La vision de Pierre à Joppé. Federico Zuccaro.
Dessin de la fin du 16e siècle. Musée du Louvre, Paris (© RMN).
Un drap rempli de nourriture qui descend du ciel
Martin Bellerose | 16 octobre 2023
Cela arrive parfois qu’il y ait de belles ressemblances entre certains passages du Coran et ceux du Nouveau Testament. Nous abordons un texte des Actes des apôtres dans lequel Pierre a une vision d’un drap rempli de nourriture qui descend du ciel et un passage du Coran dans lequel les disciples de Jésus lui demande de faire descendre du ciel une table avec de la nourriture.
La vision de Pierre
Le récit jusqu’à son aboutissement couvre l’ensemble du chapitre 10 des Actes de apôtres. Le texte nous raconte que Pierre était monté sur la terrasse de la maison où il habitait à Joppé pour prier. « Il contemple le ciel ouvert : il en descendait un objet indéfinissable, une sorte de toile immense, qui, par quatre points, venait se poser sur la terre. Et, à l’intérieur, il y avait tous les animaux quadrupèdes, et ceux qui rampent sur la terre, et ceux qui volent dans le ciel. Une voix s’adressa à lui : « Allez, Pierre ! Tue et mange » (Actes 10,11-13). Ce que Pierre refusa. Cela se produisit trois fois et une voix lui dit : « Ce que Dieu a rendu pur, tu ne vas pas, toi, le déclarer immonde ! » (v. 15)
Juste avant Pierre, Corneille, un centurion de Césarée avait eu la même vision. Ce dernier croyait en Christ mais était d’origine païenne. Corneille a fait chercher Pierre afin qu’il vienne le trouver à Césarée. Une fois chez Corneille, Pierre prit la parole et commença à témoigner de la résurrection de Christ (vv. 34-43).
L’effusion de l’Esprit sur les païens
Pierre était en train de parler lorsque l’Esprit saint se manifesta sur les païens qui se trouvaient dans la demeure de Corneille. « Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre : ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint était maintenant répandu ! » (v. 45). Les païens parlaient en langues et Pierre les fit baptiser dans l’eau au nom de Jésus-Christ.
La vision que Pierre a eu à Joppé l’invitait à transgresser les interdits de rencontre interreligieuses. Invité à manger des animaux « impurs », à partager sa foi en Christ avec des gens d’une autre religion, des païens, voilà l’œuvre de l’Esprit. Car en faisant entrer en communion des personnes d’horizons différents, l’Esprit saint les sanctifie.
La Table servie dans le Coran
Nous trouvons également dans un passage du Coran un récit très semblable à celui des Actes des apôtres où le Seigneur fit descendre un repas du ciel. « (Rappelle-toi le moment) où les Apôtres dirent : « Ô 'Isa (Jésus), fils de Maryam (Marie), se peut-il que ton Seigneur fasse descendre sur nous du ciel une table servie ? » Il leur dit: « Craignez plutôt Allah, si vous êtes croyants » (Sourat 5,112). On ajoute un peu plus loin : « Ô Allah, notre Seigneur, dit 'Isa (Jésus), fils de Maryam (Marie), fais descendre du ciel sur nous une table servie qui soit une fête pour nous, pour le premier d’entre nous, comme pour le dernier, ainsi qu’un signe de Ta part. Nourris-nous : Tu es le meilleur des nourrisseurs. » « Oui, dit Allah, Je la ferai descendre sur vous. Mais ensuite, quiconque d’entre vous refuse de croire, Je le châtierai d’un châtiment dont Je ne châtierai personne d’autre dans l’univers » (Sourat 5,114-115).
Même si le Coran ne parle pas explicitement d’une présence du Roh al Qudus (l’Esprit de sainteté) lors de ce repas, l’œil chrétien qui lit ce récit verra sans difficulté l’Esprit à l’œuvre puisque dès que le repas est servi, on ne peut faire autrement que croire en Dieu. Cette foi, le chrétien la comprend comme étant un don de l’Esprit saint.
Et aussi dans la tradition juive…
Dans la tradition juive, il est question au chapitre 16 de l’Exode, bien que le récit résonne un peu différemment à nos oreilles, d’une nourriture descendue du ciel et provenant directement de Dieu : il s’agit de la manne. Il ne faut pas oublier que la manne survient alors que le peuple d’Israël migre par le désert, une migration plus difficile que ce qu’on aurait pu souhaiter. Le texte insiste sur le fait que le Dieu d’Israël pourvoit, même miraculeusement, aux besoins de son peuple.
En conclusion
Il n’est pas rare de trouver, dans différentes traditions religieuses, des textes qui portent sur la création et qui se ressemblent. Mais la ressemblance de textes à portée sotériologique, comme ceux auxquels nous nous sommes référés ici, est moins habituel. Le salut passe par notre foi en ce que le Seigneur pourvoit et veille à notre bien-être. Aussi, le salut n’est pas quelque chose qui se vit seul, cela se vit dans la rencontre. Dans les Actes, on fait communier en l’Esprit des positions religieuses païennes et juives pourtant diamétralement opposées pour tout ceux qui croient en Christ. Même dans le Coran, c’est Christ qui coordonne le repas, c’est lui qui fait en sorte qu’il y ait rencontre entre Dieu et des êtres humains et à partir de là, dit-on, il n’est plus possible de ne plus croire. Il est notoire de voir la similitude de ces récits qui s’inscrivent dans des traditions abrahamiques qui pourtant ont beaucoup de mal à se rencontrer entre elles.
Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.