Regard sur
les personnages féminins
de La Passion du Christ
Depuis sa sortie en salle, le film de Mel Gibson, La
Passion du Christ, a suscité et suscite toujours de nombreux
débats. Dans cet article, nous porterons un bref regard sur la
façon dont les personnages féminins sont présentés
dans ce film.
Le parallèle
entre le jardin d'Éden et le jardin des Oliviers
Dans le film de Gibson, plusieurs scènes
semblent suggérer une interprétation plutôt dévalorisante
des femmes. Par exemple, on peut s'interroger sur le choix de Gibson de
présenter le Tentateur sous les traits d'une femme plus ou moins
androgyne. En ce sens, choisir de présenter Satan, le Tentateur,
comme un être androgyne à l'aspect davantage féminin
que masculin peut laisser sous-entendre que le « féminin »
représente un danger de chute et de perdition.
Satan (Rosalinda Celentano)
Photo : Philippe Antonello - © 2003 Icon Distribution
Inc.
Cette interprétation se retrouve
dès le début du film de Gibson. En effet, dans la scène
du jardin des Oliviers, un jardin qui rappelle étrangement celui
décrit dans Gn 2,4bss, le Tentateur (disons plus précisément
la Tentatrice) nargue Jésus, affirmant l'impossibilité et
l'insurmontable difficulté de supporter une souffrance comme celle
qu'il s'apprête à affronter. Puis nous voyons un serpent
qui émerge de la Tentatrice et qui se dirige vers Jésus.
À notre avis, le serpent associé à la figure de la
Tentatrice fait directement allusion à Gn
3,1-24 où la femme donne du fruit à l'homme.
Rappelons que le texte de Gn
3,15 parle de la descendance du serpent et de la femme en hostilité
l'une par rapport à l'autre. C'est pourquoi, dans la scène
du jardin des Oliviers, Jésus écrase la tête du serpent.
Cette allusion nous conduit à estimer que Gibson souhaite illustrer
une certaine interprétation de Gn
3,15 qui met l'accent sur la correspondance entre l'homme et la femme
désobéissant à Dieu mais où nous voyons également
une préfiguration de Marie et Jésus qui, se soumettant au
Père, luttent et triomphent de la Tentatrice et de sa descendance.
Or, une autre lecture du récit de
la Genèse est possible, en le considérant plutôt comme
une illustration du processus qui rend davantage humain et qui se poursuit
avec Jésus de Nazareth. À la différence de Gibson,
nous pouvons lire le récit comme celui de la construction de l'identité
humaine qui se développe peu à peu par la relation à
l'autre (homme-femme). Conséquemment, ce n'est ni dans la fusion
ni dans la soumission que se réalise l'être humain mais bel
et bien dans la relation égalitaire. Poursuivons cette interprétation :
le couple, une fois qu'il a atteint un certain niveau de conscience, (évoqué
par la manducation du fruit en Gn
3,5-7), se perçoit comme conscient et fragile (symbolisé
par « la nudité » dans le récit). Dieu
intervient alors afin de les mettre sur les routes du monde pour poursuivre
l'uvre de co-création.
La confrontation
entre Marie et Satan
Dans le film de Gibson oppose la Tentatrice
à Marie. Cela apparaît très clairement lors de la
longue scène du chemin de croix où Marie suit Jésus
derrière une rangée de badauds, son regard apparemment porté
sur son fils; du côté opposé à Marie, en parallèle
avec celle-ci, on aperçoit la Tentatrice se faufilant dans la foule,
suivant également Jésus des yeux, avec la même posture
et le même rythme que Marie; cet effet de « miroir déformant »
est tellement saisissant qu'on a vraiment l'impression que Marie et la
Tentatrice s'affrontent du regard le long du chemin de croix. Par ce biais,
Gibson parvient à établir une sorte de confrontation entre
Marie et la Tentatrice. Ceci est d'autant plus renforcé que ces
deux personnages portent des vêtements très similaires (leurs
tuniques sont de couleur sombre et la capuche de la Tentatrice est ramenée
sur sa tête de façon à imiter le voile de Marie).
La mère de Jésus
(Maia Morgenstern)
Photo : Philippe Antonello - © 2003 Icon Distribution
Inc.
Cette dynamique se retrouve également
dans une autre scène-clé du film, celle de la flagellation.
Un plan de cette séquence montre la Tentatrice tenant dans ses
bras un nourrisson hideux et grimaçant. Satan est ici clairement
associé à une mère présentant son fils (l'Antéchrist),
ce qui est en contraste frappant avec le binôme Marie/Jésus.
Ces derniers sont donc présentés comme le reflet positif
d'une même réalité. Jésus et Marie, en ayant
choisi d'opter pour la « fidèle obéissance au
Père », permettent d'assurer le salut de l'humanité
par l'acceptation du « sacrifice sanglant de la croix ».
Cette « obéissance » à un Dieu qui peut
être perçu comme un tyran sanguinaire exigeant le sacrifice
et la souffrance définit la trame même du film de Gibson.
Correspond-il au Dieu amour qui prend soin de l'humanité tels que
la pratique et le message de Jésus le dépeignent?
Cette valorisation de l'obéissance
renforce une certaine image de Marie qui légitime la soumission
aux hommes. N'est-ce pas là un renversement complet de la pratique
de Jésus qui libère et relève les exclus-es et les
opprimés-es ainsi que celle des premières communautés
chrétiennes qui font une grande place aux femmes? En réponse
à cette question, voir Rm 16,1ss où la fonction de Phébée
est décrite avec le même mot (diakonos) que Paul utilise
pour décrire son propre ministère!
Marie-Madeleine
dans le film de Gibson
Marie-Madeleine représente un personnage
important dans La Passion du Christ. Dans le film, au cours
d'un « flash-back », Jésus se souvient qu'il
est parvenu à éviter à une femme adultère
une condamnation à la lapidation. La Passion du Christ reprend
une tradition souvent véhiculée par d'autres films bibliques
et identifie cette femme à nul autre que Marie-Madeleine.
Marie-Madeleine (Monica Bellucci)
Photo : Philippe Antonello - © 2003 Icon Distribution
Inc.
Mais Marie-Madeleine était-elle
vraiment cette femme adultère, aux murs légères,
voire dépravées? Il est vrai que dans une certaine tradition
chrétienne, Marie-Madeleine a été identifiée
à une « femme fatale » repentie et à
la « pécheresse » dans Lc
7,36-50. Toutefois, dans Lc
8,2 on nous spécifie seulement que Marie-Madeleine a été
guérie par Jésus qui en avait chassé sept démons.
Le texte biblique suggère que Marie-Madeleine était plutôt
très malade. Rien n'indique qu'il s'agissait d'une vie désordonnée
portée sur la luxure. Ce n'est qu'avec les siècles postérieurs
que la figure de Marie-Madeleine a fini par symboliser une figure débauchée.
Conclusion
On peut dénoncer le souhait implicite
de La Passion du Christ d'un retour aux valeurs dites « traditionnelles »
concernant la place des femmes dans la société. Jésus
de Nazareth a tenté pendant sa vie de créer de nouvelles
relations de réciprocité entre les personnes, en particulier
entre les femmes et les hommes. Pour nous, chrétiennes et chrétiens,
c'est une invitation faite aux femmes et aux hommes de poursuivre en partenariat
la construction d'une société égalitaire fondée
sur la justice sociale, l'égalité, la liberté, l'amour
et la tendresse.
Dossier précédent :
La
douloureuse passion du Christ selon Mel Gibson
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