Le Christ et la Syro-phénicienne. Mattia Preti, c. 1665-1670.
Huile sur tilleul, 123 x 172 cm. Collection de la Cassa di Risparmio die Calabria e Lucania, Consenza (Pinterest).
Jésus et ses relations avec les femmes
Martin Bellerose | 19 juin 2023
Le présent texte résume, dans ses grandes lignes, mon intervention du 4 mai dernier lors du Colloque de la Table interdénominationnelle de pastorale auprès des travailleurs migrants agricoles (TIDPTMA) qui a eu lieu au Collège presbytérien à Montréal et dont le thème était « La situation des femmes travailleuses étrangères temporaires ».
Évidemment, Jésus n’a pas tenu de discours à propos des femmes travailleuses migrantes agricoles. Cependant sa propre attitude envers les femmes, la façon dont il entre en relation avec elles, surtout avec les femmes marginalisées ou socialement méprisées, peut inspirer nos relations avec les femmes en générale et particulièrement avec celles qui se trouvent en situation de vulnérabilité comme les travailleuses migrantes agricoles.
Ce que Jésus fait essentiellement est de briser et déconstruire les rôles et attributs socialement considérés comme propres au genre féminin. En brisant cette compréhension des rôles, il construit un nouveau type de relation basé sur l’égalité ; il rejette donc la hiérarchie des genres et l’infantilisation des personnes sur la base de la génitalité.
Nous aborderons ici quatre récits 1) celui de la résurrection, 2) la rencontre avec la femme samaritaine, 3) la rencontre avec la femme cananéenne ou syro-phénicienne et 4) le récit de l’accueil que Jésus reçoit chez Marthe et Marie. Je conclurai en ressortant quelques pistes praxiques des textes que nous aurons vus.
Le jour de la résurrection
Jésus apparût aux femmes tel qu’il était (Mt 28,9). Contrairement au récit avec les disciples d’Emmaüs auxquels il apparait comme un étranger résident à Jérusalem, il se présente dans toute sa gloire aux femmes, il ne « s’abaisse » pas « à leur niveau ». Il est authentique avec elles. Il a une pleine confiance qu’elles peuvent le reconnaitre « malgré » son corps glorifié. Ce que d’autres disciples ont eu du mal à faire. De plus, il investit les femmes d’une mission, celle de l’annonce de la résurrection (étrange que certains courants chrétiens restreignent le rôle que les femmes peuvent jouer dans l’annonce et l’édification du Royaume).
Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui. Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » (Mt 28, 8-10)
Avec la Samaritaine
Pour des raisons historiques, les juifs, « les vrais » sont, selon leur propre compréhension, ceux qui sont descendants des exilés ; ils n’ont pas beaucoup de considérations pour ceux, pourtant juifs, dont les ancêtres ont épousé des étrangers non juifs et qui n’ont pas été exilés. La Samaritaine porte donc un double stigmate : elle est à la fois femme et descendante des juifs de Samarie. On dirait d’elle aujourd’hui qu’elle est « intersectionnelle ». Jésus ne porte aucun jugement moral sur la femme ; il l’interpelle même si elle ne correspond pas aux standards sociaux d’une « femme convenable » (Jn 4,15-19).
Dans sa rencontre avec cette femme, Jésus remet en cause ce que nous nous permettons d’appeler « la perspective esdrasienne » du judaïsme et lui préfère une lecture « jonasienne ». Au retour d’exil, Esdras n’avait pas accepté l’aide des juifs jérusalémites qui étaient restés dans cette ville pendant l’exil. Il prônait un peuple de juif « pur » et il avait interdit aux juifs revenant d’exil de se marier avec des étrangères. Ceux qui avaient déjà marier une étrangère, il leur demanda de rompre leur union maritale (Esd 9,10). Jésus croit plutôt en un judaïsme comme nous le montre le livre de Jonas, un judaïsme qui s’annonce aux païens et auquel les païens peuvent adhérer (Jon 1,4).
