chronique du 26 octobre 2012
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La femme de Béthanie : une prophétesse peu reconnueL'onction de Béthanie Les récits bibliques recèlent de merveilleuses perles bien surprenantes. Parmi ces textes, l’onction à Béthanie (Mc 14,3-9; Mt 26,6-13; Jn 12,1-8) occupe un espace privilégié dans l’imaginaire chrétien, ne serait-ce qu’en raison de l’aspect relationnel et très corporel, pour ne pas dire sensuel, de ce passage. Luc relève cette possible ambiguïté en traitant d’un tout autre récit qui offre des réminiscences de l’onction de Béthanie (Lc 7,36-50). L’exploration de ce récit est essentielle car, au fil des traditions et du temps, l’ensemble de ces récits ont été amalgamés au point parfois d’y voir une prostituée (ou à tout le moins une femme plus ou moins déviante) ou Marie de Magdala, souvent en associant les deux personnages [1]. Pécheresse ou disciple?Dans l’épisode de l’onction de Béthanie, il est intéressant d’observer que la femme n’est pas nommée à l’exception de Jn 12 où Marie y est explicitement désignée par son nom et liée à Lazare (Jn 11,2). Lorsque nous nous reconstruisons le noyau texte, trois éléments structurent le récit [2] :
Conditionnés par leur culture, les rédacteurs [3] et la majorité des commentateurs ont grandement réduit la portée de cette action. Ils n’y perçoivent, en général, qu’un geste mettant en lumière la « nature féminine », comme le rappelle Olivette Genest :
Cette interprétation traditionnelle neutralise la dimension profondément subversive du récit. Il est à rappeler qu’à l’époque (comme aujourd’hui d’ailleurs), la culture gréco-romaine s’est construite selon une perspective marquée grandement par le genre qui avalise les archétypes stéréotypés définissant une frontière stricte entre les hommes et les femmes [5]. Ainsi dans la culture hellénistique, le principe masculin est considéré comme celui qui instigue l’action, qui démontre un leadership et qui se définit en contraste à la féminité valorisée dans une forme de passivité. Or, le texte renverse complètement les normes sociales : une femme est active alors que le Jésus est passif [6]! Sans doute est-ce pour cela que l’association fausse entre pécheresse et prostituée s’est élaborée très tôt afin d’éviter la reconnaissance réelle des femmes comme des disciples à part entière. Une disciple exemplaireComme le font observer O. Genest et E. Schüssler, une ligne d’interprétation tend à rendre invisible l’apport effectif des femmes dans le développement du mouvement-Jésus et du christianisme ultérieur [7]. Cela conduit à refuser la reconnaissance de cette femme, de Marie selon l’évangile de Jean, comme celle du véritable disciple. Le comportement de cette femme s’oppose ainsi aux attitudes de Pierre qui pleure à la suite du reniement (Mt 26,69-75; Mc 14,66-72; Lc 22,55-62; Jn 18,17.25-27) ou du baiser de Judas qui identifie Jésus comme une personne à appréhender (Mt 26,48-49; Mc 14,45; Lc 22,47-48). Il est à remarquer que le geste d’essuyer les pieds correspond à la scène du lavement des pieds (Jn 13,1-20). En plus, cela ne préfigure-t-il pas l’ultime don de soi en Jean [8] illustré par l’effusion des larmes [9]? Autrement dit, cette femme revêt la figure du vrai disciple qui discerne le sens potentiel des prochains évènements. Elle démontre paradoxalement l’attitude à adopter par rapport aux personnes appauvries. Selon l’interprétation du personnage de Jésus, ce dernier deviendra une des personnes les plus exclues et appauvries. Certes, la mention que le flacon de parfum représente 300 deniers (l’équivalent d’une année de salaire) et redistribué aux pauvres n’est pas dénué de sens, mais le texte pointe vers le fait que tout acte de solidarité implique une forme d’engagement relationnel qui semble absent dans le cas de Simon ou de Judas [10]. ConclusionCe passage évangélique incite à percevoir l’apport important de cette femme [11]. D’ailleurs celle-ci est pleinement reconnue dans sa portée de solidarité et de compassion au point où : « La femme lui [Jésus] est désormais si liée qu’elle traversera avec lui la mort et l’oubli, partie prenante de la proclamation universelle de l’Évangile, le don matériel devenu parole » [12]. De plus n’importe-t-il pas de reconnaître pleinement le caractère de disciple à cette femme comme le souligne Teresa J. Hornsby :
Le récit de l’onction de Béthanie invite à vivre une transformation profonde de notre regard spontané afin der voir autrement, au-delà des représentations normées de genre, la qualité exceptionnelle d’une femme. Celle-ci ne devient-elle pas, à la différence des Douze, une véritable icône vivante du Christ par son onction qui préfigure le don de vie de Jésus [14]? Pour les chrétiennes et chrétiens contemporains, une piste d’actualisation de ce bijou biblique, ne consiste-t-elle pas à convertir notre vision des relations femmes/hommes par la remise en question de nos catégories de genre? Celles-ci déterminent encore aujourd’hui et malheureusement nos normativités sociales et ecclésiales qui dictent les comportements masculins et féminins jugés culturellement appropriés. Sur le plan théologique n’apparaît-il pas opportun de déconstruire tout un discours qui justifie arbitrairement par une prétendue « Révélation divine », l’hétérosexisme exercé particulièrement à l’endroit des femmes [15]? Cela ne conduira-t-il pas à proposer une perspective nouvelle favorisant l’émergence d’une société, d’un christianisme totalement égalitaires où les femmes et les hommes se construiront par et dans des relations réciproques et pleinement humaines?
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