Icône écrite par Marie-Cécile Windish-Laroche, iconographe de Montréal (image reproduite avec autorisation).
3. La Vierge de la Guadeloupe
Luc Castonguay | 27 février 2023
L’étymologie du mot icône provient d’un terme grec ancien eikonia signifiant « image ». Dans les articles précédents, nous avons vu que dans les traditions religieuses chrétiennes orientales, l’icône est une image sainte porteuse d’une lourde tradition historique, religieuse et picturale.
Théologie
Cette icône de la Vierge est peinte sur du bois. On a collé au préalable une toile sur le bois pour ensuite l’enduire de plusieurs couches d’un plâtre particulier appelé levkas pour que la surface puisse être peinte à la tempera. Cette technique rappelle, par son symbolisme, l’image du visage de Jésus qui se serait imprégné sur le linge que sainte Véronique lui aurait présenté pendant sa passion sur le chemin qui l’a conduit au Golgotha. Plusieurs siècles après, cette anecdote a valu à la sainte la charge de patronne des photographes. Parallèlement, une autre légende de la chrétienté orientale s’apparente curieusement à ce miracle. Nous l’étudierons plus particulièrement dans un prochain article consacré à l’icône de la Sainte Face.
C’est dans cette ligne d’images acheiropoïètes (non faites de main d’homme) que l’icône qui concerne notre article s’apparente, car « l’image vénérée de la Vierge de Guadeloupe ne cesse de donner à la communauté scientifique des raisons de croire que c’est par le pinceau de Dieu qu’elle a été peinte sur le tilma – manteau – de saint Juan Diego [1]. »
« Le cœur de Marie est le plus proche des hommes parce qu’il est le plus proche de Dieu. Elle qui a donné la vie humaine à Dieu, elle donne aussi la vie divine aux hommes. C’est donc par son cœur maternel que Marie est « l’Étoile de la première et de la nouvelle évangélisation », comme l’appelait saint Jean-Paul II [2]. »
Histoire
Certains phénomènes (sensations olfactives, auditives ou visuelles, guérisons, etc.) qui ne peuvent être expliqués par la science ou les lois connues de la nature sont considérés comme des actes de présence ou de puissance divine. La Bible en parle comme des prodiges, des guérisons ou des signes. Ces faits extraordinaires et surnaturels passionnent et sont souvent un support de foi pour plusieurs chrétiens et c’est précisément le cas pour l’histoire des apparitions miraculeuses de Notre-Dame de Guadeloupe, car on dit que son sanctuaire est le deuxième lieu de pèlerinage le plus visité après le Vatican.
Ce serait le 9 décembre 1531, très tôt le matin, que la Vierge serait apparue pour la première fois à Juan Diego, un paysan de 54 ans, sur la colline de Tepeyac, lui demandant d’intercéder auprès de l’évêque de Mexico, Mgr Juan de Zumarraga, pour la construction d’une église à cet endroit. Le pauvre essuya plusieurs suspicions et refus de la part du prélat qui finit par lui demander une preuve. Retournant à chaque rejet à la colline où la Dame lui prodiguait ses conseils, celle-ci le rassurait dans sa charge. Lors de sa quatrième apparition, quelques jours plus tard, elle lui accorda le signe réclamé. L’histoire nous dit que la Vierge lui demanda alors d’aller cueillir des fleurs sur la colline et de les garder dans son manteau pour les apporter à l’évêque. Arrivé au palais épiscopal, « il ouvre son ayate [3] [tilma, cape ou manteau] devant l’évêque, éberlué de voir de si belles fleurs en cette saison! […] Pendant que les fleurs tombent à ses pieds, voici qu’un prodige inouï se produit : le portrait de la Sainte Vierge, telle que Juan Diego l’avait longuement décrit à l’évêque, se trouve soudain imprimé sur la toile rugueuse de la cape [4]! » Maintes fois décrits, les paroles et les faits de cette histoire ne varient que très peu d’un récit à l’autre. C’est en 1548, à l’âge de 74 ans, que mourut Juan Diego.
Basilique actuelle au nord de Mexico (Janothird / Wikimédia).
Un premier sanctuaire, construit en 1533, fut maintes fois rebâti et agrandi. Ce n’est qu’en 1976 qu’une basilique y fut érigée. Ce site marial dédié à la Mère des Amériques est le plus visité au monde. La Dame est fêtée chaque année le 12 décembre par l’Église universelle et spécifiquement au Vatican où une messe est célébrée en son honneur à la basilique Saint-Pierre.
