La femme de Jéroboam, de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
C’était ton fils… La femme de Jéroboam
Anne-Marie Chapleau | 7 septembre 2020
Lire : 1 Rois 14, 1-18
Femme de Jéroboam [1], ton silence me déchire les oreilles et le cœur. J’y entends le silence opaque, lourd, chargé, de toutes les femmes qui se sont tues, qui se taisent et obéissent. Ton mari te dit : « Lève-toi. » Tu te lèves. « Déguise-toi. » Tu te déguises. « Va à Silo, vers le prophète Ahiyya. » Tu y vas. Ton mari t’a dit, en parlant d’Ahiyya : « Il t’apprendra ce qui doit arriver à l’enfant. » (vv. 2-4)
L’enfant? C’est ton enfant. Il est malade. Ton cœur bat-il plus fort alors que tu approches de la maison de celui qui sait? Que dira-t-il? Il n’a plus ses yeux (v. 4), mais ses oreilles entendent tous les chuchotements du Seigneur Dieu. Son nom ne veut-il pas dire « Mon frère, c’est le Seigneur » [2]? Il sait donc qui tu es, qui t’envoie, pourquoi tu es là.
Moi qui lis ton histoire, je sais certaines choses que le Seigneur Dieu lui a dites et qu’il ne te dira pas, ou pas entièrement : « Voici que la femme de Jéroboam vient solliciter de toi un oracle pour son fils. » (v. 5) Certes, le Seigneur ne t’as pas nommée. Tu demeures « la femme de ». Néanmoins, sa parole t’inscrit dans le texte comme sujet désirant et agissant. Elle te reconnaît comme mère de ton fils capable de venir solliciter pour lui un oracle. Oui, tu veux pour ton enfant une parole prophétique, une parole qui vient de Dieu. Tu ne veux ni supplier ni implorer, juste recueillir pour ton enfant une parole grosse de sa vie ou de sa mort. Une parole de père? Ton enfant, Abiyyah – « Mon père, c’est Yah » –, n’est-il pas fils de Dieu?
Le prophète peut t’ensevelir vivante sous des mots chargés de malheur. Il semble en avoir conscience quand il te dit : « J’ai un dur message pour toi. » (v. 6) Même s’il te donne plus loin l’ordre de rapporter les paroles du Seigneur à ton époux (v. 7), il te perçoit comme la première destinataire de sa funeste annonce.
Quand il a terminé de te transmettre les paroles que le Seigneur destine à Jéréboam, il ajoute pour toi seule des mots qui te crucifient et des mots qui t’apaisent : « Au moment où tes pieds entreront dans la ville, l’enfant mourra » (v. 13) ; « le seul de la famille de Jéroboam […] mis dans un sépulcre » (v. 13). Tu absorbes en silence ce vinaigre acide et ce miel timide.
Fatalité ou grâce?
Tu marches sans vaciller. Et si tu t’arrêtais au seuil de la ville, pourrais-tu mater le temps, suspendre ton destin et celui de ton fils? Mais non, tu marches. Tu poses un pied devant l’autre sans que le rythme de tes pas fléchisse. Voilà, tu es entrée dans la ville. Fatalement, tu trouves ton enfant mort quand tu arrives à la maison.
Tout Israël fait le deuil de ton enfant. Et ton deuil à toi? J’entends tes sanglots silencieux. Peut-être veilles-tu près du sépulcre où repose ton enfant, le seul des descendants de Jéroboan en qui le Seigneur ait trouvé quelque chose d’agréable (v. 13)? Peut-être veilles-tu ton fils enseveli dans l’innocence d’une jeunesse qui l’a préservé du mal? Silencieuse. Éternellement silencieuse. Mais je t’entends.
Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).
[1] Selon la Bible, Jéroboam est le premier roi du Royaume du Nord (Israël) après le schisme qui, à la mort de Salomon, scinde son territoire en deux. Le récit biblique en fait le prototype du roi infidèle.
[2]
Yah : le nom du Seigneur, en abrégé.