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Pourquoi je n'apostasie pas
Actualité : Opinion de Marco Veilleux
parue dans le journal Le Devoir du 2 avril 2009
Pour plusieurs catholiques dont je suis, les temps présents sont pénibles et tissés de douloureuses remises en question. Ce malaise trouve son origine dans la récente succession de controverses suscitées par de graves manques de jugement pastoral de la part de certains dirigeants de notre Église…
La tentation de déserter, de filer en douce ou avec fracas, peut alors devenir forte…
Dans ce contexte, certains ont choisi d'apostasier leur baptême. Je respecte et peux comprendre cette option. Elle n'est toutefois pas la mienne, ni celle de nombreux autres catholiques. En effet, si nous continuons à revendiquer notre appartenance au catholicisme, malgré notre désaccord profond avec certaines des prises de positions de ses dirigeants, c'est que depuis le concile Vatican II, nous avons pris au sérieux l'affirmation voulant que l'Église, c'est nous!
Avant le pape, les cardinaux et les évêques, l'Église, c'est l'ensemble des baptisés, ce « peuple de Dieu » en marche dans l'histoire. À la suite de ce même concile, nous sommes intimement convaincus que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes et des femmes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux et celles qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et qu'il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans notre cœur…
Extrait de http://www.ledevoir.com/2009/04/02/243250.html
Texte biblique : Actes des Apôtres 4, 23-35
Libérés, Pierre et Jean sont retournés auprès des leurs et leur ont répété tout ce qu’avaient dit les grands prêtres et les anciens. Ils ont écouté et d’une même voix se sont adressés à Dieu…
« Maître, c’est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui y est contenu… Étends ta main pour que des guérisons, des signes et des prodiges arrivent par le nom de ton saint serviteur Jésus. » Ils faisaient cette prière quand le lieu où ils étaient rassemblés a tremblé. Tous ont été remplis du Souffle saint et ont dit avec audace la parole de Dieu.
Alors cette foule de croyants n’a plus qu’un seul cœur et qu’un seul esprit. Personne ne revendiquait la propriété d’aucun de ses biens. Tout leur était commun. Les apôtres témoignaient avec éclat de la résurrection du Seigneur Jésus. Une grande faveur les accompagnait tous. Personne parmi eux n’était pauvre. Ceux qui possédaient des terres ou des maisons, lors de ventes, apportaient l’argent qu’ils en avaient retiré et le déposaient aux pieds des apôtres. L’argent était distribué en fonction des besoins de chacun.
Commentaire
On connaît l’histoire : les Douze choisis par Jésus le suivent presque à reculons à Jérusalem : « Ils étaient sur la route, montant vers Jérusalem. Jésus marchait en tête, devant ses disciples troublés. Ceux qui les suivaient avaient peur. » (Marc 10,32) La suite n’est pas reluisante : Judas vend son maître pour trente monnaies, les Onze au grand complet fuient et abandonnent Jésus lors de son arrestation, sauf Simon Pierre qui suit de loin et termine par faire acte d’apostasie, se tenant à l’écart et feignant n’avoir aucun lien avec Jésus. Ce sont les seules femmes, fidèles à le suivre (disciples) et à le servir (diaconesses) qui auront le courage d’assister à son exécution et veilleront à lui donner une sépulture. C’est à elles qu’est confiée la mission d’annoncer le relèvement de Jésus aux Onze, tapis dans leur tanière. Une semaine après Pâques, ils se cachent toujours par peur des Juifs. La jeune église est enfermée, apeurée, cloitrée et incrédule. Ça nous ressemble, non? C’est alors que Jésus nous interpelle : « Cesse d’être incroyant. Fais confiance. Heureux ceux qui ont cru sans voir. » (Jean 20,28-30)
Vraiment l’église de Jésus commençait dans le désarroi et ses apôtres étaient loin d’être des modèles de foi et de courage. Ils ont succombé à la tentation de déserter. Ils ont tous été des apostats (du grec apostasis = séparation, abandon, révolte, distance). Pourtant il n’hésite pas à nous communiquer son Souffle saint pour pardonner et réconcilier l’humanité. Les Actes des apôtres nous brossent un tableau de cette église dite « primitive »!
