(Marco Bianchetti / Unsplach)
« Soyez soumis! » Quand 1 Pierre soutient l’esclavage et le patriarcat
Sébastien Doane | 30 janvier 2023
Les textes bibliques doivent être lus avec précaution. Si certains passages ont opéré de grandes libérations, d’autres génèrent des effets très néfastes. Voici le cas d’un passage qui donne une justification religieuse à la soumission de tous aux autorités, des esclaves aux maîtres et des femmes à leurs maris.
La majorité des spécialistes attribuent les deux lettres de Pierre à un autre auteur que l’Apôtre de ce nom. C’est l’une des raisons, en plus du peu de contenu doctrinal, qui expliquent que ces lettres sont peu lues.
Soumission aux autorités
« Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité humaine : à l’empereur, qui a le pouvoir suprême, et aux gouverneurs, envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour louer ceux qui font le bien. » (1 P 2,13-14)
Cette soumission est moins choquante que les suivantes, mais elle met la table pour un agir chrétien qui ne remet pas en question le pouvoir tel qu’il est exercé. Si Jésus a été exécuté par les autorités, n’est-il pas curieux que quelques décennies plus tard, les personnes qui le suivent exhortent à la soumission aux autorités? N’est-ce pas un agir inverse à celui de Jésus?
L’objectif est donné au verset précédent qui indique que la bonne conduite des chrétiens parmi les païens permet 1) d’éviter d’être traité de malfaiteurs et 2) de mener les païens vers Dieu. Ainsi, cette soumission permet d’éviter d’être persécutés et pourrait devenir un outil missionnaire. Quelques versets plus loin, un autre maître est mis de l’avant : « Agissez en serviteurs/esclaves de Dieu. Honorez tous les hommes, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi. » (1 P 2,16b-17) Malheureusement, le texte ne s’intéresse pas aux cas où le respect des autorités, de Dieu ou des humains ne serait pas alignés.
Soumission des esclaves aux maîtres
Le christianisme naissant n’a pas remis en cause les pratiques d’esclavage. Au contraire, 1 Pierre montre même une justification religieuse à cette pratique qui paraît a posteriori inhumaine.
Serviteurs/esclaves, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres. Car c’est une grâce de supporter, par respect pour Dieu, des peines que l’on souffre injustement. Quelle gloire y a-t-il, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute ? Mais si, après avoir fait le bien, vous souffrez avec patience, c’est là une grâce aux yeux de Dieu. Or, c’est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. (1 P 2,18-21)
Ce passage indique aux esclaves de se soumettre aux mauvais maîtres et de supporter les punitions corporelles injustes par respect pour Dieu. Est-ce que la crucifixion de Jésus est une porte à l’acceptation passive de toutes les souffrances injustes? Si oui, nous sommes avec des « textes de terreurs », une expression de l’exégète féministe Philis Tribble pour désigner les passages bibliques qui dépeignent une violence qui n’est pas condamnée par Dieu. Cette violence inscrite dans nos textes sacrés n’est pas sans influence sur la violence perpétrée par les lecteurs de ceux-ci. L’esclavage, tel que pratiqué dans l’Antiquité, n’existe plus, mais un tel passage ouvre la porte aux justifications des structures d’oppression contemporaines.
Soumission des femmes à leurs maris
La dernière soumission de cette trilogie est un exemple classique du patriarcat, littéralement le pouvoir du père.
Vous, de même, femmes, soyez soumises à vos maris, afin que, même si quelques-uns refusent de croire à la Parole, ils soient gagnés, sans parole, par la conduite de leurs femmes, en considérant votre conduite pure, respectueuse. (1 P 3,1-2)
La justification missionnaire de cette soumission de femmes chrétiennes à leurs maris non chrétiens est très curieuse. Est-ce qu’un mari a vraiment commencé à suivre le Christ en prenant conscience de la conduite irréprochable de sa femme chrétienne? Permettez-moi d’en douter. La suite est une série de pratiques à suivre pour ces femmes : ne pas se tresser les cheveux, ne pas porter des bijoux ou des vêtements élégants, adopter un comportement doux. Et oui, un texte biblique va jusqu’à exhorter les femmes de ne pas se tresser les cheveux. Loin d’être anodin, c’est un exemple clair du contrôle masculin du corps des femmes par un texte biblique.
Et les maris?
Vous les maris, de même, menez la vie commune en tenant compte de la nature plus délicate de vos femmes ; montrez-leur du respect, puisqu’elles doivent hériter avec vous la grâce de la vie, afin que rien n’entrave vos prières. (1 P 3,7)
Les hommes doivent montrer du respect pour leurs femmes, ce qui est bien, mais ceci ne modifie pas le rapport inégal d’autorité. De plus, la traduction de « nature plus délicate des femmes » est plus positive que le grec qui indique littéralement qu’elles sont comme des vases ou contenants faibles ou cassables (asthenesterō skeuei)! Parler des femmes comme de la vaisselle cassable est une formulation aussi essentialiste que misogyne.
Faut-il à tout prix trouver une manière de rendre ce passage lisible pour aujourd’hui? Peut-être qu’il faut arrêter de le lire? Ou alors, il faut privilégier une interprétation critique qui souligne à quel point les textes du Nouveau Testament ont engendré une violence contre les esclaves et les femmes et favorisé l’exercice violent du pouvoir. Les lecteurs bibliques ne lapident plus, ne sacrifient plus d’animaux et ils doivent aussi résister aux textes comme ceux-ci. Cette résistance à la violence des textes du Nouveau Testament peut notamment se faire à partir d’une posture croyante qui cherche à suivre Jésus aujourd’hui.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).