Icône de la Nativité du Christ. École de Novgorod, 15e siècle (Pravmir).
« Je suis la lumière du monde » (Jn 8,12)
Luc Castonguay | 21 décembre 2020
Noël prend racine dans une fête qui commémorait le retour de la lumière après le solstice d’hiver, mais c’est maintenant une fête chrétienne qui célèbre la naissance de Jésus « lumière du monde ».
En iconographie, la notion de lumière a une très grande importance dans son écriture et sa théologie. Elle sera donc la ligne directrice de notre lecture de l’icône.
Un peu d’histoire
Nous avons déjà vu, dans la lecture de l’icône du baptême du Christ, qu’au début de la chrétienté, la fête de la Nativité et celle de l’Épiphanie étaient célébrées ensemble le 6 janvier. Ce n’est que vers l’an 354 [1] que l’Église les sépare pour bien marquer les deux natures de Jésus. La nativité célèbre son humanité et son baptême célèbre sa divinité, car c’est lors de cette évènement que Dieu lui-même le reconnaît comme étant « son fils bien aimé » (Mt 3,17) ce que l’on appelle la Théophanie (du grec théophania qui signifie révélation d’une divinité).
L’histoire de la Nativité – avec la grotte, l’âne et le bœuf, les anges, les bergers, les rois mages, l’étoile – est une recomposition qui réunit divers passages des évangiles canoniques de Matthieu (1,18–2,12) et de Luc (2,7-19) mais aussi des évangiles apocryphes de Jacques (17,3–21,2) et du Pseudo-Matthieu (13,2-7 ; 14). L’icône dont nous ferons la lecture date d’environ 1475 et proviendrait de Novgorod. Elle est de composition très complexe : la scène principale de la nativité, située au centre, est entourée de plusieurs tableaux qui font références à plusieurs de ces textes.
Un peu de technique
Ce qui saute aux yeux, dès le premier regard, est sa luminosité : beaucoup d’or dans le fond et la bordure de l’icône, dans l’assiste sur les ailes, les vêtements et les trois étoiles de virginité sur le voile de Marie. De plus le rocher qui remplit presque tout l’espace est d’un ocre jaune pâle qui éclaire encore plus l’espace. Par-contre ce qui paraît insolite est le fait que le seul endroit sombre est la scène principale située au centre même de l’icône où se trouve l’enfant Jésus accompagné de l’âne et du bœuf.
Une deuxième observation structurale importante serait que cette allégorie fait parfaitement voir ce que le père Sandler appelle les trois espaces d’une icône : la zone théophanique, la zone mystique et la zone catéchétique. Cette icône est divisée clairement en sections horizontales. Celle du haut, appelée théophanique, est toujours réservée aux créatures célestes ; dans ce cas-ci des anges. Leurs mains sont couvertes en signe de déférence envers leur Seigneur. Au centre de cette section, une demi-sphère d’où émerge un rayon de lumière, avec une étoile dans sa partie supérieure, se divisant en trois ce qui symbolisent la présence de Dieu un et trine à cet avènement.
La zone du milieu, dite mystique, renferme toujours les éléments principaux du mystère représenté. Ici, elle est habitée au milieu par les personnages principaux. La grotte très obscure où l’enfant Jésus, emmaillotté de langes, est couché dans une mangeoire : « la lumière luit dans les ténèbres » (Mt 2,1-11 ; Jn 1,5). La présence du bœuf et de l’âne remémore la prophétie d’Isaïe, « le bœuf reconnaît son bouvier et l’âne la crèche de son maître » (Is 1,3). En dessous, Marie, de taille démesurée, est couchée sur un large coussin de forme ovale et de couleur rouge. Elle semble lasse et/ou pensive. Elle tourne le dos à l’enfant et paraît regarder Joseph. La couleur de sa couche, rouge vif, est souvent employée pour signifier la présence (l’action) de l’Esprit-Saint. À droite, un berger et à gauche, les mages ; tous des personnages secondaires, mais qui sont cités par les évangiles canoniques (Lc 2,8-18).
La partie du bas, appelée catéchétique, comprend deux tableaux très humains puisqu’ils représentent le doute face à l’incarnation virginale et divine de Jésus. Celui de gauche dépeint le doute de Joseph. On le voit soucieux, qui semble dépassé par l’évènement. Il est assis devant un vieillard hirsute souvent expliqué comme le tentateur qui s’amuse à faire surgir le doute de la virginité ante partum de Marie. À droite, deux sages-femmes : Zahel et Salomé donnent le bain à l’enfant Jésus. Ce geste peut s’interpréter comme un baptême. Ces femmes ne sont citées que dans les évangiles apocryphes et le texte du Pseudo-Matthieu raconte que Salomé, doutant de la virginité in partu de Marie, demande à vérifier et s’en retrouve avec la main desséchée que le Seigneur guérira plus tard (Jacques 13,4).
Un peu de théologie
La lecture théologique de cette icône de la nativité nous ramène, par sa symbolique, à la théologie de la mort/résurrection de Jésus. Des indices dissimulés dans l’icône lumineuse de sa nativité nous ramènent dans la sombre passion de Jésus.
Nous devons d’abord repérer dans l’icône ces indices. La grande noirceur de la grotte évoque les ténèbres des enfers qu’il visitera à sa mort. De plus les langes entrelacés s’apparentent à un linceul et le berceau à un tombeau. Les mages préfigurent les Myrophores au sépulcre. De plus on ne peut ignorer que la demande de Salomé (la sage-femme) de toucher pour croire, ressemble étrangement au doute de Thomas. N’oublions pas que tout le mystère de l’incarnation de Jésus prend son sens dans celui de la rédemption, c’est-à dire de sa mort et de sa résurrection. D’ailleurs, Marie semble déjà tourmentée par ce destin douloureux qu’aura son enfant.
Mais il est à propos de se demander pourquoi cette représentation, qui célèbre [2] et rappelle dans l’allégresse l’évènement de la naissance de Jésus, fait autant de références, si symboliques soient-elles, aux évènements tristes de sa passion et de sa mort? La réponse se trouve peut-être dans le mystère même de l’Incarnation : « cet enfant est né pour mourir, pour donner sa vie [3] ». Ce don qui est Amour est plus fort que la mort, il mène sur le chemin de la Résurrection. Tout ceci aurait alors un dessein illuminant et plein d'espoir et d'allégresse : notre rédemption et notre salut grâce à ce Dieu plein d’amour et de miséricorde.
Nous venons de constater que l’icône de la nativité du Christ, à travers le symbolisme de beaucoup de ses composantes, laisse présager sa mort [4]. « Lumière et ténèbres évoquent vie et mort, bien et mal. Tel est le langage des plus anciennes croyances [et traditions] religieuses [5]. »
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Georges Drobot, Icône de la Nativité, Éd. Abbaye de Bellefontaine, 1980, p. 223.
[2] Le mot peut paraître inapproprié pour certains mais il prend tout son sens par cette citation de la « Lettre de Jean-Paul II aux artistes » où il a écrit que « l'icône est un sacrement : en effet, d'une manière analogue à ce qui se réalise dans les sacrements, elle rend présent le mystère de l'Incarnation dans l'un ou l'autre de ses aspects ».
[3]
Jean-Yves Leloup, « L’icône une école du regard », Paris, Éd. Le Pommier, 2000, p. 45.
[4] Le « symbole n’est pas un signe mis arbitrairement et intentionnellement pour un état de fait connu et concevable; c’est une expression […] destinée à traduire un contenu dépassant le monde humain et, par la suite, saisissable d’une manière seulement relative. » Georges Drobot, Icône de …, p. 44.
[5] Egon Sendler, L’icône, image de l’invisible, Bourges, Desclée de Brouwer, 1981, p. 155.