INTERBIBLE
La caravane virtuelle
carnet de voyagefonds d'écran
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Carnet de voyage
 
chameau
Imprimer
chronique du 22 septembre 2006
 

Gaza, une Bande à part
 

L’Ancien Testament relate deux exploits du héros populaire Samson qui se déroulent à Gaza. Le premier est assez curieux : après avoir passé quelques heures auprès d’une prostituée, Samson, traqué par ses ennemis, arrache les portes de la ville et s’enfuit en les emportant sur ses épaules jusqu’à Hébron (Jg 16,1-3). Le second exploit est encore plus extraordinaire : alors qu’il est fait prisonnier par les Philistins et que ceux-ci sont rassemblés dans le temple de Dagôn, Samson s’appuie sur les colonnes et fait s’écrouler le temple sur le peuple en s’écriant : « Que je meure avec les Philistins! » (Jg 16,21-30) Sans doute qu’en se racontant ces légendes reliées à Gaza, les anciens Israélites évacuaient un peu leur frustration de n’avoir jamais pu s’emparer de cette ville philistine.
 

Mosquée

Une mosquée, dans la ville actuelle de Gaza
(photo : C. Boyer)

     Aujourd’hui, avec plus d’un million d’habitants, la ville de Gaza constitue la ville la plus populeuse d’Israël-Palestine. C’est aussi une des plus pauvres. La moitié de ses habitants se compose de réfugiés et de descendants de réfugiés palestiniens de l’époque de la création de l’État d’Israël en 1948. Gaza est située dans la Bande de Gaza, une mince bande de terre longeant la côte méditerranéenne, laquelle forme, avec la Cisjordanie, ce qu’on convient d’appeler les « territoires palestiniens », où vivent des Arabes depuis plusieurs siècles.

     Le démantèlement des colonies juives de Gaza eu lieu en août 2005. Lorsque j’y suis allé, deux ans auparavant, la Bande de Gaza était encore occupée militairement et civilement par l’État d’Israël. Environ 7000 colons juifs, c’est-à-dire, moins de 1% de la population, occupait 42% du territoire. La présence de colons, souvent armés jusqu’aux dents et bénéficiant d’une protection militaire, accentuait les tensions dans la région et affectaient nécessairement la qualité de vie des Gazaouis. Mais surtout, depuis la deuxième Intifada (septembre 2000), Gaza faisait l’objet d’un sévère blocus. Pour des raisons de sécurité, Israël avait fait de la Bande de Gaza une immense prison à ciel ouvert; personne ne pouvait entrer ni sortir du territoire sans permission. Si j’ai pu entrer à Gaza, c’est que j’ai eu la chance d’être invité à participer aux fouilles archéologiques de Gaza conduites par le professeur Jean-Baptiste Humbert de l’École biblique de Jérusalem.
 

affiche

Des affiches avertissent du danger que constituent certains engins explosifs qui pourraient avoir été égarés.
(photo : C. Boyer)

     La ville de Gaza est affreuse. Certains quartiers sont tout simplement des camps de réfugiés qui ont grossi et grossi... des bidons-villes qui sont devenus des « béton-villes ». Plusieurs maisons habitées mais délabrées, beaucoup de boutiques abandonnées, ici et là des bâtisses détruites par l’armée israélienne, et partout des affiches de propagande palestiniennes sur lesquelles figurent les derniers « martyrs ». Et les déchets s’accumulent un peu partout, de sorte que les rues ressemblent parfois à des dépotoirs.

     Mais les Gazaouis sont des gens fiers et particulièrement accueillants. Et malgré leur sort, ils ont toujours le sourire aux lèvres et adorent rencontrer et discuter avec les étrangers. On en viendrait presque à oublier leur condition de vie difficile si chacun n’avait pas sa triste histoire à raconter. Un jeune homme que j’ai côtoyé ne pouvait plus bouger le bras gauche depuis qu’il avait reçu une balle de mitraillette dans l’épaule alors qu’il lançait des pierres sur des chars d’assaut israéliens. Un homme plus âgé me racontait avec nostalgie l’époque où il était camionneur et qu’il faisait des allers-retours entre Gaza et Bagdad, un trajet devenu impossible depuis le blocus.
 