Ces premières communautés n’avaient pas de temples ; les Romains les traitaient d’athées, car on ne les voyait pas rendre de culte. Leur temple était fait matériau humain, selon les mots même de Pierre : « Vous-mêmes, telles des pierres vivantes, laissez-vous édifier aux yeux de Dieu afin de former une communauté sainte de prêtres… Vous êtes une race élue, un royal corps sacerdotal, une nation sainte, un peuple qu’il s’est acquis. » L’accent était mis sur la vie communautaire, l’amour fraternel efficace, le partage des biens, l’éradication de la pauvreté, autant de signes que Jésus ressuscité était au milieu d’eux.
Elle est impressionnante cette église de Jésus encore aujourd’hui. Jamais, je pense, elle n’a été aussi proche de ce que Jésus voulait qu’elle fut. Je n’ai qu’à regarder rétrospectivement mes modestes expériences missionnaires pour en témoigner. Je pense à la foi profondément ancrée dans le peuple haïtien, qui donne à ce peuple courageux la force d’affronter les pires misères avec l’énergie de l’espoir. Je me souviens des prières que les petites marchandes venaient faire dans l’église de Martissant, comment celles-ci criaient leur indignation et leur misère, demandant l’aide de Dieu pour traverser la journée et donner à manger à leurs petits. Des femmes héroïques qui luttent contre la violence, des paysans qui s’organisent pour reboiser leurs terres et défendre leurs droits, ces gens vivent une foi à transporter des montagnes.
Que dire de ces autochtones des Andes équatoriennes que j’ai eus le bonheur de connaître? Comment, inspirés par un pasteur et prophète, l’évêque Léonidas Proaño, des paysans refoulés sur les hauts sommets de la cordillère ont ouvert les yeux, se sont organisés et ont développé un long et pénible processus de libération en puisant à leurs traditions et à la source de leur foi chrétienne. Cette dernière leur avait été imposée avec violence par les conquérants. Mais plusieurs ont su discerner le véritable message du Christ. J’évoquerai ces leaders de communauté, des théologiens en poncho et sandales, qui dirigent leurs ouailles dans les recoins les plus reculés des montagnes et qui construisent dans le silence la véritable église de Jésus au service de la justice sociale.
Et le Chili de Pinochet, où les chrétiennes et les chrétiens ont été solidaires des victimes de la répression? Avec courage et détermination, l’église des quartiers populaires à caché des persécutés, a participé à la résistance, a manifesté contre la torture, les disparitions. Je pense aux nombreux martyrs d’Amérique latine et des Caraïbes, aux milliers de croyantes et de croyants qui luttent pour leur dignité, qui croient que Dieu prend leur parti pour défendre leurs droits à la vie, à la terre, à la liberté. À Romero, aux religieuses et religieux assassinés au Salvador, au Brésil, en Colombie, partout, et surtout aux dizaines de milliers de laïcs, femmes et hommes, syndicalistes, paysans, ouvriers qui ont croupi en prison, subi la torture ou ont été assassinés par des régimes qui se proclamaient catholiques et souvent avec la complicité de certains pasteurs.
Aux États-Unis, ces chrétiens et chrétiennes en grand nombre qui se rendent chaque année à Fort Benning, pour demander la fermeture de cette base militaire, école de terroristes, de tortionnaires pour tous les pays des Amériques. Ces gens vont en prison à cause de leur foi et font des pressions pour que cesse la militarisation de l’empire.
Elle existe l’église, peuple de Dieu, fraternelle, ouverte, sans exclusion, samaritaine, disposée à donner la vie pour que l’humanité et la planète vivent pleinement, une église qui aime le monde à la folie, comme Jésus nous l’a enseigné. Je la trouve auprès des malades et des mourants, auprès des adolescents blessés et des sans-abris, auprès des personnes vivant avec une déficience intellectuelle et auprès des prisonniers, etc.
Marco Veilleux, dans son texte au Devoir, mentionnait le témoignage de Simonne Monet-Chartrand, cette grande militante féministe, profondément chrétienne tout en étant très critique de l'institution catholique : « Les croyants qui sont d'un incroyable sens critique envers l’église et inébranlables dans leur appartenance à cette même église, sont les témoins dont elle a besoin pour progresser. Ces témoins sont d'autant plus efficaces qu'ils sont de l'intérieur. Ils sont de l’église, ils sont l’église qui s'autocritique pour replacer sans cesse sa double fidélité au Christ et au monde dans lequel il s'est incarné. »
Il semble qu’aujourd’hui comme hier, ce sont les femmes, disciples fidèles, qui relancent l’église sur les pas du ressuscité et prennent le leadership. Il faudra bien leur reconnaître ce ministère un jour.
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