu et de la communauté.
Cette démarche est éclairée
par le texte dÉzéchiel que les concepteurs du
Lectionnaire ont choisi pour la 1ère lecture. Laccent
y est mis sur la responsabilité personnelle tant du pécheur
que du prophète. Le prophète a la responsabilité
dexercer sa vocation de gardien de lalliance et dinviter
à la conversion celui qui se montre infidèle aux exigences
de lalliance, tant dans ses rapports avec Dieu quavec
les autres membres du peuple. Le pécheur est lui aussi livré
à sa propre responsabilité : abandonner sa conduite
mauvaise et sattacher au Seigneur. Le prophète et le
pécheur doivent chacun assumer les conséquences positives
ou négatives de leur agir. Dans notre passage dévangile,
les frères qui sefforcent de faire voir sa faute au
pécheur agissent comme le prophète qui fait uvre
de discernement.
La petite parabole de la brebis égarée,
qui précède la démarche de correction fraternelle,
donne lesprit dans lequel doit sexercer laccompagnement
en vue du discernement de la faute. Les frères doivent agir
ni plus ni moins comme le berger qui est la figure de Jésus,
le bon pasteur. La démarche favorise une attitude daccueil
et de respect, de sollicitude et de compassion, à limage
même de la miséricorde de Dieu. Il ne faut donc ménager
aucun effort pour ramener le frère dans la communion ecclésiale.
La chance de devenir comme un petit
enfant
Vue du côté du frère
qui a péché, la démarche de correction est
pour lui loccasion à saisir pour devenir comme un petit
enfant. Le péché nest-il pas une manière
de se considérer grand en se soustrayant au projet du salut
divin et en montrant son autosuffisance par rapport au don de Dieu?
Le repentir et la conversion ne sont possibles que si le pécheur
se fait assez humble et petit pour accueillir en toute confiance
la richesse de la miséricorde divine. Il ne peut sortir que
grandi de son acte dhumilité, car il aura fait lexpérience
de lamour inconditionnel de Dieu. Les autres frères
ont la responsabilité de se mettre au service de cette révélation
de lamour du Père, en agissant eux-mêmes avec
les sentiments du bon pasteur.
La symphonie fraternelle
(Romains 13, 8-10)
...Ne gardez aucune dette envers personne,
sauf la dette de l'amour mutuel...
Cette exhortation de saint Paul
est en parfaite harmonie avec la conclusion de notre passage dévangile
qui met laccent sur la prière et la communion fraternelle.
Linvitation à se mettre daccord (en grec, on
a le verbe symphôneô, qui a donné «symphonie»)
pour sadresser au Père indique que la démarche
de correction est dabord spirituelle et doit sexécuter
dans la disponibilité à laction de Dieu, afin
de laisser transparaître sa miséricorde. On ne saurait
nier le lien entre les deux ou trois réunis au nom de Jésus
et les deux ou trois frères qui accompagnent le pécheur
dans son discernement. Jésus se tient au milieu de ses frères
pour les inspirer et les guider dans une action qui met en uvre
la puissance du salut. Ces paroles sont pleines despérance
et de réconfort pour encourager et faire persévérer
les membres de lÉglise dans lédification
de la fraternité, car celle-ci est un signe tangible de lirruption
du Royaume au milieu de lhumanité.
Yves Guillemette, ptre
Directeur du Centre biblique et du Site InterBible
Source: Le Feuillet biblique,
no 2021. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
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