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Au féminin
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chronique du 10 juin 2005
 

Le jardin d'Éden comme symbole féminin de la grossesse

Le texte du second récit de la Genèse (2,4b-3,24) a façonné considérablement notre imaginaire. Il a trop longtemps légitimé une lecture plus culpabilisante et moralisatrice qui nous empêchaient de voir la beauté du texte et sa puissance de vie. Dans ce bref article, un autre regard sur le second récit de la Genèse (2,4b-3,24) sera proposé avec une approche offrant une interprétation qui s'inspire davantage de l'idée de l'émergence de la vie, du processus qui permet à l'identité de la personne de naître d'où le parallèle entre la gestation et le jardin d'Éden.

La relation comme genèse de la personne

     Lorsque nous parcourons le second récit de création (Gn 2,4b-3,24), nous constatons que YHWH modèle l'être humain à partir de la poussière d'où le nom générique adam tirée de l'adamah : la terre. Par ailleurs, cette expression implique que la personne humaine possède un lien indissociable avec le monde et nous relie solidairement avec l'ensemble du cosmos auquel nous appartenons. Nous formons une sorte de toile complexe qui nous relie les uns aux autres. L'être humain, tel qu'exprimé dans le texte, est fondamentalement indissociable de l'ensemble des écosystèmes de notre planète. Nous sommes issus de la Terre qui nous nourrit et nos fait vivre.

     Dans cette perspective, l'être humain se distingue uniquement par un degré de conscience différent des animaux. Certes, tout comme les êtres humains, ces derniers peuvent développer une certaine relation avec d'autres. Néanmoins, la capacité relationnelle humaine rend les personnes aptes à entretenir un niveau relationnel qui favorise un saut qualitatif de conscience : celle d'être. Cette qualité permet de s'affranchir des déterminismes biologiques. Sans doute est-ce la raison pour laquelle l'adam nomme les animaux puisque seul cet humain se révèle apte à nommer (Gn 2,19). Ce don de désigner les choses n'implique pas nécessairement une hiérarchie mais dénote plutôt le besoin relationnel de l'être humain.

     Or YHWH considère que les animaux ne peuvent combler le besoin de l'adam primordial. Si nous employons l'expression « primordial », c'est tout simplement pour mettre en lumière le fait qu'il ne s'agit pas d'une personne au sens où nous l'entendons mais davantage comme un foetus qui se développe dans le ventre de la mère. C'est bien la raison pour laquelle l'adam ne reçoit aucun nom propre. Il s'agit, en quelque sorte, du « fond commun » à toute l'humanité. Le jardin d'Éden pourrait bien servir de symbole féminin pour l'utérus.

Le féminin qui éveille la conscience

     C'est alors, selon le texte, que Dieu plonge l'adam dans un sommeil et prend une côte pour bâtir (le même terme est utilisé pour décrire la construction d'un côté du Temple) la femme. Avec cette opération, le texte ne parle plus d'adam mais de ish (mâle) et de isha (femelle). Il s'agit d'une séparation favorisant une évolution de l'être. Cette mutation de la conscience est décelable dans la différence des verbes employés lorsque l'adam s'exprime : s'il nomme les animaux, le verbe utilisé pour décrire la réaction face à la découverte de isha fait davantage appel à la relation de réciprocité et la reconnaissance. En d'autres termes, par la découverte extatique de l'autre, l'adam s'éveille à son existence et se reconnaît dans une parfaite relation réciproque où un dialogue s'instaure dans la mutualité de partenaires égaux. En effet, le texte ne laisse aucunement présager une domination des hommes sur les femmes

     C'est donc par la femme que l'homme se découvre comme être relationnel au point où ils ne formerons idéalement qu'une seule chair. Par conséquent le texte précise que la réalité de la sexualité est bonne car elle permet au sujet humain de se construire dans la rencontre avec l'autre. La première communauté humaine voit donc le jour dans l'altérité et le texte sous-tend que ce n'est que dans l'altérité que l'être humain peut se construire.

