chronique du 30 juin 2009
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Disciples de Jésus et pêcheurs d'hommesLe 19 juin dernier, en la fête du Sacré-Cœur, le pape Benoît XVI a inauguré une Année sacerdotale pour souligner le 150e anniversaire de la mort de saint Jean-Marie Vianney, le célèbre curé d’Ars. Il faut s’attendre à ce que plusieurs activités soient offertes aux prêtres et au peuple de Dieu pour approfondir la signification, la valeur et le rôle du ministère presbytéral au service de l’Église et de la société humaine. Les études et les réflexions ne manquent pas en ces temps de réaménagements pastoraux, car ceux-ci ont une incidence certaine sur l’exercice du ministère presbytéral. Notre société sécularisée quant à elle apporte son lot de questionnements en ce qui concerne la mission du prêtre dans un contexte de déchristianisation. La situation actuelle incite à interroger les évangiles sur le type de projet de vie et de mission que Jésus propose à quelques-uns de ses disciples qu’il a choisis comme collaborateurs immédiats. L’Évangile selon saint Marc servira de source principale pour mener l’enquête. Les passages d’évangile retenus font référence tantôt aux disciples tantôt au groupe des Douze. Nous devons garder à l’esprit cette distinction importante afin de ne pas fausser notre interprétation du projet de Jésus. Dans le premier cas, l’appel à suivre Jésus est adressé à toute personne humaine qui, ayant entendu la parole de Jésus, décide de la mettre en pratique. Dans l’autre cas, le groupe des Douze concerne un nombre restreint de disciples que Jésus choisit afin de les associer étroitement à sa mission en vue d’un service particulier. Tous les disciples de Jésus sont appelés à être des témoins de Jésus, mais les Douze le seront d’une manière spécifique. «Venez à ma suite et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes»Un premier texte (Marc 1, 16-20) rapporte l’appel des premiers disciples. C’est par ce geste que Jésus inaugure son ministère. On le voit marcher le long de la mer de Galilée, observant les pêcheurs en pleine activité. Parmi eux, Simon et André sont en train de jeter leurs filets, tandis que Jacques et Jean sont encore à les préparer. Ces pêcheurs ne sont pas les seuls à s’activer sur la rive du lac. Jacques et Jean notamment travaillent, avec d’autres ouvriers, à l’entreprise familiale de leur père. L’évangéliste souligne cependant que Jésus porte tour à tour son regard sur deux couples de frères pour les appeler à marcher à sa suite: Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes (v. 17). Ceux-ci, d’un geste spontané que Marc se plaît à souligner dans les deux cas, quittent aussitôt tâche et compagnie pour suivre Jésus. La scène nous est bien familière, mais elle mérite qu’on y prête attention. La parole de Jésus s’exprime en deux temps. D’abord une invitation impérative : Venez à ma suite, qui impliquera un mode particulier de relation avec Jésus. Puis une finalité : Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes, qui laisse entrevoir un éventuel changement de métier. Jésus commence par inviter les quatre pêcheurs à entrer dans une relation de disciple avec lui, et ceux-ci le reconnaissent dès lors comme leur maître. Tel est le sens technique de l’expression «marcher à la suite de». Le rapport maître-disciple n’est pas nouveau. Tant dans le monde juif que dans le monde grec, on connaît des écoles où des jeunes gens s’attachent à un maître, que ce soit un rabbi ou un philosophe, pour acquérir leur instruction. Contrairement à la coutume, c’est Jésus qui prend l’initiative d’appeler des gens à devenir ses disciples. Cette invitation trouve bon accueil chez les quatre pêcheurs: ceux-ci décident de partir à sa suite. Cette décision se traduit par un double détachement, et de leur métier et de leur réseau d’amis et de parents, qui n’est pas sans rappeler celui d’Abraham. Ce dernier détachement est sans aucun doute le plus difficile. Les liens d’affection, et surtout les liens du sang, définissent tout particulièrement l’être humain comme un être de relation avec les autres et lui permettent aussi de se reconnaître dans une individualité et une identité qui lui est unique. En appelant quelqu’un à devenir son disciple, Jésus ne veut pas nier ces relations affectives essentielles à la personne humaine mais il propose un nouveau type de relation qui se situe au niveau du sens même de l’existence. Nul ne peut entrer dans cette nouvelle relation sans d’abord donner sa foi à Jésus, tout comme jadis Abraham le nomade est devenu un pèlerin de la foi. Jésus révèle à celui qui prend le risque de marcher à sa suite quel projet Dieu a pour l’être humain. C’est en vivant comme son disciple et en écoutant sa parole que l’être humain acquiert la conscience d’être introduit dans une relation filiale avec Dieu et fraternelle avec les autres. Les frères et sœurs de Jésus écoutent sa parole et la mettent en pratique. Accepter