chronique du 27 février 2004
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Le Dieu de la Bible se contredit-il?
Le texte de Deutéronome 24,16 est clair. Les enfants ne doivent pas mourir pour les péchés de leurs parents. Pourtant, le fils adultérin de David et Bat-saba mourut pour les péchés commis par ses parents. Le Dieu de la Bible se contredit. Voir Nombres 14,18 et Exode 34,7. Je pourrais multiplier les exemples (les enfants innocents tués en Nombres 16); les nourrissons descendants d'Amalek assassinés en 1 Samuel 15, etc. Dieu dit : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Merci. Emeric. Vous pourriez multiplier les exemples, en effet... En tant que professeur d'Écriture Sainte, je pourrais en ajouter auxquelles vous n'avez jamais pensé! Mais quand on est mal parti, on a beau multiplier les exemples, les conclusions sont biaisées dès le départ. Le livre que vous avez sous les yeux et qui s'appelle la Bible est en fait une collection, une bibliothèque de 73 livres. Il est essentiel de bien comprendre ce que vous avez devant les yeux avant même de l'ouvrir. La mise par écrit de ces livres s'échelonne sur une période de plus de 1000 ans pour l'Ancien Testament et un peu plus si on y ajoute le Nouveau Testament. Croire que la foi d'Israël ou des premières communautés chrétiennes a été la même pendant une période aussi longue est tout simplement irréaliste. Dans une simple vie d'homme de 70 ou 80 ans, on constate une évolution dans sa façon de concevoir le monde, Dieu et soi-même. Si on vous citait une phrase que vous avez dite, une opinion que vous avez exprimée quand vous étiez adolescent alors que vous ne l'appliquez pas à 75 ans, que répondriez-vous? La Bible c'est la même chose. On ne peut pas demander à un bédouin qui vit dans le désert sous la tente avec ses troupeaux de chèvres vingt siècles avant l'ère chrétienne de croire en la Trinité ou en l'Eucharistie ou de se comporter moralement comme la Petite Thérèse de l'Enfant-Jésus. À chaque époque, la révélation judéo-chrétienne a apporté du nouveau, des défis pour chacun. À l'époque où on se vengeait sept fois quand on avait subi une offense, la loi du talion (« oeil pour oeil, dent pour dent ») est une nouveauté exigeante mais libératrice. Ensuite viendra le pardon dans la justice. Or, à toutes ces étapes on a écrit des livres ou des parties de livres qui sont dans la Bible. Va-t-on les effacer parce que nous, aujourd'hui, nous voyons les choses autrement? En outre, chaque livre biblique est une unité. Le message est à apprécier par rapport à chaque livre dans son contexte. Il est mauvais de comparer un livre biblique avec un autre, surtout si plusieurs siècles les séparent. Amusez-vous à faire cela avec nos quatre évangiles et vous n'en verrez jamais la fin. Pour répondre au cas concret que vous apporter, les livres de Samuel et des Rois sont très anciens. Le Deutéronome est de l'époque perse (vers 450 avant Jésus Christ), soit plus ou moins de la même époque que les prophètes Ézéchiel et Jérémie (vers 580). Ces trois derniers livres réagissent justement contre une doctrine universellement acceptée auparavant. Pour leurs contemporains, c'est un nouveau défi exigeant. L'exemple cité dans le livre de Samuel montre seulement que l'on croyait encore que Dieu pouvait punir les pères dans leurs enfants. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Qui vous dit que c'est Dieu qui a fait tout ce qu'on lui prête dans la Bible? S'il y a une chose admise, c'est qu'il faut bien distinguer le fait de son interprétation. Quand le fils de David meurt, le fait brut c'est la mort de l'enfant. L'interprétation, à savoir que cette mort vient de Dieu en punition du péché d'adultère de David, vient des contemporains. Comment auraient-ils pu, hommes de leur époque, penser autrement? Je ne pense pas que nous-mêmes au XXIe siècle avons réglé définitivement le problème de la providence. C'est une question difficile pour tout croyant à toutes les époques. Ils ont apporté leurs réponses, nous apportons les nôtres, mais tous à la lumière de nos expériences et de notre tradition interprétative. Conclusion de tout cela. Il faut absolument se garder d'aborder la Bible par en haut, comme une dictée de Dieu, comme un fenêtre que le Seigneur aurait ouverte pour révéler ses secrets. Faire ainsi, c'est se condamner au fondamentalisme, c'est voir des contradictions partout. Il faut aborder la Bible par en bas, comme les hommes et les femmes des diverses époques. Ils ont expérimenté leur Dieu dans leur quotidien à eux. Ils ont accepté de marcher avec lui, de se laisser déranger par sa nouveauté pour leur époque à eux. « Le Dieu de la Bible se contredit! » Pas du tout. Il se montre humain et intelligent, il se montre un bon pédagogue qui sait doser son enseignement et s'adapter à ses « élèves ». Il faudrait aussi que ceux qui lisent « son livre » se montrent humains et intelligents. C'est ce que les communautés croyantes ont toujours fait au cours des siècles. C'est pourquoi il est important de rester branché sur l'interprétation vivante qui a toujours porté la Parole écrite. Hervé Tremblay, o.p. Chronique
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