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Justice sociale
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chronique du 20 septembre 2013

 

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse aujourd’hui

L'Apocalypse

L’Apocalypse : Viens, cavalier tricheur, balance faussée, fraudeur
Sr Jeanne Vanasse
Acrylique, 61 x 51 cm, 2012
(courtoisie de l’artiste)


Je vis un livre en forme de rouleau dans la main droite de celui qui siégeait sur le trône ; il était écrit des deux côtés et fermé par sept sceaux.  Et je vis un ange puissant qui proclamait d'une voix forte : « Qui est digne de briser les sceaux et d'ouvrir le livre ? »

Mais il n'y avait personne, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, qui pût ouvrir le livre et regarder à l'intérieur.  Je pleurai beaucoup, parce qu'il ne s'était trouvé personne qui fût digne d'ouvrir le livre et de regarder à l'intérieur. Alors l'un des anciens me dit : « Ne pleure pas. Regarde : le lion de la tribu de Juda, le descendant du roi David, a remporté la victoire ; il peut donc briser les sept sceaux et ouvrir le livre. »

Puis je vis l'Agneau briser le premier des sept sceaux, et j'entendis l'un des quatre êtres vivants dire d'une voix qui résonnait comme le tonnerre : « Viens ! »  Je regardai et je vis un cheval blanc. Celui qui le montait tenait un arc, et on lui donna une couronne. Il partit en vainqueur et pour vaincre encore.

Quand l'Agneau brisa le deuxième sceau, j'entendis le deuxième être vivant qui disait : « Viens ! »  Alors un autre cheval s'avança, il était de couleur rouge. Celui qui le montait reçut le pouvoir d'écarter toute paix de la terre, pour que les hommes se massacrent les uns les autres. On lui remit une grande épée.
 Quand l'Agneau brisa le troisième sceau, j'entendis le troisième être vivant qui disait : « Viens ! » Je regardai et je vis un cheval noir. Celui qui le montait tenait une balance à la main.  J'entendis comme une voix qui venait du milieu des quatre êtres vivants et qui disait : « Un kilo de blé pour le salaire d'une journée, et trois kilos d'orge pour le salaire d'une journée. Mais ne cause aucun dommage à l'huile et au vin. »

Quand l'Agneau brisa le quatrième sceau, j'entendis le quatrième être vivant qui disait : « Viens ! »  Je regardai et je vis un cheval de couleur verdâtre. Celui qui le montait se nomme la Mort, et le monde des morts le suivait. On leur donna le pouvoir sur le quart de la terre, pour faire mourir ses habitants par la guerre, la famine, les épidémies et les bêtes féroces.

Quand l'Agneau brisa le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été exécutés pour leur fidélité à la parole de Dieu et le témoignage qu'ils lui avaient rendu.  Ils criaient avec force : « Maître saint et véritable, jusqu'à quand tarderas-tu à juger les habitants de la terre pour leur demander des comptes au sujet de notre mort ? »  On donna à chacun d'eux une robe blanche, et on leur demanda de patienter encore un peu de temps, jusqu'à ce que soit complété le nombre de leurs frères et compagnons de service qui devaient être mis à mort comme eux-mêmes.

Apocalypse 5 1-5; 6 1-11

Commentaire

     « L’Apocalypse nait dans des temps de persécution, mais surtout en situations de chaos, d’exclusion et d’oppression permanente. » [1] C’est un livre de résistance face à l’Empire romain et son système de domination, un livre radicalement subversif  face à l’ordre établi par la Rome du premier siècle, que l’auteur désigne comme étant la grande Putain. Dans ce texte plein d’images et de mythes, les pauvres, les sans-voix, les sans-pouvoirs alimentent leur espérance : ce monde-ci est invivable et doit être détruit.  Un autre monde est possible, dont la communauté chrétienne est une anticipation. Au cœur de celle-ci se trouve l’Agneau immolé, Jésus de Nazareth, assassiné par l’establishment, mais bien vivant et victorieux au milieu de la communauté; il nous ouvre les yeux sur l’histoire que nous sommes en train de vivre.  C’est ce Jésus crucifié qui brise les scellés qui nous cachent la réalité. Les puissants occultent la vérité, l’éclipsent, la masquent, l’embrouillent. On ne veut pas que les gens découvrent leurs œuvres ténébreuses. Mais l’Apocalypse sert justement à révéler, à découvrir, à dévoiler, à divulguer et proclamer la vérité sur ce monde pervers. Une espèce de commission « Charbonneau » biblique, quoi!

