|
Il est plutôt
grand... le p'tit Jésus!
Nous avons la mauvaise habitude, -- c'est du moins ce que je pense --,
de faire un usage fréquent de diminutifs. Par exemple, au restaurant
comme dans nos maisons, on se fait souvent demander: « Voulez-vous
un bon p'tit café?... et un p'tit dessert avec ça? ».
Et si j'en voulais un gros? Cela fait penser au temps où l'on disait
que l'on était né pour un « p'tit pain ».
Et puis il y a le p'tit gars de telle place, la p'tite prière avant
la réunion, le p'tit mot de remerciement et toutes sortes d'autres
p'tites choses. La miniaturisation s'étend aussi au domaine religieux
avec le « p'tit Jésus » qui attire des foules
à chaque fête de Noël. Parler du p'tit Jésus
est peut-être charmant, mais c'est oublier que deux évangélistes,
Marc et Jean, ont ignoré la petite enfance de Jésus tandis
que les deux autres, Matthieu et Luc, tout en parlant de sa naissance,
l'ont fait grandir rapidement. En ce temps de Noël où la liturgie
nous fera entendre la plupart des récits de l'enfance de Jésus,
jetons un « p'tit coup d'oeil » sur les récits
de l'Évangile selon saint Luc.
Un regard rétrospectif
Les récits de l'enfance de Jésus
apparaissent en même temps que l'on proclame la Bonne Nouvelle du
Christ ressuscité. Ils répondent aux questions des premiers
chrétiens qui voulaient en savoir davantage sur les origines de
Jésus, lui qui, par la résurrection, fut révélé
Christ et Seigneur. C'est donc à la lumière de l'identité
du Ressuscité qu'il faut comprendre le discours que l'on tient
sur sa naissance. Il en est de Jésus comme de tout autre être
humain dont la naissance et l'enfance deviennent dignes d'intérêt
à cause des oeuvres accomplies durant la vie adulte. Le récit
de saint Luc n'est rien de moins que celui de la venue dans le monde du
Ressuscité. Le « p'tit Jésus », malgré
les apparences, est déjà grand quand il vient au monde.
Il est grand de la gloire de Dieu qui l'a relevé d'entre les morts.
Il est déjà le premier-né de la multitude des enfants
que Dieu va se donner en attirant à lui les humains qui rencontreront
son Fils sur les chemins de leur vie.
Le ciel tombe
sur terre
À partir de la Résurrection,
la Bonne Nouvelle est la personne même du Christ Jésus. Pour
Luc, cette Bonne Nouvelle a fait ses premiers pas sur la terre des hommes
lors de la naissance de Jésus. L'événement fait partie
de l'histoire de l'humanité, bien que Luc n'a pas la même
notion d'exactitude historique que nous pouvons avoir de nos jours. C'est
par un vague « En ce temps-là » que Luc situe
la naissance de Jésus à l'époque de l'empereur Auguste
qui gouverna le monde connu entre 29 avant et 14 après Jésus
Christ. Quel contraste entre Jésus, né à Bethléem,
un bourg obscur d'une dérisoire région de l'empire, et Auguste
qui règne, depuis Rome, sur un empire immense. D'ailleurs Jésus
n'est pas encore né que, à travers ses parents, il est soumis
au pouvoir politique qui exige un recensement. Le « p'tit Jésus »
se fait déjà inscrire sur la « liste électorale ».
Et dans le ventre de sa mère, il commence à traverser le
pays où il circulera plus tard en proclamant de village en village
la Bonne Nouvelle.
Toujours à propos de l'empereur,
son nom civil est Octave. Luc le désigne plutôt par son titre
divin Auguste. D'après une inscription datant de l'an 7 et découverte
dans la ville de Priène, la naissance du dieu Auguste avait été
saluée comme le commencement des bonnes nouvelles. Cet empereur
avait réussi à établir la paix dans l'empire (la
pax romana), parfois au prix de la violence. Au pouvoir dominateur
de l'empereur sur un royaume terrestre, Luc oppose, dans le dénuement
de la crèche, l'avènement de la paix véritable et
la naissance du règne de Dieu fondé sur l'amour et le service.
La gloire de Dieu, c'est de voir les humains vivre dans la paix et la
communion avec lui et entre eux, sur toute la surface de la terre.
La Bonne Nouvelle
fait ses premiers pas
Les premiers bénéficiaires
de la Bonne Nouvelle sont les bergers que les messagers divins tiendront
éveillés toute la nuit. Ils préfigurent déjà
les gens simples qui accueilleront les mystères du Père
révélés par Jésus. Le message des anges est
le même que celui que Pierre proclamera à la Pentecôte:
Jésus est le Sauveur, il est Christ et Seigneur. Et comme les disciples
d'Emmaüs qui, après avoir reconnu le Christ dans la simplicité
du pain partagé, se sont faits les évangélisateurs
des Apôtres, ainsi les bergers, après avoir reconnu le Sauveur
dans le « p'tit Jésus », vont évangéliser
tous ceux qui veulent les entendre. Le début et la fin de l'Évangile
selon saint Luc se rejoignent sur le tutti de la proclamation de la Bonne
Nouvelle du Ressuscité.
Cette Bonne Nouvelle fait irruption sans
crier gare dans l'aujourd'hui de tout être humain. L'aujourd'hui
du Sauveur nouveau-né se répercutera depuis le champ des
bergers jusque dans la synagogue de Nazareth (« Aujourd'hui,
s'accomplit l'Écriture »), dans la maison de Zachée
(« Aujourd'hui le salut est venu dans cette maison »)
et dans la vie du brigand crucifié (« Aujourd'hui tu
seras avec moi »). Luc lui-même, comme d'autres Grecs,
a saisi l'aujourd'hui du salut lorsqu'il a entendu la prédication
des Apôtres concernant le Christ Jésus.
C'est toujours
aujourd'hui
En célébrant la venue du
Fils de Dieu, durant ces fêtes de Noël, c'est pour nous que
l'aujourd'hui de Dieu se glisse dans la trame de nos jours. Le « p'tit
Jésus » a beaucoup grandi depuis 2000 ans. Il est le
Ressuscité qui frappe aujourd'hui à notre porte et qui,
comme autrefois, cherche l'hospitalité dans notre vie personnelle
comme dans la vie de l'Église. Comme au temps de sa venue à
Bethléem, il conserve ce « p'tit côté »
dérangeant qui opère toutefois de grands changements si
nous lui ouvrons la maison de notre vie. Et pourquoi ne serait-ce pas
aujourd'hui?
Que la Bonne Nouvelle de l'amour de Dieu,
dont Jésus est le révélateur, vous comble de joie
et vous encourage à partager, avec vos proches et vos amis, vos
rêves de Paix et de Justice, d'Amour et de Fraternité, pour
que l'humanité devienne, à l'aube du XXIe siècle,
le plus beau fleuron de l'univers.
Yves Guillemette, ptre
Directeur du Centre biblique
Curé de la paroisse Saint-Léon de Westmount
|