La création du soleil, de la lune et des plantes. Michel-Ange, 1511. Fresque de la chapelle Sixtine, Cité du Vatican (Wikipédia).
Un corps de Dieu !
Sébastien Doane | 25 septembre 2023
Le judaïsme et le christianisme modernes ont développé une croyance en un Dieu incorporel. Pourtant, plusieurs textes bibliques traitent spécifiquement du corps de Dieu. Doit-on comprendre ces passages comme des métaphores? Ou, est-ce que certains auteurs bibliques décrivent un Dieu qui a bel et bien un corps?
Le livre de la Genèse donne plusieurs exemples d’interaction qui se comprennent mieux avec un Dieu qui a un corps : Dieu discute avec les premiers humains (Gn 1-4), il marche avec Noé (Gn 6,9 [1]), mange avec Abraham (Gn 18) et lutte avec Jacob (Gn 32,25-29).
D’autres textes indiquent que des personnages voient Dieu. Par exemple, c’est ce qu’il se passe à la conclusion d’une l’alliance pour Moïse et un groupe d’ancien : « Après cela, Moïse monta sur la montagne avec Aaron, Nadab, Abihou et les soixante-dix anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël. Sous ses pieds, il y avait une sorte de plate-forme de saphir, d’un bleu pur comme les cieux. » (Ex 24,9-10) Remarquons que ce passage traite des pieds de Dieu. Les livres prophétiques aussi transmettent des visions du Seigneur. C’est le cas d’Isaïe (6,1) « Dans une vision, j’aperçus le Seigneur assis sur un trône très élevé. Le bas de son manteau remplissait le temple » et d’Ézéchiel (1,26) qui indique que le Seigneur avait « une apparence humaine ».
Parfois, ce genre de textes mentionnent la tradition que la vision du corps divin était dangereuse. « Tu ne pourras pas me contempler de face, car aucun être humain ne peut me voir de face et rester en vie. » (Ex 33,20) Dans cet exemple, Moïse voulait voir le visage du Seigneur, mais ultimement, celui-ci lui accorde seulement de voir son dos (Ex 33,23). Un mot qui peut aussi désigner ce qu’il y a tout juste plus bas que le dos comme l’a représenté Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
Les Dix commandements (Ex 20,24) indiquent clairement qu’il ne faut pas se faire une image sculptée du Seigneur. On peut comprendre que cette interdiction provient du fait que Dieu n’a pas de corps, ou au contraire qu’il était relativement commun de s’en faire des représentations imagées et qu’à un certain moment, celles-ci devaient être bannies. L’archéologie montre d’ailleurs qu’il n’y a pas de rupture entre la présence de figurines sacrées dans le Proche-Orient en général et sur les territoires associés aux royaumes d’Israël et de Juda. On a même trouvé une fameuse caricature de YHWH et son Ashérah à Kuntillet Ajrud [2].
Les passages cités (et plusieurs autres) semblent bien démontrer qu’on imaginait Dieu avec un corps relativement similaire au nôtre, un phénomène nommé « anthropomorphisme ». Pourtant, une certaine ambiguïté demeure puisque d’autres textes bibliques se comprennent mieux avec l’idée d’un Dieu qui n’a pas une telle corporéité. Par exemple, le Deutéronome transmet une version de la réception du Décalogue en soulignant le fait que les participants n’ont pas vu YHWH. « Le Seigneur vous a parlé du milieu du feu ; vous l’avez entendu parler, mais sans le voir ; vous ne perceviez que sa voix. » (Dt 4,12) Ici, nous sommes dans une zone grise. Dieu a-t-il un corps qui ne pouvait pas être vu ou est-ce qu’il n’a aucune apparence corporelle?
Que peut-on en penser? Sur ce sujet, comme bien d’autres, la Bible porte une diversité de perspectives qui sont impossibles à rallier dans une affirmation claire. Est-ce que Dieu a un corps? Peut-être qu’il vaut mieux garder la question ouverte et poursuivre l’exploration des textes et des traditions qui en découlent. Mais, attention de ne pas trop rapidement projeter nos conceptions modernes sur les textes anciens!
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).
[1] Cette expression est aussi comprise comme une affirmation de l’intégrité de Noé qui « suit les voies de Dieu », mais littéralement elle indique qu’ils marchent ensemble.
[2] À ce sujet, lire : Guy Couturier, « Dieu n’était pas seul ».