chronique
du 4 mars 2003
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Suis-je responsable de mon frère?
Le conflit qui oppose les États-Unis et leurs alliés avec l'Irak mobilise le monde entier, représenté notamment par l'Organisation des Nations unies. Des manifestations pacifistes ont réuni des millions de personnes dans les grandes villes de la planète et Jean-Paul II s'est lui-même impliqué en tant que pacificateur. Le monde entier vit donc présentement sur la corde raide. La situation actuelle m'a fait penser au récit biblique de Caïn et Abel, en Genèse 4, 1-16. Le texte est connu, mais il est peu utilisé notamment dans la liturgie ou dans des groupes de partage. D'entrée de jeu, précisons que je n'ai pas l'intention de me servir de ce texte pour identifier les protagonistes du conflit actuel à l'un ou l'autre des deux frères. Nous sommes en présence d'un récit fondateur qui aborde la question du rapport entre les hommes. À partir de leur observation du comportement humain, les écrivains sacrés remontent l'histoire jusqu'à son origine pour y chercher la source des conflits qui déchirent les hommes. Leur parcours est d'ordre temporel, alors que notre démarche intellectuelle se situerait plutôt dans l'ordre de la profondeur : quelles sont les racines de la violence qui corrompt les relations humaines? Le procédé littéraire du récit fondateur privilégie la fiction, mais c'est pour mieux mettre en lumière et servir une vérité qui traverse toutes les époques, tellement elle est liée à la condition humaine. Ainsi, tout homme peut se reconnaître en Caïn et Abel, comme plus tard dans les deux fils de la célèbre parabole de Jésus. Il y aurait beaucoup à dire sur ce récit. Je renvoie les lecteurs au no. 10 de la revue Biblia qui présente un bon dossier sur le sujet. Je veux surtout attirer l'attention sur la question névralgique abordée dans le récit : la fraternité. Alors que le récit de la création d'Adam et Ève mettait l'accent sur l'unité du genre humain, celui de Caïn et Abel introduit une nouvelle réalité : la différenciation entre les êtres humains. Par exemple, Caïn est l'ancêtre des éleveurs de petit bétail tandis qu'Abel l'est des agriculteurs. Ce sont là deux façons de se situer dans le monde. Mais au-delà de ces différences, il y a un facteur d'unité : celui de la fratrie, et de la fraternité qui en est l'expression élargie au niveau des relations humaines. Dès qu'Abel vient au jour, il est présenté comme le frère de Caïn, obligeant celui-ci à se découvrir à son tour comme frère. Il n'est plus un individu isolé. Nous entrons ainsi dans la vie avec d'autres personnes, allant du cercle familial à celui de la société. La fraternité apparaît ainsi comme un projet à réaliser, une espérance et une aspiration qui n'est pas de facto satisfaite. Nous aimerions vivre comme des frères, mais nous avons de la difficulté à le devenir. Le récit fondateur de Caïn et Abel aborde lucidement la question de la violence inhérente à la condition humaine. Caïn est présenté comme l'être humain qui s'affranchit du devoir de fraternité et de responsabilité vis-à-vis de son frère. Caïn considère qu'Abel, dont l'offrande est agréée par Dieu, lui porte ombrage. Plutôt que d'engager le dialogue, il laisse plutôt le mal, tapi comme une bête fauve, s'emparer de sa volonté et s'exprimer par la violence. Le récit introduit l'idée que la fraternité n'est pas acquise, mais un défi sans cesse à relever. Elle avance avec persévérance grâce au dialogue qui révèle la volonté de ne pas supprimer l'autre qui peut paraître un obstacle. La question de Dieu : Où est ton frère?, trouvera une réponse positive lorsque, devant l'autre, je me dirai : « Je suis responsable de mon frère ». Yves Guillemette, ptre Chronique
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