de suivre Jésus ne signifie pas que le disciple doive renier ce que Dieu a voulu de bon pour lui. Le disciple fait plutôt le choix de se laisser conduire par Jésus au cœur même d’une existence humaine animée par la vie même de Dieu. Puisque la vie du disciple est définie comme une marche à la suite de Jésus, il en découle que cette relation particulière a besoin de toute la vie d’une personne pour se développer. Il fait partie de la condition du disciple d’apprendre à vivre comme son maître, de se laisser imprégner non seulement par son enseignement mais aussi par sa manière d’être et d’agir. Le disciple de Jésus inscrit son existence dans un processus de cheminement où sa conscience d’être compagnon de Jésus sera toujours plus vive et influera sur toutes les dimensions de sa vie humaine et, dans le cas d’un ministre ordonné, de sa vie presbytérale. Avant d’aborder la finalité de l’appel que Jésus lance au premier noyau de ses disciples, je voudrais faire référence à une autre parole de Jésus concernant la vocation du disciple. Il s’agit de la manière selon laquelle il faut suivre Jésus. Ses propos sur le sujet se trouvent après la profession de foi de Pierre et la première annonce de la passion et de la résurrection, en Marc 8, 34. «Si quelqu’un veut me suivre»Jésus s’adresse tant à la foule qu’aux personnes qui se sont engagées à marcher derrière lui. Pour les uns, il y a là une invitation à considérer l’offre de devenir disciples; pour ceux qui le sont déjà, il y a une invitation à approfondir leur engagement. Pour tous cependant, Jésus affirme la réponse libre et personnelle de chacun devant le sérieux et la gravité du choix à faire: Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. Jésus indique de quelle manière et jusqu’où ses disciples doivent le suivre. Il donne la direction de la route à ceux qui ont commencé à marcher derrière lui. Le disciple de Jésus est celui qui entre dans une communion de destin avec le Maître qui vient tout juste d’annoncer que la réalisation du projet de Dieu s’accomplira dans le rejet, la souffrance et la mort, c’est-à-dire en assumant tout le poids de la détresse humaine. Mais cette détresse profonde sera le lieu où se manifestera avec éclat la volonté de Dieu de communiquer sa vie aux êtres humains, en ressuscitant Jésus d’entre les morts. Jésus prévient toute personne qui veut marcher à sa suite qu’elle doit accepter librement d’unir son destin au sien même lorsque se présente la souffrance. Se renoncer, se détacher de soi-même c’est faire confiance à Jésus pour assurer la réussite de sa vie, car c’est en Jésus que Dieu nous révèle la signification que prend à ses yeux la vie humaine. Le disciple est celui qui garde constamment les yeux tournés vers Jésus qui a fait de sa vie une réponse obéissante au projet de Dieu qui consiste à établir l’être humain dans une communion de vie et d’amour avec lui. Cette manière de suivre Jésus s’adresse à tous les disciples, y compris les Douze. C’est la base commune de tout attachement à Jésus. Mais les Douze, en tant que collaborateurs immédiats de Jésus, seront invités à pénétrer encore plus profondément dans cette relation. «Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes»Jésus, en appelant ses premiers disciples, a voulu les regrouper au sein d’une petite communauté d’appartenance. C’est ensemble et non individuellement qu’ils doivent le suivre. Mais Jésus ne veut pas toutefois que cette communauté se replie sur elle-même. À la vocation de disciple est rattachée une mission. Si Jésus appelle des gens à le suivre, c’est pour en faire des pêcheurs d’hommes, des témoins auprès des autres personnes. La marche à la suite de Jésus obéit à un double mouvement de rassemblement et de dispersion, d’intimité fraternelle et de témoignage dans le monde. On ne devient pas disciple de Jésus pour entrer dans un cercle fermé mais pour être encore plus présent sur la scène où se joue le destin de l’humanité. La vocation et la mission du disciple s’inscrit dans le mouvement même de l’incarnation du Fils de Dieu. Jésus est l’envoyé du Père pour communiquer la vie de Dieu aux êtres humains et nouer avec eux une alliance. De la même manière, le disciple de Jésus est établi au cœur même de l’histoire humaine comme témoin de l’alliance possible et réelle offerte par Dieu à l’humanité. «L’histoire du salut, affirme Jean Rigal, n’est pas une autre histoire que l’histoire humaine, mais elle s’identifie à l’histoire humaine en tant qu’elle devient l’enjeu d’une Alliance avec Dieu.»1 Cette mission vaut pour tous les disciples de Jésus, pour tous les chrétiens baptisés, mais de manière particulière pour le groupe de Douze que Jésus a institué parmi ses disciples. Ce thème sera développé dans le prochain article de cette chronique. 1 J. Rigal, «Les prêtres : pour quelle mission?» dans Les prêtres : pour quelle mission?, Montréal, Bellarmin, 1989, page 315.
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