Tête de pharaon. Musée d’art égyptien, Munich (Wikimedia).
Quand Dieu cause des infarctus du myocarde
Sébastien Doane | 26 septembre 2022
Certains récits bibliques indiquent que Dieu durcit le cœur des personnages qui s’opposent à lui. Pourtant, le Dieu biblique n’est-il pas un partisan de la réconciliation, de la deuxième chance et du libre arbitre des humains? Comment comprendre l’endurcissement du cœur?
Dans notre culture, le cœur est le symbole de l’amour par excellence. L’expression « avoir du cœur » montre qu’il représente aussi la générosité, la franchise et le courage. La culture biblique attribue au cœur des fonctions que nous associons au cerveau : l’intelligence, l’imagination, la mémoire et les choix. Le cœur est le lieu des décisions morales et religieuses. Par exemple, on dit d’un juste qu’il est « droit de cœur » (Psaumes 7,11). À l’inverse, lorsque les textes bibliques traitent de mauvais choix, ils utilisent des images reliées à des problèmes du cœur. L’expression biblique consacrée est le durcissement du cœur. Jusqu’ici tout va bien. Le problème se situe dans l’attribution de la responsabilité de ce durcissement du cœur, de ces mauvais choix qui vont à l’encontre de Dieu, de sa parole et ses commandements, et qui engendrent des conséquences négatives sur les autres.
Endurcissement humain
Certains textes rendent les humains responsables de leurs propres actions. C’est en connaissance de cause ou par ignorance qu’ils se sont égarés et qu’ils n’ont pas suivi les commandements divins. Par exemple, le livre du Deutéronome (15,7) montre l’aspect éthique relié au durcissement du cœur : « S’il y a chez toi un pauvre, l’un de tes frères, dans l’une de tes villes, dans le pays que le Seigneur ton Dieu te donne, tu n’endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre. »
Le livre d’Ézéchiel montre comment Dieu peut intervenir pour transformer les cœurs durs : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ez 11,19 ; 36,26)
Endurcissement divin
Curieusement, une autre tradition biblique présente Dieu comme l’origine du durcissement du cœur de personnages qui s’opposent à lui. Le cas du cœur du Pharaon est très intéressant puisqu’on retrouve des versets indiquant que le dirigeant égyptien a durci son propre cœur : « Pourquoi endurciriez-vous votre cœur, comme les Égyptiens et Pharaon ont endurci leur cœur? » (1 S 6,6 ; aussi Ex 7,13.22 ; 8,15 ; 9,35) D’autres passages révèlent que c’est plutôt Dieu qui a durci le cœur du Pharaon : « Le Seigneur endurcit le cœur du Pharaon, qui n’écouta pas Moïse… » (9,12 ; aussi 10,20.27 ; 11,10 ; 14,8).
Deux traditions différentes, voire opposées, coexistent dans le même récit. L’une, pour souligner que la méchanceté du Pharaon est responsable de ses malheurs et de celui de son peuple lorsqu’il n’écoute pas Moïse ou le Dieu qui l’envoie. L’autre pour accentuer l’importance de la souveraineté du Seigneur qui contrôle tout, même le dirigeant le plus puissant.
Jésus et le durcissement du cœur
La même dynamique se retrouve dans le Nouveau Testament lorsque Jésus rencontre des formes d’opposition. En Marc 3,5, dans une controverse au sujet des guérisons de Jésus, celui-ci regarde avec colère ceux qui ont le cœur dur et qui, au verset suivant, cherchent à le faire périr. En Jean, après le récit des signes de Jésus, tout juste avant la passion, l’opposition est expliquée par une citation d’Isaïe (6,9-10) : « La raison pour laquelle ils ne pouvaient croire : Il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur cœur, pour qu’ils ne voient pas de leurs yeux, que leur cœur ne comprenne pas, qu’ils ne se convertissent pas, et je les aurais guéris. » (Jn 12,39-40) Ainsi, l’opposition contre Jésus semble une composante du plan divin. La mission de Jésus n’est pas un échec. Ou plutôt, l’échec qui mène à la crucifixion est prévue par Dieu qui est en contrôle de la situation.
Cholestérol ou ADN?
Les problèmes cardiaques sont multifactoriels ; causés à la fois par des prédispositions génétiques, mais aussi par un haut taux de cholestérol ou par de mauvais choix alimentaires. Il en va de même pour les durcissements de cœurs bibliques. Dans la plupart des cas, il s’agit de mauvaises décisions d’humains qui n’écoutent pas le Seigneur. Cela dit, dans les moments d’échec les plus importants comme l’échec des négociations entre Moïse et Pharaon ou l’échec de la mission de Jésus, il est important pour les auteurs bibliques d’indiquer que Dieu reste en contrôle malgré tout.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).