Le buisson ardent (détail). Sébastien Bourdon, 17e siècle. Huile sur toile. Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg (Wikimedia).
La quarantaine… l’expérience biblique
Martin Bellerose | 25 mai 2020
Avant d’utiliser le mot « quarantaine » dans le sens où on l’a abondamment utilisé au cours des derniers mois, la « quarantaine » fait part d’une expérience biblique « vécue » par Noé, Moïse et Jésus. Les quarante jours de « mise à part » sont un temps de rénovation, d’intimité avec Dieu et de confiance.
Noé
Le récit sur Noé dans la Genèse nous parle des quarante jours du déluge (Gn 7,11-17). Le texte nous parle d’un renouvellement de toute la création et d’une purification du monde en y enlevant le péché (et les pécheurs). Dieu envoie Noé en quarantaine ; il est, lui et les siens, isolé sur les eaux, dans l’arche, protégé des affres du déluge. Cette quarantaine protège ceux que Dieu a choisis. Après les quarante jours de déluge, les eaux prirent du temps à se retirer ; dans de telles situations le manque de confiance en l’avenir ou une foi « désanimée » sont le spectre qui empêchera l’atteinte d’objectifs. Dans ce cas-ci, il s’agit de la possibilité d’une autre réalité, l’espoir qu’autre chose est possible.
Les chrétiens oublient parfois que l’eau du baptême représente l’eau du déluge (1 P 3,20-21). Le baptême procède de la même façon que le déluge : ce que Dieu a choisi est sauvé, et le péché meurt. Bien entendu, le quarante et unième jour après le début du déluge, tout n’est pas devenu parfait, pas plus que l’adulte qui vient de se faire baptiser. Au sortir des quarante jours du déluge, comme au sortir de « nos quarantaines », ce qu’on aura peut-être appris est que la foi durant ce temps de « mise à part », de sanctification, nous aura renouvelé et se sera renouvelée afin de nous préparer à ce qui s’en vient. Cela aura du moins permis à Noé de se préparer à se mettre à contribution au renouvellement de la Terre.
Moïse
La quarantaine de Moïse (Dt 9,9-12) est un temps de rencontre et de rapprochement avec Dieu. Seul sur la montagne avec le Seigneur, Moïse apprend à l’écouter. Cette écoute dans le recueillement lui permet de saisir les commandements de Dieu pour pouvoir ensuite les transmettre au peuple. Afin de pouvoir être à l’écoute, Moïse se dépouille des obligations de la vie quotidienne, il jeûne. Il se prépare à aller annoncer ce que Dieu lui a révélé dans ce temps de recueillement.
À la manière de Moïse, le croyant est appelé à vivre ce que Dieu lui révèle. Dans le cas du libérateur d’Israël, il s’agit des commandements et peut-être aussi pour les chrétiens d’aujourd’hui. La quarantaine présentement vécue est un temps où nous sommes appelés à n’adorer qu’un seul Dieu, de cesser d’adorer le dieu Mammon, dieu du pouvoir et de l’argent si vénéré en ces temps où le capitalisme financier nous fait procéder à des sacrifices humains. On dénonce l’idolâtrie des temps passés comme une perversion. Comment réagir devant celle des systèmes politiques et économiques qui exclue des gens sans revenus, souvent poussés au suicide face à une société sans espoir?
Une quarantaine privilégie la rencontre avec Dieu et nous maintient dans un sain confinement, loin des obligations quotidiennes, des règles économiques qui régissent notre monde. L’idolâtre, pour sa part, « s’applaventrit » devant cette économie financiarisée.
Jésus
Le temps de quarantaine que vit Jésus est un temps de tentation (voir Mt 4,1-11). C’est le temps où il aiguise sa résistance au mal, à l’attrait du pouvoir. En confinement nous faisons face à la tentation, celle des vieilles addictions ou de nouvelles qui émergent. La tentation de vouloir perpétuer ce confinement nous guette également, parce que cela peut apporter paix, tranquillité et sérénité certes mais aussi parce qu’on s’habitue à avoir peur des autres. Ces autres dont on ignore l’état de santé et qu’on flagelle de nos regards accusateurs et condamne au moindre grattement de gorge, au moindre reniflement. Pourtant, on continue de s’indigner des jugements, des regards incriminants envers les lépreux et les impurs dont font mention les Évangiles. Notre dédain pour l’autre en ces temps de pandémie n’est guerre mieux.
Jésus a été tenté de briser son jeûne en utilisant son pouvoir divin pour changer les pierres en pains, d’abuser de son état divin et de se jeter en bas du point élevé du temple en se fiant à son statut supérieur au-dessus de tout. Il a aussi été tenté d’adorer le dieu Mammon du pouvoir et de l’argent et de posséder les royaumes du monde.
La quarantaine est un temps de tentation mais aussi un temps de recueillent dans lequel on peut apprendre à résister aux tentations. L’intimité avec Dieu est rendue propice par l’isolement vécue et nous sommes invités maintenant à entonner le « Notre Père » en disant : « Seigneur ne nous laisse pas entrer en tentation mais aide-nous à faire ce que tu juges bien. »
Pour conclure…
Après cette petite réflexion sur la quarantaine, et pour être fidèle à mon sujet habituel dans cette chronique, j’aimerais souligner que ces quarantaines se vivent à travers des processus migratoires. Noé a dû quitter la terre qui l’a vu naitre pour migrer dans un monde complètement reconfiguré où sa descendance aura eu à migrer pour repeupler la terre. Moïse qui fut en exode vers la terre promise et Jésus, celui qui dès sa naissance a dû fuir avec sa famille pour se réfugier en Égypte, a migré toute sa vie durant, a vécu en migrant dans le monde, lui, étant citoyen de la cité céleste et qui sera reconnu comme un migrant-résident par des disciples sur le chemin d’Emmaüs (Lc 24,18).
Martin Bellerose est théologien et directeur de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).