chronique
du 15 août 2000
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Les plaisirs de la table
Les évangélistes, et en particulier Luc, rapportent de nombreux récits où Jésus participe à des repas. On le retrouve tantôt chez Matthieu et ses collègues percepteurs d'impôts (Marc 2, 15-17), chez Marthe et Marie (Luc 10, 38-42), Simon le lépreux ((Marc 14, 3-9), tantôt chez des Pharisiens (Luc 11, 37-54; 14, 1-14), notamment chez Simon (Luc 7, 36-50). Jésus ne fait pas de différence entre les humains quand il s'agit de se faire proche d'eux. Il est cependant intéressant de noter que Jésus prend toujours l'initiative de s'inviter à la table des pécheurs et des petites gens, alors que c'est seulement sur invitation formelle des Pharisiens qu'il partage leur repas. En effet ceux-ci savent bien faire les choses: ils l'invitent la plupart du temps pour le repas festif du sabbat. Ça paraît toujours bien de convier un invité de marque à ce repas où l'on pouvait discuter, entre gens avertis, de l'enseignement que l'on venait de recevoir à la synagogue. Par contre, les repas pris chez les publicains et les amis semblent s'organiser de façon plus familière, au gré des circonstances de la vie quotidienne. Quelles que soient les personnes avec qui Jésus prend ses repas, ceux-ci ne passent pas inaperçus. On est loin des repas à la chandelle, dans une atmosphère propice à la confidence ou au tête à tête romantique. Les repas de Jésus sont des événements qui suscitent questions et étonnements, provoquant parfois le scandale. Même si les récits n'en soufflent mot, on peut supposer que certains convives ont dû avaler de travers et avoir des problèmes de digestion. Parce que, de l'action, en voulez-vous, il y en a dans ces repas! Que se passe-t-il donc? S'il savait ce qu'il mange Jésus ne fait pas que manger, il profite de la situation pour livrer un enseignement à partir de la situation du moment. Prenons notamment le repas que Matthieu organise après avoir répondu à l'appel de Jésus, et auquel participent ses collègues de travail et de vie. Au grand dam des Pharisiens qui s'offusquent de la proximité de Jésus avec des pécheurs notoires, celui-ci déclare qu'il est venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (Marc 2, 17). Une scène semblable se produit chez Simon le Pharisien quand une pécheresse s'introduit effrontément dans sa maison pour rencontrer Jésus et verser larmes et parfum sur lui (Luc 7, 36-50). Devant l'irritation de son hôte, Jésus déclare que les prévenances de cette femme manifestent un grand amour auquel Dieu ne peut demeurer insensible, et il lui pardonne ses péchés. En faisant table commune avec les pécheurs, Jésus a voulu révéler qui il est et illustrer l'objectif de sa présence parmi les êtres humains qui consiste à établir une communauté de vie avec eux. Toute invitation est bienvenue Jésus partage aussi la table des Pharisiens, mais c'est pour contester leur manière d'agir non seulement à table mais avec les gens du peuple, leur échelle de valeurs et leur conception de Dieu. Lors d'un de ces repas, Jésus ne se montre pas très respectueux des règles de l'étiquette religieuse en négligeant d'accomplir les ablutions rituelles requises avant de se mettre à table (Luc 11, 37-41). On le lui fait remarquer poliment, mais il réagit en reprochant aux Pharisiens d'accorder une importance trop méticuleuse à ces coutumes au détriment de la pureté du cur. Dieu ne tient certainement pas rigueur pour un plat non purifié, mais il est atteint au plus intime de lui-même quand le souci de la perfection spirituelle pousse les Pharisiens à exclure de la communauté les personnes dont l'apparence extérieure est peu reluisante à leurs yeux. L'interdiction pour les Pharisiens de s'attabler avec les publicains, les pécheurs et autres gens semblables en dit long sur les frontières qu'ils ont tracées entre les membres du peuple élu (Luc 14, 12-14). Jésus leur laisse entendre que s'ils ne sont pas capables de s'asseoir à la même table que les pécheurs, ils se privent d'être les convives de Dieu qui, comme le révèle Jésus, fait table commune avec tout être humain. À un autre moment, c'est la guérison d'un malade, en plein déjeûner du sabbat, qui fait sursauter ses hôtes (Luc 14, 1-6). Aux yeux de Jésus, la libération d'un être humain vaut bien une pause durant le repas, d'autant plus que ce repas est tenu le jour où l'on célèbre la libération de la servitude en Égypte (Deutéronome 5, 12-14). Une table fraternelle Les repas constituent une activité humaine donnant lieu à des rassemblements, des échanges et des manifestations de joie. La communauté de table est l'expression des liens fraternels qui unissent les convives. Les repas de Jésus qui nous sont racontés dans les évangiles ne sont pas activités anodines mais des événements grâce auxquels Jésus affiche sa solidarité avec les pécheurs. Si Jésus s'invite si naturellement chez eux et mange avec eux, c'est pour révéler la gratuité de l'amour de Dieu qui va au-devant des êtres humains; c'est aussi pour montrer que le salut offert par Dieu à l'humanité, dans la personne de Jésus, crée des liens de communion fraternelle. Ce salut est à l'uvre et produit ses fruits lorsque les gens acceptent de faire table commune, de se monter solidaires, de se réjouir de la présence des autres convives de Dieu. Le signe d'un repas Il n'est pas étonnant que Jésus ait invité ses disciples à un dernier repas avant de donner sa vie. En effet, ce repas est un geste éloquent qui évoque la volonté de Dieu d'établir l'humanité dans une communion de vie et d'amour avec lui. Jésus est le maître de maison qui réunit autour de lui ses amis pour partager un même repas. Mais il est aussi celui dont la présence est nourriture de vie. Jésus fait aussi de son dernier repas une invitation à se transmettre les uns aux autres, en demandant à ses disciples de faire ainsi mémoire de lui. C'est au cours d'un repas, &emdash;que les premiers chrétiens désignent à juste titre repas du Seigneur&emdash;, que Jésus continue de nous rassembler autour de lui et qu'il prend plaisir à se faire présence dans notre vie. C'est autour de la table du Seigneur que, de manière tangible, nous prenons conscience d'appartenir à une même famille, à la communuaté des disciples qui vivent du don que Jésus a fait de sa propre vie. Comme il le faisait jadis, Jésus ne craint pas de s'attabler encore aujourd'hui avec les pécheurs que nous sommes. Et si d'aventure nous nous prenons pour des justes ou que nous avons des attitudes discriminatoires vis-à-vis des autres invités, il serait utile d'apprendre de Jésus comment nous asseoir à table.
Yves Guillemette, ptre Chronique
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