Fragment en akkadien du mythe d’Adapa, un récit mésopotamien de la période néo-assyrienne.
Argile, 7e siècle avant notre ère (© Morgan Library).
Intelligence artificielle et textes cunéiformes
Sylvain Campeau | 5 juin 2023
On parle beaucoup d’intelligence artificielle dans l’actualité pour nous alerter sur les dangers potentiels ou les dérives de son utilisation. On oublie que cette technologie est déjà intégrée à plusieurs applications et qu’elle est prometteuse dans certains domaines de recherche comme la traduction des textes anciens pour laquelle des applications comme Google Translate ne sont d’aucune utilité.
La traduction des textes cunéiformes n’est accessible qu’à un petit nombre d’experts qu’on appelle les assyriologues. Or, des centaines de milliers d’inscriptions écrites en cunéiformes ne sont pas encore traduites. L’intelligence artificielle pourrait accélérer ce travail sans toutefois remplacer la révision qui continuera d’être assumée par des spécialistes « humains ».
Dans un article récent de la revue PNAS Nexus, des chercheurs de l’Université de Tel Aviv et de l’Université d’Ariel présentent un nouveau programme capable de traduire automatiquement des textes cunéiformes en anglais [1]. Les auteurs de l’étude ont élaboré une application capable de traduire l’akkadien, l’une des langues anciennes utilisant le système d’écriture cunéiforme. La base de données associée à l’application contient 8000 textes déjà traduits par des experts. Et ce corpus va certainement s’enrichir de nouveaux textes dans les prochaines années, ce qui permettra à l’application d’affiner ses traductions.
Même si de tels programmes informatiques ne remplaceront pas les experts, ils changeront leur manière de travailler et facilitera les études comparatives. L’un des avantages que j’y vois est de pouvoir cibler rapidement les textes sur lesquels un chercheur veut se pencher à cause d’un thème abordé par exemple. En confiant la traduction préliminaire à l’intelligence artificielle, les chercheurs pourront aussi repérer rapidement des œuvres connues et compléter, on peut l’espérer, certaines lacunes de ces textes.
Comme le souligne Shai Gordin, l’un des auteurs de l’étude publiée, « ce que nous essayons de faire, c’est de créer une infrastructure et des outils pour que d’autres puissent y accéder plus facilement et produire de nouveaux matériaux et des recherches qui s’appuient sur notre travail ». En d’autres termes, ce projet de recherche s’inscrit dans l’esprit du DANES (Digital Ancient Near Eastern Studies Network), qui rassemble des assyriologues et des informaticiens d’Israël, d’Europe et des États-Unis. Ce réseau est l’un de ceux qui permettent aux chercheurs de mettre en commun leurs ressources pour développer des projets comme celui de la traduction des textes cunéiformes à partir des nouvelles technologies.
Bien que l’akkadien ait été l’une des principales langues à utiliser le cunéiforme, d’autres langues anciennes du Proche-Orient utilisaient également ce système d’écriture, comme le sumérien, l’élamite, le hittite, l’amorite et l’ougaritique. L’un des prochains développements de l’application sera d’arriver à traduire ces autres langues anciennes qui ont aussi utilisé l’écriture cunéiforme.
Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.
[1] En collab. « Translating Akkadian to English with neural machine translation », PNAS Nexus 2/5 (2023) 1-10.