|
Les sans-abris plantent leurs tentes
au cœur de la cité
En octobre 2007, plusieurs dizaines de membres du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ont planté des tentes devant l'Ambassade de France au Canada, puis devant la résidence officielle du premier ministre Harper à Ottawa. Ce geste visait à interpeller les gouvernements français de Nicolas Sarkozy et canadien de Stephen Harper sur leurs responsabilités respectives en matière de respect du droit au logement.
Sans domicile fixe, au bord de la Seine, Paris 2007.
Ils ont voulu se solidariser avec les 215 familles mal-logées qui, depuis le 3 octobre 2007, campaient jour et nuit en plein coeur du quartier des affaires, à Paris. Ces familles, qui étaient hébergées depuis des mois, sinon des années, dans des hôtels, des foyers ou chez des proches, revendiquaient leur droit à de véritables logements. Depuis un mois et demi, elles résistaient à la répression orchestrée par le gouvernement Sarkozy qui, à plusieurs reprises, a fait démanteler leur campement et confisquer les tentes, couvertures et bâches dont elles se servaient pour s'abriter.
Le FRAPRU dénonçait aussi l’indifférence du gouvernement canadien de Stephen Harper. Celui-ci n'a même encore daigné répondre aux critiques sévères que le Rapporteur spécial pour le droit au logement, Miloon Kothari, a émises à son égard, le 22 octobre dernier, à Ottawa. Celui-ci affirmait avoir constaté « l'impact profond et dévastateur que la crise nationale du logement et de l'itinérance a sur les conditions de vie de femmes, de jeunes, d'enfants et d'hommes ». Il se disait d'autant plus troublé que « le Canada est l'un des pays les plus riches de la planète ».
Or, depuis ce temps, le gouvernement conservateur a confirmé des surplus budgétaires de 8,7 milliards de dollars pour les cinq premiers mois de l'exercice budgétaire 2007-2008 et présenté un mini-budget qui annonçait de nouvelles baisses d'impôts et de taxes totalisant 60 milliards, mais n'a toujours pas investi un sou supplémentaire pour lutter contre les problèmes de logement et d'itinérance.
Tout pour l'armement, rien pour le logement!
« Les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de Stephen Harper obéissent à une même logique, celle de l'abandon de plus en plus marqué du logement aux seules forces du marché, celle du refus de faire jouer pleinement son rôle en l'État en matière de logement social, celle de la négation du droit au logement pour toutes et tous » affirme François Saillant du FRAPRU¹.
« Il est scandaleux que, depuis dix ans, les dépenses militaires du gouvernement fédéral aient augmenté de 69 %, alors que celles consacrées au logement n'ont connu qu'une faible hausse de 0,6 % ». Selon les données mêmes du gouvernement fédéral, le Canada compte près de 1,5 million de ménages ayant des besoins impérieux de logement, dont 351 800 au Québec, ainsi que 150 000 sans-abri.
Le gouvernement du Canada a estimé en 2005 à 150 000 le nombre de personnes sans abri au pays, dont environ 30 000 à Montréal. Plus de 66 000 ménages locataires payaient déjà en 2001 plus de 80 % de leur revenu pour se loger. Tous ces ménages ne se retrouvent pas à la rue, mais année après année, un grand nombre d’entre eux se retrouvent sans logis, expulsés de leur logement, incapables de le payer.
Qu’est-ce qu’une personne sans-abri ?
« Une personne qui n’a pas d’adresse fixe, qui n’a pas d’assurance de logement stable, sécuritaire et salubre pour les 60 jours à venir, à très faible revenu, avec une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, avec des problèmes soit de santé physique, de santé mentale, soit d’alcoolisme et/ou de toxicomanie, et/ou de désorganisation sociale et dépourvue d’appartenance stable. »
Un récit évangélique
À cette époque, César Auguste promulgua un édit ordonnant le recensement de tous les pays…
Arriva le moment de la mise au monde. Elle (Marie) donna naissance à son fils, le premier-né. Elle l’a emmailloté et l’a couché à l’abri d’une étable. Il n’y avait pas de place pour eux dans l’auberge.
Près de là, des bergers passaient la nuit dehors à veiller sur leurs troupeaux. Un messager du Seigneur vient près d’eux. La splendeur du Seigneur les illumine. Une grande crainte les saisit. Le messager leur dit : N’ayez plus de crainte. Je vous annonce, pour tout le peuple, une grande joie. Aujourd’hui, dans la ville de David, un libérateur est né pour vous. Il est messie, seigneur. Voici quel en est le signe pour vous : vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une étable.
