Anno Domini (La fuite en Égypte). Edwin Long, 1883 (Wikipedia).
Jésus était un réfugié
Martin Bellerose | 25 mars 2019
« [J]’étais un étranger et vous m’avez recueilli. » (Mt 25,35) « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir? » (Mt 25,37) « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40).
De la métaphore à la réalité
Ces versets du chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu, que nous avons quelque peu réorganisés pour le bien de cet article, est compris comme rhétorique. C’est comme si Jésus s’identifiait métaphoriquement à l’étranger. Lui qui appartient à un autre monde vit en migrant, en étranger, en pèlerinage dans ce « bas monde ». Dans ce sens, tous les chrétiens, élus de Dieu, vivent sur terre sans être de cette cité terrestre. Ils n’y sont qu’en qualité de pèlerin, de voyageur. Comme le dira la lettre aux Hébreux en parlant des patriarches : « Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. » (He 11,13) Cependant, ce passage n’est pas seulement métaphorique. Jésus a été un réfugié au sens propre. Sa famille a dû fuir la persécution d’Hérode.
La fuite en Égypte
L’Évangile de Matthieu nous dit très peu de choses sur le temps passé en Égypte. Est-ce que cette fuite fut un évènement historique? Difficile à dire. Toutefois, si l’auteur du texte souligne l’épisode, il y a une bonne raison. Pour certains croyants, s’il ne s’agit pas d’un fait historique, il ne serait donc pas pertinent pour eux de parler de la condition de réfugié de Jésus. Pour notre part, nous dirions ici plutôt le contraire, car si en dépit des événements historiques, on a jugé pertinent d’identifier la condition humaine de Jésus à celle d’un réfugié et c’est, pensons-nous, en raison d’une option en faveur de ces derniers. Ce passage évoque trop le judaïsme de l’exil pour qu’il n’y ait pas un lien direct à faire.
Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils. (Mt 2,13-15)
Esaïe et Jérémie, des prophètes de l’exil, font référence au peuple de Dieu, le peuple d’Israël comme étant le fils. Ils suivent ici une tradition du livre de l’Exode (4,22) qu’on retrouve aussi chez le prophète Osée : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Égypte j’ai appelé mon fils. » (Os 11,1) Cependant, Israël a préféré des idoles à Dieu. Les fils d’Israël se sont retrouvés captifs à Babylone.
En Matthieu, le sens de la phrase change. L’expression « mon fils » n’est plus une métaphore. Celui-ci sera appelé, il reviendra dans la terre promise pour libérer le peuple de Dieu qui cette fois est bien plus large que le peuple d’Israël.
En Luc, le ressuscité ne sera plus un réfugié mais un immigrant qui se sera approprié la terre d’accueil. C’est du moins de cette manière que l’identifient les disciples d’Emmaüs. Dans ce récit d’apparition, ce qui est traduit en français par « séjourner » est en grec « parokeis Ierousalem » (l’immigrant qui réside à Jérusalem).
Il leur dit : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre. L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » (Lc 24,17-18).
Lorsque qu’il est né, Jésus et sa famille ont dû fuir la Judée, et il ressuscite dans cette contrée où on le reconnait comme un immigrant, un étranger qui réside, qui vit à Jérusalem. Bien qu’il soit citoyen de la cité Céleste et conséquemment en pèlerinage dans le monde, « lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme. » (Phi 2,6-7)
Conclusion
Pour revenir aux versets réorganisés du début, faire en sorte que les réfugiés vivent une sorte de résurrection et deviennent des personnes vivant non pas parmi nous, mais avec nous, n’est-elle pas une façon de vivre Matthieu 25 et ainsi d’offrir l’hospitalité à laquelle Jésus nous a invité?
Martin Bellerose est théologien et professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).