Un Roi
qui voit la différence
Le jugement dernier (Matthieu
25, 31-46)
Autres lectures : Ézéchiel
34, 11-12.15-17; Ps
22(23); 1
Corinthiens 15, 20-26.28
Parmi mes plus tristes souvenirs, je range ces situations limites
où je n'ai pas reçu de mon entourage le soutien qui
aurait fait la différence entre le désespoir et une
difficulté passagère.
Comme moi, vous pouvez sans doute
vous remémorer des instants sombres dont vous vous dites:
« J'étais dépassé par telle situation
ou par telle injustice. Un tel, une telle en a profité pour
piétiner ma réputation, ridiculiser mon idéal,
cacher mes réalisations. J'avais le cur gros, et cette
personne indigne l'a écrasé du talon de son mépris.
Je me sentais moins que rien, et on m'a anéanti. En me privant
de toute dignité, on a voulu prendre ma place, profiter de
moi. Et je devrais bénir pour le mal que lon a additionné
au malheur? »
À côté de ces
situations horribles, vécues dans le cadre d'un travail ou
d'une relation amoureuse, la joyeuse complicité des bienfaiteurs
décrits dans l'évangile (ces gens qui savent faire
le bien quand ça va mal) a quelque chose de... céleste!
Jésus propose plus que des actes de consolation. Il transforme
les gestes de compassion en moments de rencontre entre l'humanité
et la divinité. Ainsi, des gestes altruistes minuscules et
passagers s'avèrent des carrefours d'éternité!
Au fil de l'évangile
Le célèbre chapitre
25 de l'Évangile selon Matthieu propose d'abord un
langage vigoureux sur Jésus le Christ. Ce langage qui n'a
rien à voir avec les portraits mielleux et pastéliques
qu'on nous a trop souvent servis. Ainsi, par son titre cosmique
de « Fils de l'homme », Jésus est considéré
comme un être qui est plus grand que notre monde. Il vient
en gloire, ce qui indique selon le vocabulaire de jadis que c'est
un être de très grande réputation. Accompagné
de tous les anges, Jésus mérite d'être traité
en égal de Dieu : il a à son service les messagers
même de Dieu. Enfin, cet être supérieur surpasse
toutes les entités politiques, ce qui est démontré
par le fait que toutes les nations sont rassemblées devant
lui.
Une fois ce portrait élogieux
bien tracé, le texte de l'évangile amène ses
lecteurs sur un tout autre terrain. Nous passons de la grandeur
royale à la petitesse du quotidien. Jésus pose un
geste analogue à celui du berger qui doit trier les bêtes
du troupeau. Vient-on de diluer la force du début de l'évangile
en abaissant ainsi le niveau de langage? Non pas. Ce geste analogue
à ceux des bergers est un acte de jugement, de séparation,
de délimitation qui appartient en propre au pouvoir judiciaire
du roi. Jésus sépare et répartit en groupes
distincts les membres de l'humanité parce quil a reçu
de Dieu ce mandat.
Suit un catalogue de situations au
premier regard bien banales. Il est question de boire, de manger,
de se vêtir
Cette liste de situations où s'exerce
la compassion est devenue célèbre. Facile à
retenir, elle cartographie le difficile quotidien des gens du Proche-Orient
ancien avec une redoutable efficacité. Les besoins primaires,
fort difficiles à satisfaire à l'époque, recoupent
le manger et le boire, la vie relationnelle (appartenir au groupe
est impossible si on est étranger ou en prison), la protection
du corps (vêtement et santé peuvent être impossibles
en cas de nudité et de maladie).
La grande révélation
faite par le juge, c'est détablir la coïncidence
entre la personne souffrante et la royale présence. Offrir
un geste d'entraide à un « petit », une personne
en apparence peu importante, c'est honorer le Roi des rois. S'abstenir
d'aider quiconque est en détresse, c'est attaquer le Roi.
Des gestes à la portée de toute personne de bonne
volonté deviennent ainsi passeport d'éternité!
Un jugement pour aujourd'hui
Ainsi, par ses images et par sa structure,
l'évangile rappelle à ses lecteurs qu'on ne peut longtemps
vivre entre deux eaux. Si on prend Jésus au sérieux,
si on décide de vivre en relation avec l'envoyé de
Dieu, les gestes du quotidien doivent traduire une adhésion
réelle.
Certes, la vie d'aujourd'hui est
infiniment plus riche et plus complexe que celle des premières
générations chrétiennes. Au temps de Jésus,
les gens passaient la plus grande partie de leur vie dans le cercle
étroit du clan familial. En dehors de ce cercle de relations,
les gens se sentaient impuissants. On comprend le drame vécu
par des étrangers ou des prisonniers... Les journées
des contemporains de Jésus étaient consacrées
le plus souvent à des activités de survie élémentaire
rendues difficiles par un environnement semi-désertique:
se nourrir, boire, se vêtir... On comprend l'insistance de
Jésus sur les gestes de partage. N'allons pas croire que
nous soyons désormais au-dessus de ces préoccupations
élémentaires. Lévangile ne méprise
pas les possibilités extraordinaires du temps présent.
Il nous défie de garder les yeux rivés sur les nécessités
élémentaires que plusieurs contemporains peinent à
satisfaire. Il y a encore des faims et des soifs à satisfaire,
des barrières sociales à déboulonner et des
prisons à ouvrir, des maladies à vaincre...
Prenons le temps, en ce dimanche,
de nous demander ce que nous aurions à offrir au Juge souverain
pour témoigner de notre attachement à Jésus.
Qu'en est-il de notre soutien à
ceux et celles qui ont faim du nécessaire pour fonctionner
dans le monde actuel? Pensons aux personnes qui ont soif de formation,
aux gens qui restent étrangères aux possibilités
de communication du cyberespace, aux gens emprisonnés dans
leurs limites et qui ne seront jamais convoqués dans une
équipe de travail... Souvenons-nous aussi des jeunes qui
ne peuvent affronter les tâches de développement de
leur personne parce que leur corps n'est pas tout à fait
conforme aux critères des magazines de beauté... Mesurons
l'ampleur des maladies qui sont générées par
la nourriture trop transformée ou par l'environnement intoxiqué...
Que de champs d'intervention possible pour améliorer le monde!
Décidément, cet évangile du grand jugement
est une source d'inspiration intarissable, d'une époque à
l'autre!
Un engagement dans l'alliance
Les défis lancés par
Jésus appellent aussi une lucidité décapante
quant aux conséquences spirituelles de nos actions. Dans
les modestes recoins des décisions quotidiennes se joue l'avenir
de notre relation avec Dieu. Des décisions si menues qui
peuvent avoir d'aussi énormes conséquences: quelle
révélation!
Alors, revisitons les terrains où
le Roi observe la compassion des gens de l'antique époque.
Demandons-nous qui souffre de la faim ou de la soif, qui se sent
étranger ou nu, qui est malade ou en prison. Voilà
une belle porte ouverte sur une nouvelle vision de la pratique chrétienne.
Au-delà de la célébration, de la méditation,
de l'éducation à la foi, il y a l'inépuisable
palette des tâches suggérées par l'air du temps
pour combler les besoins humains les plus élémentaires,
les plus récurrents...
Alain Faucher, ptre,
bibliste
Québec
Source: Le Feuillet biblique,
no 2032. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
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