chronique du 28 février 2014 |
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Croire au malentendu
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My beloved is white and ruddy. What a shame. |
Mon amant est blanc et rouge. Comme c’est dommage. |
Bien sûr, Deborah arrange le texte à sa façon. Ce qui était un chant d’admiration se mêle de mépris, et au lieu de se terminer par une déclaration d’amour (« Son sein est douceur, son tout désirable. Voilà mon amant, voilà mon compagnon. », Cantique 5,16) il s’achève en insulte.
Pourtant, en 1933, quand il la reverra et tentera de se faire aimer d’elle, Noodles semblera n’avoir gardé comme souvenir que ce que ces paroles n’avaient jamais été.
There were two things I couldn't get out of my mind. One was Dominic, the way he said, “I slipped.” just before he died. The other was you. How you used to read me your Song of Songs, remember?
« How beautiful are your feet I used to read the Bible every night. Every night I used to think about you. « Your navel is a bowl
Nobody's gonna love you the way I loved you. |
Il y avait deux choses que je ne pouvais pas m’enlever de la tête. L’une était Dominic, comme il m’avait dit : « J’ai glissé. », juste avant de mourir. L’autre, c’était toi. Comme tu me lisais ton Cantique des Cantiques, tu te souviens? « Qu’ils sont beaux tes pieds dans tes sandales, ô fille de prince. » Je lisais la Bible chaque nuit. Chaque nuit je pensais à toi. « Ton nombril est un vase, Personne ne t’aimera comme je t’ai aimé. |
Noodles fait siennes les paroles du bien-aimé dans le chapitre 7 du Cantique, répondant aux paroles de la bien-aimée dans le chapitre 5, celles qu’avait citées, qu’aurait pu citer Deborah, si elle ne les avait pas déformées.
Tremblant au cœur d’une des lanternes du somptueux spectacle d’ombres et de lumière, de masques et d’illusions d’Il était une fois en Amérique, il y a ce faux dialogue. Deborah s’y pose en image, tout à la fois offerte et se dérobant. Noodles y naît comme celui qui s’accroche aux illusions et voudrait les saisir, même en leur faisant violence.
De ce faux dialogue, que retenir sur la Bible? Qu’elle n’appartient pas aux rabbins, aux prêtres ou aux exégètes. Pas même aux croyants. Qu’elle n’est pas, jamais, fossilisée dans un texte muet et immobile. Elle est hors les pages, dans les bouches où elle est répétée, citée, déformée, mutilée, dans les imaginations, dans les désirs, dans les regards. C’est ainsi qu’elle est dans la vie et ses contradictions intolérables, dans la vie et sa chair, dans les désirs déçus, dans les rêves et les illusions perdues, auxquels, malgré tout, on veut croire.
[1] Ce texte a été grandement inspiré par la lecture d’Il était une fois en Amérique de Sergio Leone : Le temps où nous rêvions de Jean-Marie Samocki – Crisnée : Yellow Now, 2010. Les traductions des citations du film sont des traductions personnelles. Pour le Cantique des Cantiques, j’ai cité la traduction d’André Chouraqui, en l’adaptant parfois. Les images sont la propriété de Warner Bros Pictures.
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