Soudain arrive avec le messager l’armée du Ciel en grand nombre qui loue Dieu. Ils disent : Splendeur pour Dieu dans les hauteurs! Sur la terre, paix pour les hommes qui lui plaisent.
Lorsque les messagers furent repartis vers le ciel, les bergers se sont concertés : Allons jusqu’à Bethléem et voyons ces choses que le Seigneur nous a fait connaître. Ils se sont dépêchés et ont trouvé Marie, Joseph et l’enfant couché dans l’étable… (Luc 2, 1-20)
Il n’y avait pas de place pour eux ! (Luc 2, 7)
Noël ramène cycliquement à notre attention le fait que nombre de nos concitoyennes et concitoyens vivent dans la pauvreté. En décembre, on multiplie les gestes de solidarité, de générosité, de partage avec les personnes appauvries. Cependant dès janvier, ceux et celles qui auront reçu un panier pour fêter Noël « comme du monde », redeviendront des oubliés. Pourtant, il y a cinq ans, dans l’esprit des fêtes, l’Assemblée nationale du Québec votait à l’unanimité une loi pour l’éradication de la pauvreté d’ici 2012. Qu’en reste-t-il? Paroles, paroles, paroles! La lutte à la pauvreté n’est à l’agenda d’aucun parti politique en chambre!
L’évangile de Luc a marqué profondément notre imagination collective par son récit coloré de la naissance de Jésus dans une crèche. On y lit que Marie et Joseph cherchaient un endroit pour l’accouchement, mais il n’y avait pas de place pour eux, de sorte qu’ils se virent forcés de se réfugier dans une étable. Bien pauvre logement social! Combien d’hommes et de femmes se voient refuser leur place dans notre très riche société!
Ce récit de Luc est profondément révolutionnaire. Dieu arrive dans le monde parmi les exclus. Le dirigeant de l’époque, César Auguste, commanda un recensement mondial pour les besoins du fisc. Les conquêtes militaires romaines absorbaient des sommes colossales. Il fallait augmenter les taxes. De nombreuses émeutes et révoltes entourèrent ce fameux recensement. Même chose aujourd’hui, c’est « Tout pour l'armement, rien pour le logement! » Des milliards pour la guerre et des miettes pour les besoins sociaux!
Noël nous rappelle que Jésus de Nazareth est né d’une toute jeune adolescente, mariée par ses parents quelque temps auparavant selon les coutumes, et devenue enceinte (Dieu sait comment) hors des lois strictes du mariage, ce qui la rendait passible de lapidation sur la place du village. Cette jeune fille marginalisée et déclarée impure par des lois soi-disant divines, unira sa vie à un artisan du coin qui affrontera les préjugés et épousera dignement à la face du voisinage une fiancée déjà avancée dans sa grossesse, tout en sachant que l’enfant n’est pas de lui. Ouf!
Le premier homme et la première femme de ce monde nouveau annoncé par l’Évangile ont vécu une situation de très grande violence sociale. Pauvres, ils accueilliront la naissance de l’enfant au moment où ils étaient forcés d’aller se faire recenser et se voyaient imposer de trop lourdes charges fiscales. Leur petit naîtra en pleine nuit, dans une grotte de bergers comme il y s’en trouve encore de nombreuses dans les montagnes de Juda. Les gens qui les entoureront de leur solidarité seront des gardiens d’animaux, des travailleurs méprisés, marginalisés et souvent délinquants. Les bergers étaient des maudits, des exclus de la communauté sainte d’Israël et ils travaillaient pour les grands propriétaires qui les exploitaient. Enfin, le couple devra fuir la répression militaire en pleine nuit et trouver refuge en Égypte durant de longues années. De nos jours, on compte par centaines de millions les familles vivant des situations encore plus extrêmes.
Et nous qui cherchons l’Étoile, nous qui prétendons former la famille des disciples de Jésus, ferions bien de rejoindre au plus vite dans la rue les sans abris et rejetés de ce monde. C’est là que nous trouverons Dieu, alors que nous travaillerons solidairement à leur côté pour leur faire une place digne dans nos sociétés. « C’est à vous, citoyens, de protéger vos semblables à travers des actions fortes, communes et pacifiques » (Des Sans Gains pour les sans voix, Paris) Aujourd’hui comme hier, le Dieu libérateur vient planter sa tente avec celles des sans abris. C’est à ces personnes d’abord que la bonne nouvelle est annoncée et Dieu en fait ses ambassadeurs : un autre monde est possible, paix sur terre! Noël, c’est la tendresse et la justice de Dieu qui s’exprime par la solidarité humaine.
[1] Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Source:
Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que
personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Chronique
précédente :
Des jeunes impressionnants
|