Aussi, la Samaritaine est selon Jésus une personne crédible et digne de confiance pour porter témoignage sur lui : elle l’a reconnu comme prophète. C’est elle qui annonce la présence de Jésus aux gens de l’endroit et ceux-ci ne remettent pas en doute ce qu’elle affirme et croient sa parole (Jn 4,39).
La Syro-phénicienne
Le récit en Marc 7,24-28 opère un changement de paradigme. Il relate « la conversion de Jésus » à une autre perspective du judaïsme que celle d’Esdras. Le texte laisse entendre que, jusqu’à cette rencontre, Jésus considérait être venue pour le seul peuple d’Israël, dans la lignée de la « perspective d’Esdras ». Une femme s’approcha de Jésus.
Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance. Elle demandait à Jésus de chasser le démon hors de sa fille. Jésus lui disait : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » (Mc 7,26-27)
Certains textes de l’Ancien Testament nous présentent des femmes convaincantes par leur charme et leur beauté (Judith, Ester, Ruth). Dans ce récit, la Syro-phénicienne qui vient demander une faveur à Jésus n’est pas présentée comme une femme qui vient le charmer pour le convaincre. Sa réplique convaincra Jésus, elle le fera même changer d’opinion. Sa foi et son intelligence argumentative sont perçues par Jésus et il lui dit : « À cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille. » (Mc 7,28)
Marthe et Marie
Deux choses sont à souligner à propos de ce récit. On y observe d’abord un renversement de perspective : la place des femmes est aussi « au salon avec les hommes » et remet en cause le rôle de servante.
Comme ils étaient en route, il entra dans un village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe s’affairait à un service compliqué. Elle survint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée. » (Lc 10,38-42)
Nos regards contemporains sur ce texte nous amènent à essayer de voir si nous sommes davantage une « Marthe » ou une « Marie ». Comme si le texte nous invitait à être l’une ou l’autre ou l’une et l’autre. Or, ce n’est ni l’une, ni l’autre que Jésus nous invite à « imiter », mais il nous invite à faire comme lui et à ne pas exiger qu’on le serve, à ne pas porter de jugement sur la façon dont nous sommes accueillis.
Quelques pistes praxiques
Les relations de Jésus avec les femmes nous inspirent une dynamique hospitalière. Il les accueille telles qu’elles sont avec leurs forces, celles de convaincre et d’annoncer. Il n’a pas d’attitude condescendante envers elles. De même, elles le reçoivent tel qu’il est, sa grandeur et sa gloire ne les complexe pas. Elles ont une foi sans bémols, ne remettent rien en doute et croient « en toute connaissance de cause ». Elles ne craignent pas d’assumer cette foi, ce qui demande une grande confiance en soi parce que tous les autres les remettront en question. Leur intégrité, sera mise en cause car ce qu’elles annoncent et les actions qu’elles posent au nom de leur foi sortent de tout entendement.
Dans chaque récit mentionné, Jésus prend l’initiative de reconnaitre des rôles (et non de leur attribuer des rôles) que la société ne leur reconnait pas (porter témoignage, annoncer la foi, etc.) Il n’essaie pas de les faire entrer dans un rôle, mais reconnait le rôle qu’elles jouent et reconnait leurs forces dans ces rôles. Les relations de Jésus avec les femmes ne les promeuvent pas, ce qui serait fondamentalement paternaliste. Il ne fait que reconnaitre leurs aptitudes humaines sans le prisme « ségrégateur » de la catégorisation en genre.
L’infantilisation des femmes travailleuses migrantes temporaires va à l’encontre de ce Jésus nous inspire dans ses relations avec les femmes. À titre d’exemple, le patron qui agit systémiquement comme un conjoint violent lorsqu’il les empêche de sortir pour les « protéger » ; qui retient leur passeport et leur carte d’assurance maladie parce qu’elles pourraient les perdre, et que l’on veille à les isoler du monde extérieur parce que celui-ci pourrait avoir de mauvaises influences sur elles. Une telle attitude ne saurait se prétendre inspirée par la foi chrétienne et par l’agir de Jésus dont témoignent les Évangiles.
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.