En 1754, le pape Benoît XIV nomme Notre-Dame de la Guadeloupe patronne de la Nouvelle Espagne. En 1891, Léon XIII la proclame Reine du Mexique et impératrice de l’Amérique latine. En 1910, Pie X proclame la Vierge de la Guadeloupe, patronne de l’Amérique latine. Un patronage est « étendu aux Philippines par Pie XI en 1935 et aux Amériques par Pie XII en 1946. Un an plus tôt, ce dernier avait qualifié Notre-Dame de Guadeloupe « Reine du Mexique et l’Impératrice des Amériques » et estimé l’image réalisée avec des « pinceaux qui ne sont pas de ce monde ». Vingt ans plus tard, toujours depuis le Mexique, il l’invoque comme « Étoile de la première et de la nouvelle évangélisation d’Amérique ». C’est Jean-Paul II qui a béatifié Juan Diego le 6 mai 1990 et canonisé le 31 juillet 2002 [5].
Pour comprendre l’icône
Pie XII avait dit que l’image imprimée sur le tilma de Juan de Notre-Dame de Guadeloupe nous vient du ciel! Elle serait donc une eikon non faite de mains d’homme. Plusieurs scientifiques l’ont étudié et, selon leurs résultats, certains pigments utilisés pour la peindre ne sont de provenances (ni végétale ni minérale) connues. De plus, récemment en agrandissant l’image, des chercheurs auraient découvert dans les yeux de la Vierge d’autres signes prodigieux. Depuis son apparition jusqu’à nos jours, par sa vénération et son intercession, cette image est à l’origine de plusieurs bienfaits.
Bien entendu, l’icône que nous commenterons ici est une reproduction conforme à l’image originale, mais reproduite dans le style et la technique de l’iconographie traditionnelle. À première vue, par sa représentation graphique, les mains jointes en orante, portant un manteau bleu et une robe blanche, positionnée à mi-chemin entre ciel et terre, l’image de Notre-Dame de la Guadeloupe ressemble étrangement à « la Vierge dans la gloire de l’Assomption, « exaltée par le Seigneur comme Reine de l’univers afin de rassembler plus parfaitement à son Fils, Seigneur des seigneurs (voir Ap 19,16) et vainqueur du péché et de la mort » (Lumen gentium 59 [6]). » Notons que la couleur bleue symbolise le calme et amène à la contemplation tandis que le blanc évoque la pureté virginale du sujet. Ces deux images représentent toutes deux Marie en médiatrice entre Dieu et les humains.
Singulièrement, Notre-Dame de la Guadeloupe est représentée entourée d’une aura enflammée. Ce qui ne peut que nous remémorer les litanies que l’Église a dédiées à Marie parmi lesquelles on retrouve : Buisson ardent, Source de lumière, Femme revêtue du soleil, Femme radieuse, Étoile brillante du matin, Plus claire que la lune, Plus resplendissante que le soleil, Mère de la Lumière, Lumière de la connaissance, Sainte Marie de la lumière, Présence lumineuse ainsi que de nombreuses autres. Par toutes ces invocations, le magistère de l’Église nous rappelle la mission particulière de Mère du Verbe incarné. De plus « le buisson que le feu ne consume pas est l’image de la virginité de la Mère de Dieu, en qui la divinité s’est unie à l’humanité, sans altération ni changement, sans mélange ni confusion (voir le concile de Chalcédoine [7]). » Rappelons que ce concile tenu en 451 a statué et reconnu la double nature de Jésus à la foi fils de Dieu et fils de Marie.
Juan Diego au bas de l’icône
Enfin, tout au bas de l’icône, apparaît Juan Diego ailé soutenant la Vierge. Le fond de l’icône est doré. Les personnages de l’icône sont représentés dans la lumière du Royaume, ce qui les situent hors du temps et de l’espace. « Un fond naturaliste, réaliste, qui éliminerait tout arrière fond de lumière divine, diminuerait la percée du Royaume dans notre monde [8]. » Ce qui serait contraire au message même de Notre-Dame de la Guadeloupe protectrice des pauvres, des plus petits et de la famille.
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Voir Jaime Septién, « Le miracle de Guadeloupe réside aussi dans les yeux de la Vierge » (Aleteia).
[2]
Simon Lessard, « L’incroyable histoire de la Vierge de la Guadalupe » (Le Verbe).
[3] Ayate ouTilma est un vêtement porté en guise de manteau par les hommes chez les Aztèques.
[4] Francine Bay, Les plus célèbres apparitions de la Sainte Vierge, Paris, Pierre Téqui, 2020.
[5] Adelaide Patrignani, « Notre-Dame de Guadeloupe, la sainte patronne des Amériques honorée au Vatican » (Vatican News).
[6] Litanies.
[7] « Le buisson ardent figure de Marie dans l’art » (Encyclopédie mariale).
[8] Stephane Bigham, L’icône dans la tradition orthodoxe, Montréal, Médiaspaul, 1995, p. 39.