     Jésus qui recommandait à ses disciples : « Ne craignez donc aucun homme. Tout ce qui est caché sera découvert, et tout ce qui est secret sera connu. Ce que je vous dis dans l'obscurité, répétez-le à la lumière du jour ; et ce que l'on chuchote à votre oreille, criez-le du haut des toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais qui ne peuvent pas tuer l'âme » [2]

     Pour l’auteur du livre, le prophète Jean, qui pleure de ne pouvoir comprendre les évènements tragiques que vit sa communauté, l’Agneau vient briser un à un les sceaux qui l’empêchent de connaitre la vérité sur le monde présent. Les quatre premiers sceaux révèlent des chevaux montés par de mystérieux cavaliers.

     Lors de victoires militaires, une cérémonie de triomphe se déroulait à Rome. Le cortège faisait d’abord défiler les chars de butin, puis les sénateurs suivis des chefs vaincus et leurs familles. Sur le char principal, tiré par quatre chevaux,  on acclamait le général vainqueur couronné de lauriers. Les quatre chevaux de l’Apocalypse représentent ainsi la domination de la puissance romaine sur les peuples. Apparaît en premier lieu un cheval blanc monté d’un archer. Il exprime la suprématie militaire de Rome sur le reste du monde. Ces terribles archers à cheval devenaient par la suite des préfets chargés d’administrer une province.

     Aujourd’hui, le monde est dominé par la puissance militaire des États-Unis d’Amérique. Le président Obama, (honoré du prix Nobel de la paix!, « la Pax americana » ), a organisé et sanctionné des assassinats par drones en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Un drone a été abattu récemment en Iran.  Dans sa guerre contre le terrorisme, les victimes « non intentionnées » se comptent par milliers parmi les civils. Non content des guerres d’agression de son pays contre l’Afghanistan et l’Irak, il a déclenché une guerre en Lybie qui s’est conclue avec l’assassinat de Khadafi. On envoie exécuter froidement Oussama Ben Laden au lieu de l’arrêter et de le juger.  Aujourd’hui, le président des États-Unis veut se débarrasser du président Assad de Syrie et menace de lancer ces tomahawks « chirurgicaux » sur Damas, une capitale qui compte plus de deux millions d’habitants.  Ce gouvernement s’est arrogé le droit de tuer n’importe qui dans le monde sans même se soucier d’une apparence de légalité. Voilà pour le cheval blanc et son archer couronné, « parti en vainqueur et pour vaincre encore » !

     Le deuxième cheval appelé à comparaitre pour être démasqué est d’un rouge feu et son cavalier reçoit une épée pour égorger. En semant la violence politique dans le monde,  il sème la haine et provoque des guerres fratricides, « pour qu’ils s’entretuent ».  Les États-Unis, la Russie, la France, la Grande Bretagne et la Chine fournissent 86% des armes vendues dans le monde. L'industrie canadienne de défense occupe le huitième rang mondial et produit 3 milliards de dollars de matériel militaire par année qu’il exporte en grande partie chez son voisin du sud. On assiste présentement à la plus grande explosion du commerce des armes de l’histoire. Le marché mondial de l'armement a augmenté de 30% en quatre ans et pourrait doubler d'ici 2020 sous la poussée des budgets militaires, notamment en Asie, selon une étude du cabinet IHS Jane's. Voilà pour le cheval rouge sang qui veut que les peuples s’entretuent.

