Tête de Christ. Rembrandt, c. 1648-56. Huile sur panneau de chêne, 35,8 x 31,2 cm. Philadelphia Museum of Art (Wikimedia).
D’un point de vue historique, Jésus a-t-il existé?
Sylvain Campeau | 25 janvier 2021
Invitée à l’émission « Bien entendu » de Radio-Canada, l’historienne Evelyne Ferron laisse entendre qu’il est très difficile, d’un point de vue historique, de répondre à la question par l’affirmative [1]. Elle invoque la thèse du Jésus mythique, « le manque de preuves archéologiques », la faible quantité de sources écrites et le problème chronologique entourant la naissance de Jésus. Examinons ses arguments.
Elle tient la thèse du Jésus mythique du philosophe Michel Onfray [2], une thèse qui n’est pas nouvelle. Elle a d’abord été soutenue par les philosophes Volney et Dupuis au 18e siècle. Elle est reprise par Bruno Bauer au siècle suivant qui n’accorde aucune valeur historique aux évangiles. On pourrait continuer l’énumération des partisans de cette thèse en citant Karl Marx, Arthur Drews et Vladimir Lénine. On peut remarquer qu’aucun de ces auteurs n’est historien.
Les preuves archéologiques sont rarement invoquées pour soutenir l’existence d’un personnage de l’Antiquité. Les historiens basent plutôt leurs travaux sur les sources écrites. Or, dans le cas de Jésus de Nazareth, nous avons une profusion de sources comme nous le verrons plus loin. Il existe toutefois une découverte archéologique qui peut servir de trace indirecte pour rendre plausible les récits de la mort de Jésus. En 1968, dans le quartier de Giv’at ha-Mivtar (Jérusalem), on a retrouvé dans un ossuaire le squelette d’un crucifié (un os est transpercé d’un clou). Cette découverte apporte donc la preuve archéologique de l’application de la peine de mort par crucifixion au premier siècle de notre ère. Cette découverte est passée sous silence par l’historienne mais on comprend que dans les douze minutes de l’entrevue, elle a dû faire des choix.
Quand elle ouvre le dossier des sources documentaires, elle énumère plusieurs sources dont les évangiles canoniques, « une sélection du Moyen Âge », dit-elle [3]! Elle mentionne les textes apocryphes qui proviennent, selon ses dires, « des mêmes auteurs », ce qui est faux. Elle ajoute les sources romaines et admet qu’aucun des auteurs romains qui mentionnent Jésus ne met en doute son existence [4]. Finalement, elle cite les lettres de Paul et l’historien juif du premier siècle Flavius Josèphe. Elle aurait pu ajouter au dossier deux auteurs syriens, Sérapion et Lucien de Samosate, et les écrits rabbiniques. Selon les historiens, le critère des attestions multiples plaide en faveur de la solidité d’une information et dans le cas de Jésus de Nazareth, on peut ajouter le fait que les sources qui nous sont parvenues sont très nombreuses car les spécialistes dénombrent des milliers de papyrus et de parchemins qui contiennent des fragments ou des évangiles complets.
Le problème chronologique entourant la naissance de Jésus est un faux problème. Il faut savoir d’abord que notre calendrier, basé sur la naissance de Jésus, a été calculé par un moine au 6e siècle : Denys le Petit. Selon ses calculs, Jésus serait né en l’an 754 de la fondation de Rome. Mais Hérode le Grand, qui est mentionné au début de l’évangile selon Matthieu, est mort en 750 de ce calendrier. Si l’information de Matthieu est historique, Denys a fait une erreur de calcul. Mais si on comprend le récit de l’évangéliste comme un texte théologique qui parle de royauté dans la ligne des prophéties de l’Ancien Testament en ce qui concerne le Messie, le problème devient secondaire : Jésus est mis en parallèle avec la lignée d’Hérode le Grand dont les fils se sont partagés le royaume à sa mort. Hérode, l’un des fils du fondateur de cette lignée, régnait bel et bien sur la Galilée au moment de la naissance de Jésus.
En résumé, l’entrevue accordée à la radio portait sur un sujet réglé depuis longtemps pour la majorité des historiens : Jésus de Nazareth est un personnage historique et ce n’est pas Constantin qui a commandé la rédaction des textes du Nouveau Testament pour donner plus de crédibilité au mouvement de Jésus qui allait devenir la religion impériale. Ces textes existaient depuis des décennies avant le début de son règne et témoignent de l’existence d’un homme de Galilée condamné comme faux prophète par les autorités religieuses de son peuple avec la complicité de l’occupant romain qui a procédé à son exécution.
Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.
[1] « Bien entendu », un segment de l’émission du 23 décembre 2020 animée par Stéphane Bureau sur la Première chaîne de Radio-Canada.
[2] Michel Onfray, Décadence, Paris, Flammarion, 2017.
[3] Elle n’explique pas ce qu’elle veut dire ici et l’animateur n’a pas relevé le détail.
[4] Elle affirme même que Tacite est « une source solide ».