chronique du 15 mars 2013

Quand Pierre ne s’appelait pas encore Sa Sainteté!

Statue de saint Pierre devant la basilique du même nom (Cité du Vatican).
L'apôtre est souvent représenté avec une ou des clés à la main selon Mt 16,19.

Il fut un temps où les croyantes et les croyants tutoyaient Simon-Pierre, le pêcheur galiléen ettraitaient de frères, les apôtres de Jésus; un temps sans pontife, ni éminences, ni excellences. Il n’y avait que Dieu que l’on appelait « mon Seigneur ». Beaucoup d’eau a coulé dans le Jourdain depuis la première rencontre de Pierre avec Jésus de Nazareth jusqu’à aujourd’hui. Au moment d’élire l’évêque de Rome dont la responsabilité première est de présider à l’unité de l’Église, il est bon de regarder agir Pierre, le compagnon que Jésus a choisi pour fortifier ses frères (Luc 22,31) alors qu’il faisait ses premiers pas dans ce service. Relisons brièvement le début des Actes des Apôtres.

Conclave pour l’élection d’un apôtre

L’assemblée est composée de 120 personnes (1,12-16). Ce sont les mêmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et qui avaient participé au repas pascal avec Lui avant la nuit horrible de son arrestation. Les onze apôtres sont nommés et plusieurs des femmes présentes nous sont connues: « Marie, la mère de Jésus avec ses frères », « quelques femmes qui avaient été délivrées d'esprits mauvais et guéries de maladies : Marie — appelée Marie de Magdala —, dont sept esprits mauvais avaient été chassés ; Jeanne, femme de Chuza, un administrateur d'Hérode; Suzanne et plusieurs autres qui utilisaient leurs biens pour aider Jésus et ses disciples » (Lc 8,2-3). Puis se trouvent aussi celles qui se sont présentées au tombeau pour l’embaumement de Jésus : « Jeanne et Marie, mère de Jacques. Les autres femmes qui étaient avec elles…. » (Luc 24,10)

Voilà donc le premier conclave, la réunion à huis clos de la communauté de Jérusalem, présidée par Pierre. On voit l’urgence de remplacer Judas, mort tragiquement après avoir trahi Jésus. Le choix doit se faire entre ceux qui ont accompagné Jésus depuis son baptême jusqu’à sa disparition récente; il faut un témoin oculaire crédible. L’assemblée présente deux bons candidats : Joseph Barsaba et Matthias. L’on prie et l’on tire au sort. Mathias est désigné. La simplicité et la spontanéité de ce premier geste en Église se passe de commentaire. Pas de mystère, pas de fumée blanche, pas de documents secrets, pas de cachotteries sur le péché de Judas. Tout est transparent. Pierre préside sobrement en tout respect des personnes présentes.

Une alliance totalement nouvelle

Cinquante jours après Pâques, les Juifs célèbrent la fête commémorant l’alliance de Yahvé avec le peuple d’Israël sur le Sinaï. Ce jour-là se réalise la promesse de Jésus : l’immersion de toute l’Église dans le Souffle sacré, comme Jésus l’avait promis lors de son enlèvement (1,5). Pierre annonce la Bonne nouvelle en citant le prophète Joël : il prend le soin de féminiser son discours, fait très rare dans la Bible. Écoutons-le. « Vos fils et vos filles seront inspirés; vos jeunes verront des visions et vos vieillards rêveront des rêves. Certes, sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces jours, je répandrai mon Souffle et ils seront inspirés » (2,17-18). Personne ne sera exclus et toutes et tous seront prophètes; quinze peuples de l’empire romain sont nommés : ils entendent le message chacun dans sa propre langue. Les témoins de cette effusion les appellent « frères » tout simplement sans titres honorifiques. Pierre assume son autorité et parle d’une voix forte. Il est convaincant et réconforte.