rue de Gaza

Une rue de Gaza
(photo : C. Boyer)

     Deux particularités de la situation socio-économique des Gazaouis m’ont particulièrement frappé. D’abord, la pauvreté de Palestiniens de Gaza n’est pas celle qu’on retrouve dans certains pays dont le manque permanent de ressources a habitué les gens à être pauvres et continuellement dans le besoin, de génération en génération. Beaucoup de Gazaouis sont de «nouveaux pauvres». À les écouter, on a l’impression que plusieurs d’entre eux avaient bénéficié, jusqu’à assez récemment, d’un niveau de vie relativement acceptable, bien qu’affecté par le climat politique malsain de la région. Autre chose frappante : la cohabitation entre riches et pauvres. Il y a bien sûr certains quartiers de Gaza plus pauvres ou riches que d’autres, mais il n’est pas rare que des maisons délabrées et de belles maisons soient situées les unes à côté des autres sur une même rue.
 

fouilles

Fouilles archéologiques à Gaza, conduites par l’École biblique.
(photo : C. Boyer)

     La Bande de Gaza jouit d’une grande richesse archéologique. L’histoire de Gaza débute à l’époque du Bronze, soit quelques 3000 ans avant notre ère. Elle a été longtemps une cité portuaire importante, puisqu’elle était au carrefour de l’Afrique et de l’Asie, et située dans l’axe de deux routes commerciales importantes : la Via Maris (longeant la côte méditerranéenne) et la route de la Trans-Arabie (qui passe par Pétra). Pas étonnant donc d’y trouver la trace des grandes puissances et civilisations qui ont occupé la région dans l’Antiquité (égyptienne, perse, hellénistique, romaine).

     Lors de la saison de fouilles auxquelles j’ai participé à Gaza, les restes d’une habitation ancienne ont été trouvés, et une des pièces semble avoir été un triclinium, c’est-à-dire une salle à manger où les gens s’allongeaient pour prendre leur repas, comme ça se faisait dans l’Antiquité (ainsi à l’époque de Jésus, voir Lc 14,8 en grec). On pouvait encore y voir les enduits rouges, noirs et jaunes qui recouvraient les murs. Il se pourrait bien qu’il s’agisse d’une riche habitation d’époque hellénistique.
 

professeur Humbert

L'archéologue Jean-Baptiste Humbert observant ce qui pourrait bien constituer une demeure hellénistique.
(photo : C. Boyer)

     Le climat politique actuel dans la Bande de Gaza n’est évidemment pas très favorable à la conduite de fouilles archéologiques dans la région. Peu d’institutions osent s’aventurer à conduire des fouilles dans de telles conditions. Aussi est-il dommage que la protection du patrimoine historique ne bénéficie pas de toutes les ressources dont elle aurait besoin. Plusieurs sites sont victimes de ce qu’on appellerait le « pillage archéologique ». Ainsi, un entrepreneur en construction qui m’a fait visiter son jardin avait décidé de décorer l’entrée de sa maison avec divers vestiges archéologiques trouvés sur ses chantiers de construction...
 

vestiges

Chapiteaux, sections de colonnes, poteries et autres vestiges anciens utilisés comme décoration.
(photo : C. Boyer)

     L’archéologie comme discipline rigoureuse n’est pas pratiquée depuis longtemps par les Palestiniens. Les Palestiniens qui travaillent en tant qu’« archéologues » dans la Bande de Gaza n’ont souvent pas la formation ni l’expérience nécessaire à la conduite de fouilles archéologiques. Dans certains cas, si elle n’est pas supervisée par une institution professionnelle, l’entreprise peut facilement prendre la forme d’une chasse au trésor, dont le but consiste moins à rechercher ce qui pourrait permettre de reconstituer et comprendre le passé, qu’à trouver des choses impressionnantes à exhiber aux éventuels touristes. Il est malheureux de voir que certaines fouilles archéologiques dans la Bande de Gaza sont effectuées au bulldozer...

Chrystian Boyer

Article précédent :
Pétra, capitale des Nabatéens

 

 

| Accueil | SOURCE (index) | Carnet de voyage (index) | Vous avez des questions? |

www.interbible.org