Le second récit de création : une métaphore de la gestation humaine

     Si nous poursuivons cette approche, nous pourrions considérer le second récit de création comme une forme de gestation et de maturation de l'être humain. Une métaphore du processus d'émergence de l'être et de l'identité de chacune et chacun d'entre nous. Le texte décrit la construction de l'identité humaine qui se développe peu à peu par la relation à l'autre (homme-femme). Le bibliste Robert David résume bien cette idée : « Le projet de Dieu pour chaque être humain, c'est qu'il découvre totalement dans l'autre l'aide qui lui est assortie. Cette relation n'est pas faite de domination, mais de la reconnaissance de l'identité qui se découvre dans l'échange réciproque, dans la découverte que l'autre est "chair de ma chair et os de mes os" (Gn 2,23) » (1). Conséquemment, ce n'est ni dans la fusion ni dans la soumission que se réalise l'être humain mais bel et bien dans la relation. Poursuivons cette interprétation. Si l'objectif est l'humanisation de isha et de ish, il importe que la femme et l'homme acquièrent une conscience plus complexe en les faisant accéder à la culture.

     L'interdit divin que nous retrouvons dans le récit, a alors pour but de susciter le désir de la connaissance du discernement. Le serpent symbolisant le féminin et la sagesse, peut représenter également une dimension de la isha. La femme ouvre de nouvelles perspectives quant à l'arbre du discernement. Elle trouve appétissant le fruit de cet arbre. Par sa transgression de l'interdit divin, elle assure l'obtention d'un niveau de conscience marqué par l'ambiguïté de la vulnérabilité. D'où l'écart entre l'idéal et la situation concrète de isha et de ish. Cette fragilité (« la nudité » relatée dans le récit) est alors perçue comme constitutive de la personne. Certes, la fragilité humaine peut amener à s'écarter mais elle demeure une dimension fondamentale car elle met l'être humain en mouvement à l'instar de la femme qui a eu un mouvement d'autonomie et donc de vie. Soulignons la solidarité du couple où seulement la consommation commune du fruit permet d'atteindre un autre niveau de conscience (Gn 3,5-7).

     Pour éviter que la nouvelle conscience paralyse le couple et l'amène à régresser, Dieu intervient alors afin de les mettre sur les routes du monde. En quelque sorte, « l'expulsion » du jardin peut être assimilée à un accouchement : celui de personnes responsables. Comme fait observer Alain Houziaux, le récit de Gn 2-3 ne relate pas tant une punition de l'être humain qu'une forme d'émancipation qui le conduit à l'âge adulte (2).

     En résumé, cette interprétation du second récit de création peut faire davantage référence à une grossesse (l'état « paradisiaque » du jardin) et à la naissance (début de la vie comme être humain capable de développer de façon autonome son identité relationnelle). Dans cette optique, le texte de Genèse 2-3 représente davantage un projet d'humanisation pour continuer pleinement l'œuvre de co-création (3).

     L'étymologie de hawwah (Ève) signifie « vie » car elle est la mère de tous les vivants (Gn 3,20). Or selon une approche féministe, Ève peut également représenter la vie car elle s'affranchit des règles édictées pour engendrer de nouvelles possibilités et d'autres voies favorisant l'autonomie du sujet pour poursuivre, en partenariat fécond avec les autres personnes, la co-création du monde en alliance avec Dieu.

Patrice Perreault
Bibliste, Granby

Notes

(1) Robert David, C'est pas fini! La création, d'hier à demain, Montréal, Paulines (Déclic), 1992, p. 45.

(2) Alain Houziaux, Le tohu-bohu, le Serpent et le bon Dieu, Paris, Presse de la Renaissance, 1997, p. 111.

(3) Voir l'excellent article de Anne M. Clifford, « When Humans Becomes Truly Earthly » dans Ann O'Hara Graff, Feminist Approaches to Theological Anthropology, Maryknoll, Orbis Books, 1995, pp. 173-189.

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