Jésus calme la tempête. Détail d’un vitrail de l’église catholique Saint-Raphael à Springfield, dans l’Ohio (Nheyob/Wikimedia).
Tempête sur la mer
Sylvain Campeau | 14 juin 2021
Le symbolisme du vent et de l’eau étant très riche dans la Bible, nous aborderons la combinaison des deux éléments naturels dans quelques textes sélectionnés où figure aussi le thème de la navigation. L’objectif est de saisir l’arrière-plan littéraire du récit de la tempête apaisée (Marc 4,35-41), un texte qui démontre l’évolution rapide de la réflexion christologique du premier siècle sur l’identité de Jésus.
Jonas, le prophète qui résiste à l’appel divin
« Le Seigneur lança sur la mer un vent violent ; aussitôt la mer se déchaîna à tel point que le navire menaçait de se briser. » (Jonas 1,4)
Dans le premier chapitre du livre de Jonas, le Seigneur est clairement désigné comme le maître du vent et du déchainement de la mer. C’est lui qui déclenche la tempête après l’embarquement de Jonas, auquel il avait confié une mission à Ninive mais qui se dirige dans la direction opposée. Le récit nous apprend que la tempête sur la mer est souvent associée à la mort. Relevons également un détail qui revient dans celui de la tempête apaisée : le sommeil de Jonas et de Jésus pendant la tempête (Jonas 1,5 et Marc 4,38). On peut ajouter la disparition de Jonas pendant « trois jours et trois nuits » avant de réapparaître sur le rivage (Jonas 2). Quand on fait une relecture chrétienne de ce récit, il est facile de faire un lien avec la mort et la résurrection de Jésus, le troisième jour [1].
La délivrance du péril de la mer
« Ils crièrent au Seigneur dans leur détresse, et il les a tirés de leurs angoisses : il a réduit la tempête au silence, et les vagues se sont tues. Ils se sont réjouis de ce retour au calme et Dieu les a guidés au port désiré. » (Psaume 107,28-30)
Le Psaume 107 (106 dans la liturgie) est une belle prière au Dieu libérateur de son peuple. Sans pouvoir le rattacher à des événements précis de leur histoire, le psaume évoque plusieurs difficultés auxquelles sont confrontées les Israélites dont certaines qui évoquent des épisodes de l’exode du peuple hébreu. Le quatrième volet de ces périls parle du danger de la navigation en haute mer (versets 23-32). Le psaume affirme que le Seigneur est maître de la tempête et qu’il entend le cri des marins. D’autres psaumes abordent aussi ce thème de la maîtrise du Seigneur sur la mer (65,8 et 89,10 par exemple). Le psalmiste exprime ici son assurance de l’assistance divine dans des situations périlleuses comme celles de la navigation sur une mer agitée.
Jésus exorcise la mer
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. (Marc 4,39)
On a souvent parlé du récit de la tempête apaisée en le classant dans la catégorie des « miracles de la nature ». Cette manière d’aborder le récit nous semble réductrice. On ne peut nier que le récit prête à Jésus un pouvoir normalement réservé à Dieu. Mais le texte est tellement chargé aux niveaux symbolique et christologique qu’il est difficile de remonter à un événement du ministère de Jésus. Il est sans doute plus fructueux de nous demander ce que cherche à provoquer l’évangéliste dans l’esprit de ses lecteurs et ses lectrices en racontant cet épisode. Plusieurs détails du récit sont en effet très étonnants : d’abord, le sommeil de Jésus. Comment dormir dans une barque secouée par une « violente tempête ». Ensuite l’appel des disciples qui semblent comprendre ce sommeil comme si Jésus était indifférent au péril qu’ils traversaient. Finalement la conclusion du récit : l’attitude des disciples est qualifiée de manque de foi et leur crainte ne s’estompe pas une fois la mer calmée mais se déplace autour de la question de l’identité de Jésus.
Ce récit est le premier d’une série d’actes de puissance de Jésus en Marc (4,35-5,34). Après le discours en paraboles (4,1-34), l’évangéliste veut montrer que gestes et paroles sont indiscociables dans l’enseignement de Jésus. En d’autres termes, on peut considérer la tempête apaisée comme un enseignement : Jésus est d’ailleurs interpellé par le titre de « maître » (v. 38). Le geste de Jésus reprend le vocabulaire de son premier exorcisme : il s’adresse à la mer comme au démon qui affligeait le possédé de Capharnaüm (voir 1,25). Le sommeil de Jésus, comme nous l’avons signalé plus haut, rappelle celui de Job et symbolise l’apparente indifférence du maître (du point de vue des disciples du moins). Et le reproche de Jésus peut être compris comme un appel lancé à ses lecteurs et lectrices sur la fonction du Seigneur qui n’est pas de calmer les tempêtes, mais de donner à ses disciples le courage de les affronter avec confiance [2].
Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.
[1] Même si le récit de la tempête apaisée n’est pas une anticipation de la Passion, il est difficile d’écarter de tels rapprochements. La mer agitée est souvent un prélude de la mort et la résurrection de Jésus le troisième jour est un thème qui revient à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament.
[2] Cette interprétation est proposée par André Myre dans D’après Marc. Guide de lecture d’un évangile subversif. Tome II, Carte blanche, 2020, p. 54.
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