Voir la misère de son peuple

Je suis remué par l’attitude de Pierre et de Jean qui entrent au temple dans la cohue. Il est si facile de passer outre au boiteux qui est assis à la porte. Il est si facile de ne pas regarder cet homme prostré, si facile d’aller vers Dieu sans voir l’être humain à nos côtés. Pierre s’arrête et le regarde attentivement, le fixe. Comme le bon samaritain, il s’arrête! Comme Yahvé, son Dieu, qui voit l’humiliation de son peuple et descend le libérer. Pierre donne sa priorité aux pauvres du monde, à leur relèvement, à leur réveil.

Pierre n’a ni or ni argent

À l’instar de tous les envoyés dans les Actes, Pierre voyage sans sa carte Visa et il n’a plus son propre bateau pour se déplacer. C’est comme ça que Jésus l’a voulu : « Ne vous chargez pas de bourse, ni de besace, ni de sandales… » (Lc 10,4) « Je n'ai ni argent ni or, mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, réveille-toi et marche ! » (3,6) Egeire! Le mot désigne la résurrection de Jésus, le relèvement. Pierre reprend le geste que Jésus a fait durant trois ans : il le saisit par la main droite et le réveille! Pierre éveille l’opprimé et l’aide à se tenir debout. Il le libère et l’homme saute et marche et entre au temple avec lui. Celui à qui on interdisait l’entrée dans le sanctuaire à cause de son handicap a désormais accès à Dieu. Il peut aller et venir librement. Il est urgent de revenir à une Église pauvre et servante et à une foi libératrice.

Pierre ne craint pas les puissants

Selon les autorités qui les jettent au cachot et leur intentent un procès, Pierre et Jean sont « des hommes sans instruction et sans culture », et non pas, comme Paul de Tarse, de grands théologiens savants (4,13). Il est émouvant de voir comment Pierre, si peureux, si couard devant les servantes du grand prêtre le soir de l’arrestation de Jésus, est devenu désormais un prophète qui se tient debout devant le pouvoir politique et religieux. Les gens du sanhédrin, de la cour suprême et la famille entière du grand prêtre sont étonnés de voir la fermeté de Pierre : « Jugez par vous-mêmes s’il est juste devant Dieu de vous écouter plutôt que Dieu. » Et vlan! Nous n’allons pas nous taire. « Nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (5,29) C’était avant que l’Église de Jésus, sous Constantin, fasse alliance avec l’empire pour prendre de l’expansion. Pierre n’était pas le Saint Père, nom réservé à Dieu, notre seul Père; il n’était pas le Souverain Pontife, titre emprunté plus tard à l’empereur romain. L’Église doit se dépouiller de ses accointances politiques et faire alliance avec les plus petits de ce monde. Elle doit désacraliser ce qui est un service et ses serviteurs ne pas se cacher derrière des masques de sainteté.

Un scandale financier

L’épisode d’Ananias et Saphira nous rappelle une caractéristique essentielle de l’Église de Pierre : les biens sont mis en commun dans un esprit de solidarité; « parmi eux, personne ne manque du nécessaire. » (4,34) Un scandale financier est traité sur le champ avec une vigueur surprenante : un couple a gardé un peu d’argent — un petit coussin — avant de remettre ses biens à la communauté. Bien mince affaire en comparaison des scandales financiers qui font la manchette aujourd’hui de par le monde et même dans nos curies. Pour Pierre, le partage des richesses est une question de vie ou de mort. « Tu as menti à Dieu. » (5,4) L’honnêteté dans les questions financières est incontournable et il faut de la transparence. Pierre est intraitable sur cette question; on ne peut servir Dieu et l’argent. Les richesses sont faites pour être partagées entre tous. L’Église de Pierre est garante de la solidarité économique; elle ne peut être complice ou silencieuse face à une économie prédatrice qui laisse des peuples entiers dans la misère.

