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Faut-il donc le voir pour le croire?
La parole et le pain (Jean 6, 51-58)
C'était facile pour les disciples de croire en Jésus parce qu'ils l'avaient vu faire des miracles. Mais nous, en 2008, comment est-il possible de croire sans avoir vu? (Robert)
Le discours eucharistique aux versets 51 à 58 du chapitre 6 fournit une belle occasion pour développer un thème très important de l’évangile de Jean : le rapport entre les miracles et la foi. Pour l’évangile de Jean, la vue des ‘signes’ effectués par Jésus ne suffit pas à affermir la foi en sa mission. En effet, beaucoup ont vu Jésus sans nécessairement croire en lui. Même des disciples de Jésus, après le discours eucharistique, disent au verset 60 : « Cette parole est trop forte, qui peut l’entendre? »
De quelle « parole » prononcée par Jésus s’agit-il? Pas la parole sur sa « chair » qu’il va donner à « manger » (v. 51), mais la parole où il déclare qu’il est descendu du ciel (Jn 6,38.42.51) et qu’on retrouve, en écho, au verset 58, à la fin du discours eucharistique. L’affirmation de Jésus selon laquelle il est descendu du ciel, c’est cela qui provoque le scandale d’abord des Juifs (Jn 6,41-42), et ensuite d’un bon nombre de disciples qui décident de se retirer et cessent de faire route avec Jésus (Jn 6,66). Voir Jésus, ce n’est donc pas, par le fait même, croire en lui.
L’évangile de Jean répond ainsi à une objection que pouvaient faire les gens de la deuxième génération chrétienne. Cette objection est la suivante : il était facile aux disciples de Jésus de croire en lui puisqu’ils voyaient les ‘signes’ qu’il accomplissait. Mais nous qui n’avons pas vu ces miracles, comment pouvons-nous donc croire en lui?
Pour l’évangile de Jean, le miracle ne précède pas la foi, de sorte que s’appliquerait ici l’affirmation devenue une sorte de formule proverbiale : ‘il faut le voir pour le croire!’ Au contraire – et c’est d’ailleurs aussi ce que la tradition synoptique souligne, c’est-à-dire les trois autres évangiles – c’est la foi qui précède le miracle : il faut croire en Jésus pour obtenir le miracle espéré. C’est ce que montre le récit de la résurrection de Lazare auquel je faisais allusion la semaine dernière. Au chapitre 11, versets 25 et 26 de l’évangile de Jean, Jésus dit à Marthe, la soeur de Lazare : « Qui croit en moi, fût-il mort, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Cette conviction ferme de l’évangile de Jean, elle s’exprime très clairement dans les paroles de Jésus ressuscité qui apparaît à ses disciples en présence de Thomas l’incrédule et qui dit à celui-ci : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » (Jn, 20,29)
Croire et voir – et non : voir, et ensuite croire – constitue la toile de fond, pour ainsi dire, du dialogue sur l’eucharistie aux versets 22 à 59 du chapitre 6 de l’évangile de Jean dont on vient d’entendre un extrait, celui des versets 51 à 58.
Dans ce dialogue, il est fait allusion à des événements de l’histoire d’Israël, plus précisément à divers épisodes de l’Exode. Cela, dans le but de situer la signification de Jésus et le rapport à l’action de grâces – c’est ce que le mot ‘eu-charistie’ veut dire – dans le partage du pain qui, à la fois, effectue et exprime l’unité des disciples avec Jésus et des disciples les uns avec les autres. Ce dialogue sur l’eucharistie adopte, bien que de façon moins directe et moins explicite, la même perspective que celle des évangiles de Matthieu et de Luc qui, dans l’épisode de la tentation de Jésus au désert au chapitre 4, rapportent ces paroles du livre du Deutéronome, chapitre 8, verset 3 : « L’être humain ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Il y a aussi cette parole du prophète Amos, chapitre 8, verset 11 : « Voici venir des jours – oracle du Seigneur Yahvé – où j’enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de pain, ni une soif d’eau, mais d’entendre la parole de Yahvé. » Ces références constituent l’arrière-fond des versets 51 à 58.
Si l’allusion de Jésus à sa chair à manger suscite l’étonnement, c’est la parole de Jésus : « Je suis descendu du ciel » qui, elle, provoque le scandale. Il se prend pour qui, ce Jésus? N’est-il pas de Nazareth? – Mais comme le fait remarquer Nathanaël au verset 46 du premier chapitre de l’évangile de Jean, « peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth? » – Et au chapitre 6, verset 42, les auditeurs du dialogue eucharistique disent de Jésus : « N’est-il pas le fils de Joseph? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère? Comment peut-il donc déclarer : ‘Je suis descendu du ciel’? » Quant au pain descendu du ciel, les auditeurs pensent immédiatement à la manne que leurs pères ont mangée dans le désert (Jn 6,31). Mais Jésus rappelle au verset suivant que ce n’est pas Moïse qui leur a donné ce pain, mais son père à lui, Jésus, qui cette fois-ci, en lui, donne le véritable pain du ciel.
Ce rappel de Jésus situe le problème sur un tout autre plan: en effet, ce pain véritable n’est pas comme la manne que leurs pères ont mangée dans le désert, « et ils sont morts » (Jn 6,49 et 58). Il s’agit là d’un fait historique incontestable, et la conclusion s’impose : Moïse ne vous a pas donné LE pain du ciel, le véritable, celui qui descend du ciel et évite la mort à ceux et celles qui en mangent. Le pain véritable qui descend du ciel, « C’est moi! », dit Jésus (Jn 6,51). Quiconque en mange ne mourra pas (Jn 6,50) et « vivra pour toujours » (Jn 6,51.58).
Les auditeurs sont invités à comprendre qu’il s’agit bel et bien d’un problème de vie et de mort. Le Dieu de Jésus nous aide à voir le monde; ce n’est pas le monde qui nous fait voir Dieu, le monde tel qu’il s’offre spontanément à la perception, qu’elle soit physique et matérielle, ou qu’elle soit intellectuelle et spirituelle, reliée au monde des idées. Jésus n’est pas d’abord ni uniquement le représentant attitré des idées d’amour ou de justice associées à l’idée du divin. L’unité avec Jésus, l’immanence réciproque s’épanouit en amour des uns envers les autres dans et par la célébration eucharistique qui appelle à la créativité et au changement nécessaire des situations inspirées par une culture de l’asservissement et de la mort. Croire à l’incroyable, c’est être à l’écoute de l’inédit, de ce qui est à faire; c’est avoir le courage de détecter les traces d’une espérance qui est là sans s’imposer ni se confondre avec les exigences d’un passé largement révolu mais qui persiste à réclamer qu’on le voie d’abord avant de croire.
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