La Trinité. Andreï Roublev, icône russe peinte entre 1410 et 1427 (Wikipedia).
L’icône : présence divine et « fenêtre sur l’Absolu »
Luc Castonguay | 18 mars 2019
Vraisemblablement apparue vers le Ve siècle de notre ère, l’iconographie a su traverser les siècles sans altérations pour venir encore aujourd’hui toucher notre âme [1]. Elle se réfère à la théologie, à l’histoire et à l’art. Elle reste une image mystérieuse et c’est pourquoi elle nous fascine et nous interpelle.
L’iconographie traditionnelle est encore pratiquée de nos jours avec la même vénération et le même respect de la tradition. Les iconographes utilisent les mêmes matériaux et la même technique que les anciens maîtres. « Le processus créatif affecte certains éléments tandis que d’autres restent intacts et inchangés. » [2] Écrire, c’est-à-dire peindre une icône, n’est pas un travail d’intuition ou de création comme le sont les autres formes d’art mais un travail de méditation s’appuyant sur une tradition.
L’icône n’est jamais signée car elle est un travail d’effacement devant le mystère de l’œuvre : ce qui est valorisé dans l’iconographie n’est pas le talent de l’artiste, mais la beauté de l’œuvre achevée. L’icône n’est jamais encadrée car ce n’est pas une œuvre artistique mais une rencontre mystique. On ne crée pas une icône, on reproduit, avec le plus grand respect, des icônes anciennes. Un peu comme le musicien joue, en y mettant son talent et son âme, une pièce musicale tout en respectant les notes et le devis musical du compositeur.
Un peu d’histoire
Vers 380 le christianisme devient religion d’État. Les chrétiens sortent des catacombes, construisent des églises et les décorent. À Rome, on découvre encore aujourd’hui des fresques et des mosaïques de saints et de scènes religieuses qui les décoraient à cette époque.
L’iconographie a vécu deux périodes de grande noirceur : l’iconoclasme de 730-787 et celui de 813-842. Pendant ces querelles d’images les icônes furent presque toutes détruites brûlées. Les plus anciennes qui ont survécu jusqu’à nous datent du VIe siècle et sont conservées au monastère de Sainte-Catherine du Sinaï. L’an 843 marque le triomphe des iconophiles et la réhabilitation du culte des icônes.
Un peu de technique
Les icônes sont toujours peintes sur bois. Les toutes premières l’étaient à l’encaustique où la cire chaude servait de diluant aux pigments. Cette méthode très ancienne fut délaissée assez tôt et les icônes furent ensuite toujours peintes a tempera et elles le sont encore de nos jours. Dans cette technique, les pigments sont broyés avec une émulsion de jaune d’œuf et d’eau. Certains iconographes y ajoutent quelques gouttes de vinaigre, d’autres remplacent l’eau par la bière, mais la majorité se servent de vin blanc, l’alcool aidant à la préservation des couleurs. Les pigments qui donnent la couleur sont des granules de différentes terres (terre de sienne, terre verte de Giotto, ocres clairs ou foncés), de pierres précieuses (lapis lazuli, améthyste) et d’autres matières naturelles.
La dorure des icônes est faite de feuilles d’or pur véritable. Dans l’iconographie traditionnelle ancienne, on ne dorait que l’auréole des saints représentés. Ceci avait pour but d’attirer et de fixer le regard sur la personne représentée. Mais vers les XVIIe et XVIIIe siècle l’iconographie a connu une période de décadence pendant laquelle on a commencé à utiliser l’or à l’excès pour dorer le fond et les bordures des icônes et on habillait même certaines icônes de métal et de pierres précieuses (riza).
Par les matériaux employés pour son écriture, l’icône touche aux trois règnes : le règne végétal avec le bois de son support, le règne animal par l’œuf de l’émulsion et le règne minéral par les pigments utilisés.
L’iconographie utilise les symboles pour exprimer l’indicible, dévoiler Dieu et sa création. Cette tecnique peut parfois faire penser que les icônes appartiennent à l’art naïf. Mais en iconographie, les personnages parfois disproportionnés, inexpressifs, l’absence d’ombres, les couleurs, le non-lieu, la lumière qui émane de l’intérieur des personnages et la perspective inversée ont toujours une grande signification symbolique et/ou théologique. « Peindre une icône constitue un art d’inspiration divine. » [3]
Un peu de théologie
« Avant d’être belle l’icône doit être vraie ; et cela d’autant plus que l’image touche le cœur avant de toucher l’intelligence. » [4]
L’icône a une source, une histoire et un fondement théologique et le travail de l’iconographe commence par la prière. C’est un credo au Dieu créateur et une humble imploration d’aide.
« Toi maître divin de tout ce qui existe, éclaire et dirige l’âme le cœur et l’esprit de ton serviteur, conduis ses mains afin qu’il puisse représenter dignement et parfaitement Ton image, celle de Ta Sainte Mère et celle de tous les saints, pour la gloire, la joie et l’embellissement de Ta Sainte Église. »
L’iconographe commence toujours son travail par cette oraison. Il y fait acte de foi envers le Dieu créateur. Il implore son aide spirituelle et prête humblement ses mains pour l’accomplissement de son travail. Il le fait non pas dans un but introverti d’égocentrisme mais extraverti tourné vers l’Autre : le bien de Dieu et de son Église.
Nous pouvons certainement dire que l’iconographie est une relecture graphique de la Bible. Si les icônes sont arrivées jusqu’à nous sans perdre leur simplicité et leur spécificité ou sans être influencées par les grands courants artistiques comme la renaissance ou le modernisme, c’est que l’Église orthodoxe l’a protégée dans un écrin de règles, qui sont encore suivies scrupuleusement par certains iconographes, que l’on appelle les canons iconographiques. C’est principalement ce qui a permis à cet art si particulier de traverser les siècles sans être perverti. L’icône est restée une image sainte qui parle au cœur.
Je vous propose donc de me suivre dans ce merveilleux monde qu’est l’iconographie au cours des prochains articles où nous regarderons ensemble les icônes des grandes fêtes de l’Église orthodoxe. Nous essaierons d’en décrypter des indices pour en faire une lecture éclairée dans sa forme historique, iconographique et théologique.
Luc Castonguay est iconographe et étudiant au Baccalauréat en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Le titre de cet article fait référence à un livre de Michel Quenot : L’icône. Fenêtre sur l’absolu, Paris, Cerf (Bref, 3), 1987, 209 p[2] Georges Kordis, L’icône comme communion, Genève, Éd. Des Syrtes, 2016, p. 14.
[3] Georges Kordis, L’icône comme communion, p. 13.
[4] Michel Quenot, L’Icône, p. 14.