L’homme à la main desséchée

L’homme à la main desséchée. James Tissot, c. 1886-1896
Aquarelle opaque et plomb sur papier vélin, 21,9 x 16 cm. Brooklyn Museum, New York

Comment vivre le jour du sabbat ?

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 30 avril 2018

Début de la série : Du débat sur le sabbat à la relation à Dieu

Relire : Une guérison le jour du sabbat (Marc 3,1-6)

Mais eux se taisaient… (Mc 3,4) Ces quelques mots sont lourds de sens. Ils suffisent pour faire ressentir l’atmosphère qui s’installe dans la synagogue. Les scribes et pharisiens ont mis l’observance la plus scrupuleuse aux préceptes de la Loi, au cœur de leurs pratiques religieuses. On devine qu’ils ne sont pas disposés à cautionner la moindre exception. De son côté, Jésus veut que l’on place le précepte de la Loi au niveau de cet homme handicapé. C’est la raison qui le pousse à le mettre au centre de l’assemblée et de la discussion. Pour lui, nous l’avons déjà vu, le bien de la personne passe en première ligne et relativise le caractère absolu d’une loi qui organise la vie cultuelle et sociale. Ce faisant, il suscite une profonde irritation. Ses détracteurs se gardent bien d’entrer dans la réflexion qu’il cherche à ouvrir. Ils se taisaient… pour ne pas se laisser entraîner au niveau de cette situation concrète. Ils pressentent trop bien de quel côté veut les entraîner le rabbi de Nazareth. Ce dernier est navré de l’endurcissement de leurs cœurs. Le regard qu’il promène sur eux est chargé de colère. Il sait qu’il ne les fera pas changer d’avis. Le refus dans lequel ils s’enferment, est pour lui très dur à supporter, mais ne le fait pas dévier de sa ligne de conduite. À ses yeux le sabbat est par excellence une célébration de la vie. Pour le manifester ouvertement, il guérit l’infirme qui est resté devant lui. La suite est inévitable : « Une fois sortis, les pharisiens se réunirent en conseil avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr. » (Mc 3,6) Marc tient à souligner que l’opposition à Jésus commence dès le début de sa prédication en Galilée, avant d’atteindre son paroxysme devant les autorités juives de Jérusalem.

Arrêtons-nous sur cet épisode de la vie de Jésus. Il nous permet de mettre en valeur quelques éléments de réflexion qui nous concernent directement. Posons une simple question : Que signifie cet acharnement contre Jésus, qui ne cesse de grandir dans l’évangile de Marc? La raison essentielle tient au fait que Jésus annonce un Dieu diffèrent, un Dieu qui dérange les convictions et les croyances de ses contemporains, mais également les nôtres.

Rappelez-vous les rencontres précédentes : Jésus a pitié du lépreux qui vient à lui, et il pose sa main sur lui, même si son geste le rend impur au regard de la Loi; il refuse la classification des hommes entre justes et pécheurs et ne manifeste aucune réticence à s’asseoir à la table de Matthieu le publicain. Bien plus, il en fait son disciple en ouvrant la perspective sur un Dieu qui préfère la miséricorde à tous les sacrifices. Après les premières polémiques survient une confrontation directe entre lui et les pharisiens qui lui reprochent de ne rien dire à ses disciples qui cueillent quelques épis de blé pour calmer leur faim durant un jour de sabbat. Bien plus, il minimise le caractère absolu de la loi mosaïque en ajoutant que le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. La tension entre Jésus d’un côté, et les scribes et pharisiens de l’autre, n’a fait que monter. Dans la synagogue, ce jour-là, elle est à son comble et Jésus la ressent profondément. Mais il ne change rien de son comportement. Pour lui, le jour du sabbat est par excellence un jour où il faut faire le bien plutôt que le mal, ou sauver une vie et de ne pas la laisser mourir. Les actes de miséricorde envers le prochain sont plus en accord avec le désir de Dieu que l’observance stricte d’un précepte de la Loi, précisément parce que Dieu est miséricorde. En ne mettant l’accent que sur la stricte observance des lois et des plus petits préceptes, les scribes et pharisiens ont fini par l’oublier et fait de Dieu un juge impitoyable qui repousse loin de lui ceux et celles qui en sont incapables. Deux conceptions de Dieu et de la vie religieuse s’affrontent ici. D’un côté, celle du pharisien qui monte au Temple pour présenter à Dieu le catalogue de tout ce qu’il a fait pour obtenir ses faveurs et de l’autre, celle du publicain qui n’a rien d’autre à dire que « prends pitié du pécheur que je suis! » Seul le publicain, dit Jésus dans la parabole, rentre chez lui justifié, parce qu’il s’en remet à la miséricorde de Dieu.

Voilà bien une bonne nouvelle qui nous concerne encore aujourd’hui. Je pense à toutes les personnes qui sont restées traumatisée par une éducation de la peur de Dieu. L’Église elle-même a trop longtemps soumis ses propres fidèles au « diktat » de la Loi, agissant comme si la miséricorde n’était pas au cœur du message de Jésus. Il faut reconnaître que la religion a trop longtemps été utilisée par les pouvoirs en place comme garante de l’ordre social. Par bonheur, la sécularisation est venue, qui place le religieux sur les marges de la société. Ce faisant elle la libère du conformisme ambiant, lui permettant de retrouver sa liberté et sa force d’interpellation qui lui permet de placer le bien de la personne humaine au cœur de tous les débats de société. Dieu est puissance de vie et sa plus grande joie est de pouvoir libérer de sa paralysie ou de son handicap, celle ou celui qui est bloqué dans son développement personnel.

« Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube; mon âme a soif de toi… » dit le psalmiste. Comme lui, je te cherche et désire mieux connaître ton visage. Merci pour ton Fils Jésus qui, dans son comportement et ses paroles nous révèle ta présence au milieu de nous et ton infinie bonté pour tous. Tu n’as rien à voir avec cette présence menaçante et punissante que j’imaginais dans mon univers d’enfant ou d’adolescent. Merci de m’avoir donné la chance de te rencontrer en Jésus de Nazareth. Il m’a fait découvrir ton visage d’amour et ta tendresse. Tu es le Dieu qui libère et remet l’homme debout.

Prêtre spiritain, Roland Bugnon est l’auteur de Voyage de Marc en Galilée : récit imaginaire et romancé de la naissance d'un livre (Saint-Augustin, 2013).

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La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.