Pierre tentant de marcher sur les eaux. François Boucher 1766. Huile sur toile, 235 x 170 cm. Cathédrale Saint-Louis de Versailles (Wikimédia).
Lire la Bible pour la mettre en pratique
Martin Bellerose | 18 octobre 2021
Le 14 mai 2021, lors de la réunion de la Table interdiocésaine de pastorale auprès des travailleurs migrants agricoles (TIDPTMA) [1], les participants se sont posé la question : à quels textes bibliques pense-t-on lorsqu’il est question du ministère de présence auprès des travailleurs migrants agricoles? Les membres de cette table sont des agents de pastorale catholiques, bénévoles ou engagés par leur diocèse ou bien ils sont protestants-évangéliques et ont à cœur de servir le Seigneur auprès de ces travailleurs migrants. Nous allons, dans les lignes qui suivent, tenter de faire part de leurs réflexions quant aux sources bibliques qui les motivent dans leur ministère de présence.
On passe trop souvent sous silence le travail, souvent dans l’ombre, des « pasteurs » qui accompagnent de différentes façons les travailleurs saisonniers. Ils sont peu connus, et surtout on ignore tout de leur ministère. Cet engagement auprès des travailleurs migrants agricoles, ils le doivent à leur foi chrétienne. En conséquence, leur propre lecture de la Bible se trouve à la source de leur implication.
Au cœur de l’Évangile de Matthieu
Quant aux textes qui les inspirent le plus dans leur ministère, même si l’ensemble de la Bible est source d’inspiration pour ces personnes engagées, l’Évangile de Matthieu reçoit une affection particulière. Entre autres passages soulevés, on retrouve l’ensemble du chapitre 6. Dans la première moitié du chapitre, il y est question de ce que nous voulons faire pour plaire à Dieu ou, dit autrement, pour libérer l’humain de l’oppression dont il souffre. On y parle d’aumône, de jeûne et de prière ; c’est aussi dans ce chapitre que Jésus nous enseigne le « Notre Père ». Un élément bien présent dans ces péricopes et que l’on retrouve au tout début du chapitre 6 : « Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ; sinon, pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. » (Mt 6,1) Cet aspect des gestes que nous posons en faveur des autres est aussi une importante caractéristique du ministère de présence auprès des personnes marginalisées, de ne pas chercher la reconnaissance, surtout pas celle de ceux et celles qu’on veut aider.
Un autre passage de Matthieu (14,22-35) a été soulevé, celui où Jésus marche sur les eaux et Pierre descend de la barque pour aller le rejoindre en marchant, lui aussi, sur l’eau. Le vent se fait de plus en plus de fort et les vagues de plus en plus hautes. « Mais, en voyant le vent, il eut peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus, lui tend la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (Mt 13,30-31). Certains voient leur ministère un peu comme ça : ils ne sont pas là pour marcher sur l’eau à la place de celui qui est appelé à le faire mais plutôt de tendre leur main lorsque l’autre s’enfonce. Les gens de la TIDPTMA savent bien que souvent ils calent, la foi est mise à l’épreuve et, tel Jésus, un travailleur agricole apparaît et leur tend la main. Parce que dans un ministère de présence, il n’y en a pas un qui « apporte » toujours et l’autre qui « reçoit » toujours. En même, temps il est clair qu’il ne s’agit pas d’une présence qui est celle d’un spectateur que ne prend jamais part à l’action. Cette présence à l’autre, comme plusieurs l’ont noté lors de la rencontre, se veut proactive. Tout comme Jésus n’a pas marché sur les eaux à la place de Pierre, il ne l’a pas regardé passivement se laisser engloutir par les vagues, il lui a tendu la main. C’est ce genre de présence à l’autre qui inspire les gens de la TIDPTMA dans leur ministère auprès des travailleurs migrants agricoles.
On a aussi évoqué Matthieu 13,54-58. Parfois, dans leur labeur pastoral, ils se sentent un peu comme Jésus lorsqu’il est allé prêcher à la synagogue de son village natal ; on ne lui accordait pas beaucoup de crédibilité. Lorsque l’on doit interpellé la société civile ou les membres de nos églises, on se sent un peu comme Jésus dans le passage mentionné.
Vivre une Pentecôte dans la pratique du ministère
Dans ce ministère de présence, ceux et celles qui le pratiquent ne doivent pas, comme quelqu’un le mentionnait lors de la réunion, considérer la barrière de la langue comme un obstacle ou un empêchement. Cette barrière peut même constituer une occasion à saisir afin de demander de l’aide à d’autres, de solliciter la solidarité et l’empathie d’autres personnes pouvant aider à la traduction. De cette manière s’accomplira la parole des Actes des apôtres : « car chacun les entendait parler sa propre langue » (Ac 2,6). Et ainsi, être à l’écoute, comme le disait quelqu’un d’autre, et « remplir leurs besoins » sans qu’ils aient à dire ce dont ils ont besoin. Cela se concrétise lorsque l’on place la dignité de l’être humain et la justice que Christ apporte au cœur de notre présence à l’autre.
[1] Étaient présents à la réunion : Daniel Pellerin, Claire Lavoie, Andrée Turgeon, Bart Sellitto, Richard Nucci, Christophe Poittevin, Martin Bellerose, Nelson Mendez, Eleana Jaramillo. La TIPTMA est un regroupement œcuménique qui déborde le cadre diocésain : des chrétiens évangéliques y sont aussi présents.
Martin Bellerose est professeur à l’Institut d’étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission.