Ascension du Christ, icône de Michurin, XVIe siècle, 98 x 68 cm. Galerie d’art de Bourgas, Bulgarie (Wikimedia).

Qu’il entre, le Roi de gloire

Luc CastonguayLuc Castonguay | 18 mai 2020

« Portes, levez vos frontons […] qu’il entre, le Roi de gloire. » (Psaume 23,7)

Par le Credo, les chrétiens confessent qu’après sa mort Jésus est descendu aux enfers. Et l’icône de Pâques « La Descente aux Enfers » nous le montre brisant les portes du Schéol pour en libérer les justes. Le Symbole des apôtres proclame aussi que 40 jours après sa résurrection, le Christ passe les portes du ciel pour rejoindre le Père et régner sur le royaume des cieux. C’est ce grand évènement que l’icône de l’Ascension illustre.

Dans cette descente dans l’abîme de la terre et cette ascension au plus haut des cieux, nous devons voir le symbolisme des deux natures de Jésus, vrai Dieu et vrai homme.

Dans la communion de toute l’Église, nous célébrons le jour très saint où notre Seigneur, ton Fils unique, ayant pris notre nature avec sa faiblesse, la fit entrer dans la gloire, près de toi [1].

Un peu d’histoire

Jusqu’au Ve-VIe siècle la fête de l’Ascension, qui commémore les derniers moments terrestres de Jésus, était célébrée en même temps que la Résurrection et la Pentecôte [2]. L’icône que nous étudions reprend l’image d’une scène reproduite sur les ampoules de Monza qui datent de la même époque où il était fréquent de voir les représentations de l’Ascension et de la Pentecôte ensemble [3].

À la fin des évangiles de Marc et de Luc, il n’y a que deux courts passages (Mc 16,19-20 et Lc 24,51-53) qui parlent de l’évènement. Mais Luc reprend au tout début de son deuxième livre, les Actes des Apôtres, l’histoire de l’Ascension de Jésus dans lequel il décirit l’élèvement avec un peu plus de détails (Ac 1,6-14). Jésus quitte temporairement la terre, car « ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l’avez vu partir vers le ciel » (Ac 1,11).

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Un peu de technique

La composition iconographique de l’ascension fut reprise par plusieurs grandes écoles dont celles de Moscou et de Novgorod [4]. La scène a très peu de variantes dans ses différentes représentations à travers les siècles. L’image s’inspire du récit de Luc dans les Actes des apôtres.

L’icône est divisée nettement en deux sections. Dans la partie supérieure de l’icône, nous voyons le Christ en gloire dans une mandorle, cercle cosmique, soutenue (ou gardée) par deux anges. La ligne de montagnes avec de grands arbres sépare la partie céleste de la partie terrestre. Le récit de Luc situe la scène sur le mont des Oliviers (1,12).

Dans la partie inférieure, nous pouvons facilement reconnaître au centre la Mère de Jésus par la couleur de ses vêtements et ses étoiles de virginité. Son chiton (tunique) est toujours bleu, couleur qui symbolise la profondeur et la sagesse. Son maphorion (manteau) est d’un rouge tirant fortement sur le pourpre, couleur réservée à la royauté qui symbolise le pouvoir et l’autorité.

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La présence trinitaire y est symbolisée par deux formes triangulaires. Dans la partie du haut, les deux anges avec Jésus forment un triangle. Dans la partie du bas, les trois arêtes d’un triangle sont le doigt qui pointe vers le haut de chacun des anges de chaque côté de Marie avec la base de ses pieds. La tradition reconnaît ici les archanges Gabriel et Michel. Notons que les structures géométriques sont très souvent utilisées pour la composition iconographique et sont toujours représentatives d’un symbolisme théologique.

Les douze apôtres sont positionnés également en deux groupes. Tous regardent vers le haut, le Christ dans sa gloire assis sur le trône céleste les bénissant. Ils sont tous vêtus de tuniques bleues, couleur symbolisant la fidélité [5]. Au premier plan de ces deux groupes, nous reconnaissons, à gauche, Pierre par sa chevelure frisée et, à droite, Paul toujours peint cheveux sombres et presque chauve. Les deux piliers de L’Église chrétienne.