L’œcuménisme

Pierre accueille les hérétiques samaritains, rejetés par les autorités juives du temple, dans la communauté de la nouvelle alliance. Ils reçoivent le Souffle sacré, ce sont des sœurs et des frères. Pierre et Jean sont dociles à cette action de Dieu qui n’est pas prisonnier des conflits religieux (8,14). N’y a-t-il pas là une invitation à visiter et à tendre la main aux Églises chrétiennes pour réaliser l’unité par le Souffle de Dieu et reconnaître en chacune d’elle les charismes et les caractéristiques d’une saine diversité. Qui peut prétendre posséder la vérité toute entière sur Dieu et sur Jésus? Et pourquoi ne pas reconnaître aussi que les adorateurs d’autres religions peuvent aussi recevoir le Souffle sacré?

Ouverture au monde

Pierre loge chez le cordonnier Simon au bord de la mer à Jaffa. Il n’est pas à la nonciature, il voyage léger, à pied et en compagnie. Il reçoit la délégation de Corneille, capitaine d’un bataillon romain : des militaires des forces d’occupation, des étrangers envahisseurs, des gens impurs avec lesquels la religion interdit d’avoir des rapports sociaux. Pierre accueille avec respect ces trois envoyés, deux serviteurs et un soldat : « Pierre les fit entrer et les logea pour la nuit. » (10,23) Le surlendemain, quand Pierre arrive à la maison, Corneille s’incline devant son hôte, qui proteste : « Lève-toi, je ne suis qu’un homme, moi aussi. » On ne trouve chez Pierre aucun apparat, aucune aura de sainteté, aucun baisemain. Il n’accepte aucun culte de sa personnalité. Il n’est là que pour apporter le message de Jésus, il n’est qu’un envoyé. Au contact des Romains qu’il n’a jamais fréquenté, il découvre des personnes justes et préoccupées des pauvres. « Dieu m’a montré que je ne devais considérer personne comme impur ou indigne d’être fréquenté. » (10,29) « Maintenant, je comprends vraiment que Dieu n’avantage personne : quelque soit sa nationalité, tout être humain qui le respecte et œuvre avec justice, lui est agréable. » (10,34) L’Église de Pierre est inclusive; elle ne rejette pas celles et ceux que Dieu a choisis.

Pourquoi imposer des fardeaux religieux inutiles?

Lors du concile de Jérusalem, l’Église est divisée : doit-on imposer aux non-juifs les prescriptions obligatoires pour les Juifs. Après une longue discussion tendue, Pierre intervient : « Frères, Dieu n’a fait aucune différence entre eux et nous; il a purifié leurs cœurs parce qu’ils ont cru. Maintenant donc, pourquoi défiez-vous Dieu en voulant imposer aux croyants un fardeau que ni nos ancêtres, ni nous-mêmes n’avons été capables de porter? » (15,10) Quel gros bon sens et quelle audace!

Il est rafraichissant de relire ainsi nos textes sacrés à la lumière des évènements qui agitent l’Église actuelle. Simplicité, audace, transparence caractérisent l’Église de Pierre. La justice sociale, vécue à l’intérieur de la communauté où l’on ne trouve plus de pauvres — tout un exploit — et où le critère pour recevoir le Souffle sacré est d’adorer le Dieu qui fait attention aux pauvres et aux opprimés et d’être soi-même des femmes et des hommes justes. Pierre n’éclipse jamais ni ses frères apôtres qui l’accompagnent, ni l’Église de Dieu qui est souveraine. Il est un croyant convaincu et convainquant qui se tient debout devant les pouvoirs de ce monde, au risque d’aller au cachot et même à la mort. C’est un homme libre, comme Jésus de Nazareth, au service d’une Église, peuple de Dieu, qui a été immergée entièrement dans le Souffle divin, hommes et femmes, jeunes et vieux, Juifs et autres nations. Profitons de cette nouvelle étape de l’Église catholique romaine pour nous convertir à l’Église de Pierre, dont nous nous prétendons les descendants.

Claude Lacaille

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