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La lettre de Paul à Philémon ou le retour du réfugié
Martin Bellerose | 23 juin 2017
Dans le contexte mondial actuel où les vagues de réfugiés se succèdent, l’intercession de Paul entre Onésime et Philémon interpelle les chrétiens d’aujourd’hui. Cette courte lettre montre que la réconciliation n’est pas seulement une disposition du cœur, mais qu’elle doit se traduire par des gestes concrets.
Du conflit à l’accueil
Onésime était esclave de Philémon. Rien dans le texte ne précise les raisons de sa fuite, cependant la relation entre les deux hommes semble avoir été conflictuelle. Au verset 10 et 11, Paul écrit à Philémon : « Je te prie pour mon enfant, celui que j’ai engendré en prison, Onésime, qui jadis t’a été inutile et qui maintenant nous est utile à toi comme à moi. » Paul soulève un autre indice révélant l’adversité entre le maître et l’esclave lorsqu’il mentionne au verset 18 : « Et s’il t’a fait quelque tort ou s’il a quelque dette envers toi, porte cela à mon compte. »
Le texte ne nous dit pas pourquoi Onésime s’est échappé de chez son maître. Philémon le maltraitait-il? Était-il injuste envers lui? Onésime l’avait-il trahi? L’a-t-il volé? Le texte ne dévoile rien à cet effet. Tout ce que nous pouvons en comprendre est que le fugitif ait trouvé refuge auprès de Paul. La première leçon à tirer de cette histoire est que Paul ne cherche pas à trouver un coupable ou à savoir si Onésime est un vrai ou faux réfugié. Paul l’a accueilli inconditionnellement. Lorsqu’une personne vient demander l’asile à un chrétien, la foi de ce dernier exige qu’il lui offre l’hospitalité, une hospitalité qui inclut la protection. Ce principe fondamental de la foi est d’autant plus important de nos jours et pas seulement dans les relations individuelles, mais aussi collectives. Les communautés ecclésiales doivent s’ouvrir pour faire une place aux exilés qui arrivent en masse.
Peut-être Paul s’est-il souvenu d’une phrase cruciale de l’Ancien Testament? « Tu ne livreras pas un esclave à son maître s’il s’est sauvé de chez son maître auprès de toi; c’est avec toi qu’il habitera, dans le lieu qu’il aura choisi dans l’une de tes villes, pour son bonheur. Tu ne l’exploiteras pas. » (Dt 23,16-17) Toutefois Paul a poussé plus loin le précepte d’accueil en faisant appel au pardon et à la réconciliation entre l’ancien esclave son « maître », et c’est là la deuxième leçon de Paul dans cette lettre.
D’esclave à frère
Dans sa supplique à Philémon pour qu’il accueille son esclave, Paul s’adresse à lui comme suit : « Peut-être Onésime a-t-il été séparé de toi pour un temps qu’afin de t’être rendu pour l’éternité, non plus comme un esclave, mais comme bien mieux qu’un esclave : un frère bien-aimé; il l’est tellement pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, et en tant qu’homme et en tant que chrétien. Si donc tu me tiens pour ton frère en la foi, reçois-le comme si c’était moi. » (Philémon 15-17)
Ce dernier bout de phrase n’est pas sans rappeler le dialogue entre le Christ et les justes dans le texte de Matthieu sur le jugement. Les justes demandèrent au Seigneur : « Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir [...] Et le roi leur répondra : En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait, à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait! » (25,38-40)
La grande différence entre l’Évangile cité et la lettre paulinienne est le « comme ». Paul déclare « reçois-le comme si c’était moi » alors que Jésus s’exclame « c’est à moi que vous l’avez fait! » Jésus manifeste ici qu’il s’incarne dans le plus petit d’entre ses frères, l’esclave, le réfugié, voire Onésime lui-même. Pour Philémon offrir l’hospitalité à son ex-esclave veut dire se réconcilier avec lui, et parce que Christ est incarné dans cet esclave il est lui-même porteur de la réconciliation. Mais la réconciliation n’est pas seulement une disposition du cœur, elle s’accompagne de gestes compromettants, engagés et risqués.
Martin Bellerose est théologien et professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).