Un peu de théologie

Quarante jours après sa résurrection, Jésus termine son séjour terrestre. Mais pourquoi 40 jours et non 30? Pour tenter une réponse, il faut se référer à la Thora. Le chiffre 40 a une signification lourde de sens pour les Juifs de l’époque de Jésus. Il rappelle la délivrance du peuple : Moïse passa 40 ans dans le désert (Nb 14,34) avant d’atteindre la terre promise par Dieu. Et tout au long du Premier Testament, ce chiffre ressurgit dans des moments importants d’Israël. Il signifie un temps de purification et de retrouvaille. Comme cette quarantaine de Jésus sur terre qui a occasionné des moments de retrouvailles avec ses disciples. « Il s’était montré vivant après sa passion; après quarante jours, il leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu. » (Ac 1,3) Un temps où il va enseigner à ses disciples ce qu’il attend d’eux : établir la mission de son Église. « Vous serez alors mes témoins […] jusqu’aux confins de la terre. » (Ac 1,8)

« Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28,20) Après son ascension, la présence de Jésus n’est plus visible. « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’Essentiel est invisible aux yeux [6] » dirait-on. La présence du Christ s’est intériorisée par l’action de l’Esprit dans chacun des disciples assemblés en communautés qui composaient la base et la structure de son Église.

Les deux anges près de la Vierge redisent sensiblement le même message qu’ils avaient prononcé devant le tombeau vide : « Pourquoi cherchez-vous ici celui qui est maintenant ailleurs? » L’ascension est l’épisode final, l’épilogue de la Résurrection du Christ. Le verbe incarné s’élève vers le Père dans son corps d’homme, assumant pleinement ainsi sa divinité et son humanité.

Les personnages qu’on retrouve dans cette icône sont l’image de l’Église naissante par sa représentation avec Marie, les mains tendues, orante comme modèle de l’Église en prière et médiatrice entre Dieu et les hommes. Marie, mère de Dieu, est d’ailleurs reconnue très tôt dans l’histoire comme la personnification, le signe de l’Église et la « Mère de tous les apôtres et de tous les hommes » [7].

De plus l’icône de l’Ascension, nous montrant Jésus venu des cieux par son incarnation et y retournant sa mission terminée, a une dimension eschatologique ; l’aboutissement de la mission accomplie et donc le commencement de l’attente de la parousie. Depuis, les chrétiens « remplis d’espérance, peuvent attendre avec confiance le second avènement du Christ et son jugement [8] ». La présence de Jésus Christ transcende désormais le temps et l’espace.

Pour conclure remarquons qu’historiquement ni Paul, ni Marie ne devraient figurer sur l’icône : Paul parce qu’il s’était converti plus tard et Marie parce qu’aucun texte canonique ne confirment sa présence au mont des Oliviers. Mais nous pouvons voir, par leur préséance dans la représentation iconographique de l’Ascension, une autre preuve que cette image est bien une allégorie de l’Église chrétienne naissante. Nous savons que les icônes n’ont aucune référence sur l’espace et le temps réels. Elles représentent un espace et un temps sacrés, elles sont une fenêtre sur l’absolu, une image de l’invisible. Elles relèvent du mystère et révèlent le mystère.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Prière eucharistique I, propre de l’Ascension.
[2] Alfredo Tradigo, Icônes et saints d’Orient, Paris, Hazan, 2005, p. 150.
[3] André Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne, Paris, Flammarion, 1994, p. 198.

[4] Paul Evdokimov, L’art de l’icône, théologie de la beauté, Paris, Desclée de Brouwer, 1970.
[5] Egon Sendler, L’Icône image de l’invisible, Paris, Desclée de Brouwer, 1981, p. 146.
[6] Antoine de Saint Exupéry, Le petit Prince.
[7] Michel Quenot,  Les douze icônes des 12 grandes Fêtes , Saint-Maurice, Éd. Saint-Augustin, 2004, p. 83.
[8] Nathalie Requin, « L’Ascension du Christ : le Verbe fait homme pour l’éternité », Nouvelle revue théologique [2] 139 (2017), p. 193.

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