Miryam , de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
Miryam ou le corps-prophète
Anne-Marie Chapleau | 3 janvier 2022
Lire : Exode 15, 20-21 ; Nombres 12
On aime bien voir Miryam, sœur de Moïse, sortir son tambourin pour entrainer toutes les femmes du peuple dans la danse joyeuse qui célèbre la libération de l’oppression égyptienne (Ex 15,20-21). Le texte l’appelle alors prophétesse et cela permet de découvrir une manière inédite de vivre l’élan prophétique : par le corps en mouvement et la voix qui chante.
Un autre épisode de l’histoire de Miryam, moins reluisant, mais plus intrigant, permet de découvrir une autre dimension du corps comme révélateur des secrets du Seigneur.
Deux poids deux mesures ?
Au chapitre 12 du livre des Nombres, Miryam se retrouve blanche comme neige par les « bons » soins du Seigneur. Mais qu’a-t-elle donc fait pour se mériter ainsi les foudres divines ? Oh, elle s’est permis une critique contre son frère Moïse parce qu’il a épousé une femme étrangère. Partageait-elle ici cette méfiance assez répandue dans la Bible à l’endroit des femmes étrangères, perçues comme des ferments d’idolâtrie pouvant contaminer leurs époux? Ou bien avait-elle juste voulu placer son frère devant ses propres incohérences? C’est qu’ailleurs , il ordonne à ses coreligionnaires de ne pas contracter de mariage avec les femmes des autres nations (Dt 7,3-4). Et puis, pourquoi son frère Aaron, qui s’est solidarisé de sa critique, échappe-t-il pour sa part à la colère divine? Un examen plus attentif du texte s’impose pour éclaircir l’affaire.
En fait, Miryam et Aaron se sentent victimes d’une injustice et ils le manifestent : « Le Seigneur ne parlerait-il donc qu’à Moïse? N’a-t-il pas parlé à nous aussi? » (v. 2). Oups! On dirait bien que le jupon de la jalousie dépasse un peu ici. Les deux comparses semblent croire que si Moïse se permet certaines libertés, c’est parce qu’il se perçoit comme ayant un statut à part de par le fait que le Seigneur lui parle.
En tout cas, si ce dernier parle, il entend également! Et en réaction à ce qu’il vient tout juste d’entendre, il invite la fratrie, Moïse y compris, à se présenter devant lui. Mais avant, le texte lui-même se permet un commentaire sur la grande humilité de Moïse (v. 3), comme pour bien indiquer à ses lecteurs qu’il n’est aucunement coupable de l’orgueil que lui prêtent son frère et sa sœur.
Ça, c’est du sérieux !
Voilà donc le trio qui se rend à la Tente de la Rencontre. L’affaire est sérieuse puisque le Seigneur prend la peine de convoquer ce qui ressemble fort à une séance de tribunal. Il ne donne cependant pas la parole aux accusés. Son évaluation de la situation est déjà terminée ; il les instruit de leur méprise. Ils ne sauraient se comparer à Moïse puisque ce dernier est le seul à qui il parle face à face (v. 8). Ses manifestations aux prophètes qu’ils sont peut-être passent par la médiation plus obscure du songe et de l’énigme. En clair, fait valoir le Seigneur, son lien avec Moïse est unique et le critiquer équivaut en quelque sorte à commettre un attentat énonciatif intolérable. La colère du Seigneur est la hauteur de l’enjeu de parole soulevé. À défaut de claquer la porte pour bien manifester sa désapprobation, il disparaît avec la colonne de nuée qui exprimait sa présence.
Deux témoignages
Miryam est désormais blanche comme neige. Sa lèpre témoigne des effets délétères d’une parole infectée sur le corps qui la parle. Aaron devient le regard qui contemple ce témoignage muet. S’il est épargné, c’est peut-être bien parce qu’il lui appartient de retisser les liens que leurs paroles à lui et à sa sœur avaient rompus. C’est donc lui qui implore Moïse, reconnaît leur faute et se met à plaider pour sa sœur. Il atteste ainsi une réalité vitale : les brisures relationnelles peuvent être surmontées. Moïse peut alors jouer son rôle habituel d’intermédiaire auprès du Seigneur.
Le Seigneur ne peut que céder devant la restauration de la solidarité fraternelle, mais non sans ordonner une mise à l’écart temporaire de Miryam. Au bout de ce nombre parfait de jours – sept – sa lèpre blanche disparaît comme neige au soleil. Mais le peuple qui l’attend aura eu le temps de méditer sur cet étonnant duo de témoignages surgi au cœur même d’une expérience négative.
Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).