     En brisant le troisième sceau, l’Agneau appelle à la barre un cheval noir monté d’un homme portant une balance, symbole du commerce. Rome pratiquait une économie prédatrice en s’emparant des terres des pays conquis et en utilisant la main d’œuvre des esclaves et des paysans sans terre pour produire les aliments et les biens pour le centre. Aujourd’hui, le modèle néolibéral concentre chaque jour d’avantage la richesse dans quelques mains et les inégalités abyssales laissent les grandes masses dans une infâme pauvreté. Entre 40 000 et 50 000 personnes meurent chaque jour à cause de la faim et des guerres, alors qu’il existe des ressources alimentaires pour faire vivre le double de la population mondiale. L’injustice du commerce mondial réside dans une accumulation dévergondée, une spéculation obsessionnelle et une injuste distribution des biens. Les gouvernements sont à la solde des pouvoirs financiers et les principes démocratiques ne sont jamais appliqués à l’économie. Le cheval noir annonce la famine avec sa balance faussée et son économie prédatrice.

     Enfin, la quatrième monture est verdâtre et nous connaissons le nom de son cavalier : Thanatos, la Mort! L’empire économique mondial amène la destruction de la vie sur la planète. Les catastrophes climatiques sont déjà présentes, la désertification s’accentue, la pollution de l’air et des océans arrive à des points de non retour, l’économie en crise étrangle les peuples ; nous fonçons à toute vitesse dans l’abime. Le système auquel nous sommes soumis conduit à la mort de l’humanité, à sa destruction.

     C’est pourquoi, dans la liturgie du cinquième sceau, la multitude des égorgés réclame justice : « Maître saint et véritable, jusqu'à quand tarderas-tu à juger les habitants de la terre pour leur demander des comptes au sujet de notre mort ? »  Ces gens ne sont pas morts en vain, ils reçoivent la tunique blanche des martyrs et ils attendent l’avènement de la justice. C’est la face caché de l’histoire. L’heure n’est pas encore arrivée, mais elle viendra. Les Haïtiens ont un proverbe qui l’exprime bien : « la justice de Dieu, c’est une charrette à bœufs »; elle avance lentement et sûrement.

     N’est-ce pas que l’Apocalypse du prophète Jean est un livre subversif? Laissons-nous décaper par ce christianisme primitif qui n’avait pas encore perdu l’inspiration des prophètes Jean le baptiste et Jésus de Nazareth. Nos Églises se sont beaucoup spiritualisées en intégrant la culture de l’empire romain. Nous avons perdu notre vigueur prophétique et nous nous sommes installés confortablement dans un système totalement injuste et antiévangélique, pratiquant un christianisme de rites, de cérémonies et de structures hiérarchisées.  La communauté des égorgés de ce monde, des millions de victimes de la guerre, de la famine et de l’économie de marché crient justice auprès de Dieu; ils forment une Église profétique. Au milieu des opprimés, notre christianisme doit proclamer l’espérance qu’un autre monde est possible. Notre foi ne peut absolument pas s’accommoder d’un système aussi bestial.

     Le vaticaniste bien connu, Giancarlo Zizola écrivait : « Quatre siècles de contreréforme ont presqu’éteint le chromosome révolutionnaire du christianisme des origines; l’Église s’est stabilisée comme un organisme contre-révolutionnaire. » [3] Retournons aux sources de l’Apocalypse et retrouvons nos chromosomes !

[1] Pablo Richard, Apocalipsis, Reconstrucción de la Esperanza, Editorial DEI, San José de Costa Rica, 1994, p. 17.

[2] Matthieu, 10, 26-28.

[3] Quale Papa? : Analisi delle strutture elettorali e governative del papato romano (Frecce), 1977, p. 278.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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