L’adoration des mages. Andrea Mantegna, circa 1495 – 1505. Tempera sur toile, 54,6 x 70,7 cm. Getty Museum, Los Angeles (photo : Wikipedia).
L’or, l’encens et la myrrhe
Sylvain Campeau | 31 décembre 2018
« [Les mages] entrèrent dans la maison et ils virent l’enfant avec sa mère, Marie. Ils se prosternèrent pour lui rendre hommage. Ils ouvrirent leurs coffrets et présentèrent à l’enfant les cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » (Matthieu 2,11)
La signification symbolique des cadeaux offerts par les mages à l’enfant Jésus n’est pas facile à déterminer car l’évangéliste nous donne peu d’indices. Selon l’interprétation traditionnelle, l’or fait référence à la royauté de l’enfant, l’encens à sa divinité et la myrrhe à son humanité (et particulièrement au passage de la mort auquel le Christ n’a pas échappé). Cette interprétation traditionnelle est intéressante mais elle n’épuise pas les possibilités offertes par le contexte du passage.
Les dons offerts selon la Tradition
« Ils apportent des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu. » (Origène, Contre Celse I, 60)
Reprenant une formulation d’Irénée de Lyon [1], plusieurs Pères de l’Église ont marqué la Tradition avec cette interprétation symbolique des cadeaux offerts à l’enfant Jésus. L’or est en effet spontanément associé à la royauté; on avait souvent recours à l’encens dans un contexte rituel, en présence de Dieu d’où l’association qui est faite avec la divinité du nouveau-né; et la myrrhe était utilisé, entre autres, lors de l’ensevelissement des morts. Cette interprétation symbolique est donc une lecture intéressante qui fait appel à la foi de l’Église. En examinant le contexte immédiat du verset, une autre interprétation est possible.
Des cadeaux dignes d’un roi
Matthieu commence son évangile avec une généalogie qui présente Jésus comme un descendant du roi David (1,1). Quand il raconte la naissance de Jésus et parle de Joseph, il répète cette information par la bouche de l’ange du Seigneur : « Joseph, descendant de David, ne craint pas… » (1,20). Au chapitre 2, il situe la naissance de Jésus à Bethléem, « à l’époque où Hérode était roi » (2,1). Quand les mages arrivent à Jérusalem où siège Hérode, ils demandent : « Où est l’enfant qui vient de naître, le roi des Juifs? » (2,2). Il est donc question de royauté dans ces deux premiers chapitres et le lecteur sent rapidement une tension entre deux personnages royaux : Hérode se sent menacé par un enfant qui vient de naître.
Le titre royal que l’évangéliste semble vouloir attribuer à Jésus est précisé par un autre titre : celui de Messie (1,16-17; aussi en 2,4). Le Messie à venir est de la lignée du roi David, selon les spécialistes des Écritures, qui le décrivent comme un berger en s’appuyant sur une prophétie du livre de Michée : « Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortir pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mi 5,1)
Sur le plan narratif, ces textes ne préparent pas le lecteur à comprendre Jésus comme le Fils de Dieu ou à introduire le drame de sa passion. Dans les deux premiers chapitres de son évangile, Matthieu parle du roi-Messie qui conduira le peuple comme un chef, un berger (2,6). Le contexte immédiat favorise donc une interprétation royale des cadeaux offerts par les mages. Ces dons sont d’ailleurs des cadeaux d’une très grande valeur et, dans l’esprit des mages, ils sont dignes d’un « roi » (voir Mt 2,2). De plus, ce sont des produits d’importation qui ne sont pas disponibles en Israël.
Pour aller un peu plus loin dans la réflexion, on peut se demander pourquoi Matthieu a inséré ce récit au début de son Évangile? Comme il en a l’habitude, l’évangéliste s’inspire probablement d’un passage des Écritures. Plusieurs commentateurs citent un psaume royal qui parle de cadeaux offerts par des rois étrangers et de leur prosternation (Ps 72,10-11). Et puisque les mages viennent d’ailleurs, on peut y voir une première réponse à l’appel missionnaire qui retentit à la fin de l’évangile : « Allez! De toutes les nations faites des disciples… » (Mt 28,19)
Diplômé de l'Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.
[1] « La myrrhe signifiait que c’était lui qui, pour notre race humaine mortelle, mourrait et serait enseveli ; l’or, qu’il était le Roi dont le règne n’aurait pas de fin ; l’encens, enfin, qu’il était le Dieu qui venait de se faire connaître en Judée et de se manifester à ceux qui ne le cherchaient point. » Irénée, Contre les hérésies III, 9. Ce texte est daté de la deuxième moitié du 2e siècle de notre ère.