Le Garizim, mont sacré des Samaritains
Le Garizim est un mont qui domine la ville de Naplouse, dans l’actuelle Cisjordanie, une région que l’on appelait « Samarie » dans l’Antiquité. À cette époque les Samaritains effectuaient des sacrifices animaux non pas au temple de Jérusalem, mais sur le mont Garizim, leur mont sacré. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Samaritains existent encore aujourd’hui, et ils continuent d’effectuer des sacrifices animaux sur le Garizim.
Samaritains réunis pour la Pâque.
Les prêtres samaritains portent un chapeau blanc et rouge,
le grand prêtre est assis au centre.
(photo : C. Boyer)
L’origine des Samaritains remonte au VIIIe siècle avant notre ère, après que le royaume du Nord soit tombé aux mains de l’Assyrie. Malgré les déportations, les Assyriens n’avaient pas laissé déserte cette région appelée « Samarie » ; plusieurs Israélites y étaient restés et des colons d’autres provinces assyriennes vinrent s’y établir. Les Samaritains sont issus du mélange de ces populations, et leur religion du mélange entre le culte à Yahvé et ceux aux dieux étrangers.
À l’époque de Jésus, c’est au temple de Jérusalem que les Juifs venaient offrir leurs sacrifices à Yahvé. Le temple de Jérusalem était érigé sur le mont Moriyya, là où aurait eu lieu le sacrifice d’Abraham (Gn 22,1-18), et il était considéré par l’ensemble des Juifs comme le seul lieu de culte légitime. Mais pour les Samaritains le vrai mont sacré était le mont Garizim. Ils y avaient même fait ériger un temple rival! À l’époque de Jésus, le temple des Samaritains n’existait plus, un roi de la dynastie juive hasmonéenne l’ayant détruit environ cent cinquante ans auparavant; malgré cela les Samaritains continuaient d’effectuer leurs sacrifices sur le Garizim.
Le site archéologique au sommet du mont Garizim
où se trouvent les ruines du temple des Samaritains.
(photo : C. Boyer)
Un autre objet de désaccord entre les Juifs et les Samaritains concerne leurs écrits sacrés. Les Samaritains n’admettent comme livres saints que ceux formant le Pentateuque (la Torah) et non les autres livres bibliques, comme ceux d’Isaïe, de Jérémie, les Psaumes, etc. De plus, le texte du Pentateuque samaritains n’est pas toujours identique à celui des Juifs. Par exemple, dans le Pentateuque samaritain, le dixième commandement indique que c’est sur le mont Garizim que doivent être effectués les sacrifices...
Les Samaritains forment aujourd’hui une toute petite communauté d’environ 650 individus dont la moitié vit dans le village de Kiryat Luza sur le mont Garizim (l’autre moitié vit à Holon, au sud de Tel Aviv). Les Samaritains conservent précieusement les exemplaires de leur Pentateuque, l’un deux ayant été écrit, estiment-ils, moins d’une quinzaine d’années après la mort de Moïse.
Un prêtre samaritain a bien voulu me montrer un exemplaire
du Pentateuque samaritain, et ouvrir le rouleau devant moi.
(photo : C. Boyer)
Dans la parabole du « bon Samaritain », qui présente un Samaritain comme exemple de la bonne façon de se comporter envers son prochain, Jésus va à l’encontre de la mentalité de l’époque (Lc 10,29-37). Car dans l’Antiquité, les Samaritains et les Juifs se détestaient mutuellement. Les évangiles en conservent d’ailleurs la trace. Dans l’évangile de Luc, alors que Jésus et ses disciples se dirigent vers Jérusalem, des Samaritains refusent de les accueillir dans leur village (Lc 9,51-56). Dans l’évangile de Jean, pour insulter Jésus on le traite de « Samaritain » (Jn 8,48). Dans ce même évangile, lors de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine celle-ci lui rappelle que « les Juifs n'ont pas de relations avec les Samaritains » (Jn 4,9). L’opposition entre les deux lieux de cultes rivaux est aussi perceptible dans ce même passage, lorsque la Samaritaine dit à Jésus, concernant le mont Garizim : « Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites : C'est à Jérusalem qu'est le lieu où il faut adorer. » (Jn 4,20)
La Pâque samaritaine
Encore aujourd’hui, à chaque année lors de la Pâque, les Samaritains sacrifient des dizaines de moutons à Yahvé sur le mont Garizim au cours de la cérémonie du sacrifice de « l’agneau pascal ». La Pâque samaritaine dure une semaine et c’est le troisième jour qu’a lieu cette cérémonie. J’ai eu la chance d’y assister, et de très près. Voici en gros comment ça se passe.
