L’apôtre Pierre. Mosaïque du VIe siècle. Presbyterium de la basilique Saint-Vital, Ravenne (Bernard Blanc / Flickr).
1 Pierre : une théologie de la migration (5/5)
Martin Bellerose | 15 mai 2023
Le passage spécifique abordé aujourd’hui ne fait pas mention de situations migratoires dans laquelle, soit l’auteur, soit les destinataires de la lettre prendraient part. En fait, nous avons montré au cours des derniers mois à quel point la question migratoire est récurrente dans la lettre. Au chapitre cinquième de 1 Pierre, on y trouve un mot d’encouragement, qui de toute évidence n’est pas seulement valable pour les personnes vivant l’exil à cause de persécution, mais ô combien approprié pour de telles situations.
Il est facile pour un réfugié de se décourager, lorsque le simple aller au marché devient un défi angoissant parce qu’on ne parle pas la langue locale, quand les enfants, parents, conjoint/conjointe restés au pays reçoivent des menaces et qu’on se sent douloureusement impuissant. Lorsqu’il faut traverser la Méditerranée, le Rio Grande ou le Tapon du Darien. Lorsque les démarches administratives n’en finissent plus et que chaque demande de document exige qu’on fasse la demande de deux ou trois autres documents, ainsi de suite et ce indéfiniment.
Le réfugié sent chaque jour le poids des situations que nous venons d’énumérer et cela, sans compter les remarques des gens qui n’ont jamais vécus ces situations et qui leur trouvent toujours une solution « facile ». On leur dira que s’ils ne comprennent pas la langue de l’endroit, ils n’ont qu’à l’apprendre. Ce sont souvent des unilingues qui passent ce genre de commentaires. On leur demandera pourquoi ils ont abandonné leurs parents ou enfants s’ils les savaient menacés? On leur dira que s’ils ne sont pas contents des conditions d’accueil, ils n’avaient qu’à rester chez eux.
N’oublions pas que les destinataires de 1 Pierre sont ces réfugiés. Ils ont à lutter contre les préjugés et la discrimination. Même si on les a accueillis là où ils se trouvent, leur acceptation dans la société d’accueil n’est pas gagnée d’avance. C’est pour cela que l’auteur de la lettre leur recommande d’avoir une bonne conduite parmi les païens « afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, ils soient éclairés par vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa venue » (1 Pierre 2,12).
Il reste que la vie au quotidien de celui qui vit comme réfugié est lourde. La péricope qui suit de 1 Pierre 5 agit comme un baume :
Humiliez-vous donc sous la main puissante de Dieu, afin qu’il vous élève au moment fixé ; déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. Soyez sobres, veillez ! Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi, sachant que les mêmes souffrances sont réservées à vos frères dans le monde. Le Dieu de toute grâce, qui vous a appelés à sa gloire éternelle en Christ, vous rétablira lui-même après que vous aurez souffert un peu de temps ; il vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables. À lui la domination pour les siècles ! Amen. (5,6-11)
« Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous » (v. 7). Le recours à Dieu et à la prière apparait comme étant illusoire aux yeux de celui qui ne croit pas en Dieu. Pour le chrétien, il en est tout autrement. Lorsque les journées sont difficiles et que la vie semble sans issue, on trouvera quelqu’un à qui se confier, à qui s’en remettre, mais pour le réfugié ce quelqu’un n’existe pas. Il est soit un compagnon de route qui a lui-même son propre fardeau ou quelqu’un qui nous accueille et n’arrivera jamais à comprendre ce que nous vivons comme réfugié et notre façon de vivre comme réfugié. Ce verset ci-haut cité est tellement approprié en situation de refuge !
En situation de refuge, la foi en un avenir meilleur est le leitmotiv de tout déplacement humain qui pour le chrétien prend sa source en Genèse 12 lorsque Dieu dit à Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai.Je rendrai grand ton nom.Sois en bénédiction. » (12,1-2) L’adversaire qui rôde comme un lion rugissant est le découragement et l’abandon. Persister à croire que les choses se rétabliront est salutaire. Saisir que ce temps de détresse où nous avons appris à nous abandonner à Dieu nous affermit, nous fortifie et nous rend inébranlable. Cette attitude fera en sorte que le réfugié prend dignement la place qui lui revient dans la société qui l’a, tant bien que mal, accueillie.
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.