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Une Parole que lon porte et qui nous porte...
Tout a été dit sur lévangile
de la naissance de Jésus... que peut-on ajouter? Une pratique.
La pratique de la manducation de la Parole comme voie de proximité
et de communion avec le Vivant offert au plus près de nous. « Et
Marie retenait toutes ces paroles... » (Lc 2,19)
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Lc 2,19 (mp3) Lire
Luc 2,1-20
Dans lévangile
de Noël, nous entendons que Jésus naissant est couché
dans une mangeoire... Ceci nest pas un simple détail pour
embellir le décor de la nativité ou pour nous rendre la
scène plus concrète et attendrissante... La triple répétition
de ce détail quest la mangeoire (Lc 2,7.12.16) nous amène
sur une piste beaucoup plus profonde et féconde : Luc situe
celui qui naît à la place de la nourriture.
Quest-ce que cela nous dit de Jésus?
Que dans sa simplicité
désarmante, il est présence nourrissante au plus près
de nos réalités, dans le creux de nos mangeoires. Il est
pain vivant offert à notre faim du Vivant. Non seulement se fait-il
lun de nous, au plus bas de léchelle humaine, mais
nous invite-t-il aussi à une intimité rare : celle
quil nous est donnée de vivre dans les moments de grande
fragilité, les moments où nous risquons dabaisser
toute résistance, les moments où nous franchissons nos espaces
confortables et sécurisés pour nous approcher et nous ouvrir
au non-prévu, au réel... au Réel tel quil se
présente, là, palpitant de vie et hautement vulnérable.
Le Christ naissant nous ouvre un espace de communion et dintimité
inégalée.
Il ne simpose pas, il est là... tout simplement...
Et nous?
On peut bien regarder la scène
de lextérieur. On peut bien se la rappeler et la célébrer...
Si nous ne mangeons pas, si nous nouvrons la bouche et ne laissons
entrer en nous-mêmes le Vivant qui se donne dans sa fragilité
autant que dans sa vitalité, nous resterons sur notre faim et dirons...
« Et puis après? Quest-ce que ça change,
Noël? Un bébé, je vous dis que ça change
tout dans une vie ! Sauf si je le laisse à la porte de ma maison.
Franchir un seuil...
Franchir un seuil et faire
entrer en soi-même le Verbe fait chair, manger la Parole telle quelle
sincarne... Cette invitation trouve appui dans le texte même
de Luc de deux manières :
1. En mettant en scène une mangeoire au tout début de
la vie du Christ, Luc jette un pont symbolique vers le dernier repas
de sa vie. De même quà sa naissance Marie a déposé
Jésus dans une mangeoire, ainsi à son dernier repas, Jésus
se donne à manger aux siens, dans un moment de grande intimité :
« Ceci est mon corps qui est donné pour vous... »
(Lc 22,19). Un autre détail commun aux deux textes vient appuyer
leur lien : pendant les préparatifs de la dernière
cène, Luc prend soin de situer ce moment intensément désiré
par Jésus dans un lieu quil nomme par un mot identique
à celui quil a utilisé dans le récit de la
naissance. Ce mot - salle-dhôtes, en grec : kataluma
- nest employé nulle part ailleurs dans lévangile
de Luc (Lc 2,7 et 22,11 uniquement). Un pont très significatif
est donc jeté, nous invitant à nous nourrir de Celui qui
est Parole avant même de pouvoir parler.
2. En mentionnant comment Marie recueille en elle la parole des bergers,
qui est pour elle une parole-événement [1], Luc nous
invite à la même attitude réceptive. Cette attitude
est soutenue par une pratique sous entendue dans la formulation du texte.
Quand lécrit est rare, si on veut retenir un événement
avec ce quon en saisit, si on veut garder ouvertes les portes
du mystère quon pressent, on mange la parole liée
à lévénement et on la repasse dans
son coeur-mémoire... Lévangile de la nativité
dit de Marie quelle « retenait (ou : gardait-avec-soin)
toutes ces paroles-événements en les repassant (ou :
en les rencontrant-sans-cesse) dans son coeur » (Lc 2,19).
Une note de la TOB explique que dans lAncien Testament, une formulation
semblable indique que le dépositaire de la révélation
garde celle-ci pour lavenir. Cet acte intérieur de conservation
et de remémoration du message reste ouvert au sens à
découvrir par la vie, par là-venir. Marie pratiquait
donc ce quil est coutume de faire dans un milieu de tradition
orale : recueillir avec soin, repasser, murmurer et méditer
la Parole-événement.
Une Parole que lon porte et qui nous porte...
Une parole quon sincorpore
comme on mange le pain qui donne la force davancer. Rien dinstantané,
pas du fast-food, plutôt du slow-food. LAvent est à
nos portes... Vais-je laisser la Parole franchir le seuil de ma maison?
Vais-je la laisser entrer, bouchée de souffle par bouchée
de souffle? La porter, la bercer, la fredonner, la prendre précieusement
avec moi? Cette Parole qui finit toujours par nous porter... en Avent [2].
« En toute vigilance garde ton cur
car de lui dépendent les issues de vie ! »
Écouter
Proverbe 4, 23 (mp3)
Méditatif
biblique à écouter (mp3)
Louise Bisson *
Sherbrooke
* Lauteure est fondatrice de lAssociation canadienne du récitatif
biblique (ACRB). Cette réflexion sinspire de ce qui est vécu
au sein des réseaux de personnes qui, à la manière
de Marie, pratiquent la vigilance du coeur en mémorisant la Parole
de façon à la faire pénétrer jusque dans les
couches les plus profondes de lêtre. Dans cette pratique aussi
ancienne que nouvelle, la parole intensément portée dans
le coeur sécrète une sève vivante, savoureuse et
créatrice... La circulation invisible de cette sève crée
des liens au fil de la vie, déploie ce qui veut croître (individuellement
autant que collectivement) et jette des ponts vers les événements-parlants
qui donnent relief et unité à toute vie humaine. Voir le
site www.RecitatifBiblique.com
Notes
[1] Parole-événement : dans la mentalité
biblique, une parole abstraite, qui ne serait faite que de mots, nexiste
pas; la parole est liée à la réalité. En hébreu,
le mot dabar signifie aussi bien lévénement
que la parole. Quand on lit ce mot, on sait tout de suite quil est
question dun événement-parlant ou dune parole-événement.
Pour éviter la lourdeur de cette expression, certaines traductions
optent pour le mot chose : « Et Marie retenait
toutes ces choses... »
[2] Avent : du latin ad-ventus, arrivée;
ad-venire, arriver. Temps privilégié pour pratiquer la garde
du coeur, pour garder lespace-mémoire actif et ouvert sur
ce qui ad-vient.
Chronique
précédente :
Le parfum de la démesure (Jean 12, 1-8)
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