Au cours de l’après-midi, les Samaritains effectuent les derniers préparatifs là où aura lieu la cérémonie, sur un des sommets du mont Garizim. Beaucoup de bois est apporté afin d’allumer l’autel et les gros fours de trois mètres de profondeur creusés dans le sol. L’endroit se rempli progressivement de Samaritains venus à la fête, et chaque famille samaritaine apporte un mouton.
Les moutons sont inspectés par un prêtre samaritain.
(photo : C. Boyer)
Pendant ces préparatifs, quelques Samaritains discutent ici ou là, d’autres chantent en chœur, alors que les enfants jouent autour du site ou s’amusent avec les moutons. Les Samaritains mâles sont vêtus de blanc, y compris les enfants. Lorsque tout est prêt, la cérémonie débute : les prêtres forment un cercle et chantent des prières, alors que les autres Samaritains s’alignent le long d’une sorte de petit canal dans lequel s’écoulera le sang des moutons lorsqu’ils seront égorgés.
Les prêtres (à droite) se sont placés en cercle et chantent des prières.
(photo : C. Boyer)
Chaque chef de famille, accompagné de ses fils, tient son mouton d’une main, son couteau bien aiguisé de l’autre, et attend le signal. Je m’attendais à ce que les moutons bêlent et se débattent vigoureusement. Mais non, l’image de Is 53,7, qui a inspiré les premiers chrétiens, reflète bien la réalité.
Tout le monde est prêt, on attend le signal.
(photo : C. Boyer)
Au signal convenu les moutons sont égorgés. Environ cinquante moutons sont ainsi sacrifiés à Yahvé. Puisque le sang est porteur de la vie, comme on peut le lire dans le Pentateuque (Lv 17,11), on le réserve à Yahvé et on le lui offre en le faisant couler sur les parois du petit canal au bout duquel un feu a été allumé. Il s’agit de l’autel.
Libation du sang des victimes sur l’autel.
(photo : C. Boyer)
Chaque Samaritain, après avoir trempé son pouce dans le sang, se touche le front et y laisse une petite trace de sang ; ce rite pourrait bien avoir pour but la protection divine, comme c’est le cas pour le sang de l’agneau pascal placé sur les portes des maisons dans le récit de l’Exode (Ex 12,7.13). Puis les Samaritains s’embrassent et saluent respectueusement les prêtres.
On salue les grands prêtres, et les petits grand prêtres...
(photo : C. Boyer)
On commence à débarrasser les moutons de leur peau et de leurs entrailles. La graisse des moutons est brûlée sur l’autel, car comme le sang, « la graisse appartient à Yahvé » (Lv 3,16).
La graisse des moutons est brûlée sur l’autel.
(photo : C. Boyer)
Fiston samaritain aide papa samaritain.
(photo : C. Boyer)
La peau des moutons n’est pas brûlée sur l’autel, mais au-dessus d’un des cinq gros fours creusés dans le sol. La fumée intense brûle les yeux, irrite la gorge, et l’odeur qui se dégage de tout ça n’est pas particulièrement agréable; mais tout se passe dans un calme étonnant. Pendant tout ce temps-là, les prêtres continuent à chanter, certains préfèrent prier en silence.
Prêtre samaritain en prière au cours de la cérémonie du sacrifice pascal.
(photo : C. Boyer)
Chaque mouton est ensuite embroché sur une longue perche de bois. Lorsque le feu des fours a diminué d’intensité et qu’il ne reste que de la braise, les brochettes géantes sont descendues à la verticale dans les fours. Ces derniers sont refermés à l’aide de grilles et de boue afin que les moutons puissent cuire sans s’enflammer.
On se prépare à descendre les moutons dans les fours (avant-plan)
alors que le feu de l’autel continue à brûler les offrandes (arrière plan).
(photo : C. Boyer)
Les Samaritains reviendront un peu plus tard dans la soirée lorsque les moutons seront cuits. Ils seront consommés en famille dans le cadre du repas pascal. Tout ce qui n’aura pas été consommé au cours du repas devra être brûlé sur l’autel.
Article
précédent :
Jéricho, la ville des palmiers
|