La destruction de Dagôn devant l’arche. Herbert J. Gute, 1933-1935. Gouache sur papier, 174 x 236 cm. Peinture reproduisant une fresque de la synagogue de Doura-Europos (Yale University Art Gallery).
Offrir des tumeurs et des rats en or pour arrêter une épidémie
Sébastien Doane | 30 mars 2020
La Bible contient des passages qui traitent d’épidémies en tout genre. En ce temps de pandémie, je vous propose un récit biblique insolite dans lequel la présence de l’arche de l’Alliance apporte une épidémie qui sera enraillée par de curieuses méthodes…
L’origine de l’épidémie
En 1 Samuel 5, les Philistins s’emparent de l’arche de l’Alliance et l’apportent à Ashdod dans le temple de Dagôn, une de leurs divinités. Pendant la nuit, devant l’arche, la statue de Dagôn tombe sur sa face. Le lendemain, la statue est redressée, mais dans la nuit suivante, la tête et les mains de Dagôn sont coupées. Puis le malheur frappe une ville philistine après l’autre :
La main du SEIGNEUR s’appesantit sur les Ashdodites, et il fit chez eux des ravages. Il les frappa de tumeurs, Ashdod et son territoire. Quand les gens d’Ashdod virent ce qu’il en était, ils dirent : « Que l’arche du Dieu d’Israël ne reste pas chez nous, car il nous fait sentir trop durement sa main, à nous-mêmes et à Dagôn, notre dieu! » Ils invitèrent tous les tyrans des Philistins à se réunir chez eux et ils leur dirent : « Que pouvons-nous faire à l’arche du Dieu d’Israël ? » Ils répondirent : « C’est à Gath que doit être transférée l’arche du Dieu d’Israël. » Et l’on transféra l’arche du Dieu d’Israël.
Or, après ce transfert, la main du SEIGNEUR fut sur la ville. Il y eut une très grande panique. Le SEIGNEUR frappa les gens de la ville, petits et grands : il leur sortit des tumeurs. Ils envoyèrent l’arche de Dieu à Eqrôn. Mais, dès que l’arche de Dieu arriva à Eqrôn, les Eqronites s’écrièrent : « Ils ont transféré chez moi l’arche du Dieu d’Israël pour me faire périr, moi et mon peuple. » (1 S 5,6-10)
La nature précise du mal est difficile à déterminer. Le mot ici traduit par « tumeurs » est une sorte de boursouflure. Les rabbins en parlent comme des hémorroïdes, alors que des exégètes modernes ont fait des liens avec la peste et d’autres épidémies transmises par des rats, puisque ces animaux auront un rôle dans la suite de l’histoire.
Une solution insolite
Une panique mortelle frappe les villes philistines dévastées par la main de Dieu. « Les gens qui n’étaient pas morts avaient été frappés de tumeurs et le cri de détresse de la ville monta jusqu’au ciel. » (1 S 5,12) Après six mois de cette épidémie, les prêtres et les devins philistins proposent qu’il faut renvoyer l’arche en fournissant une réparation pour espérer la guérison : « D’après le nombre des tyrans des Philistins : cinq tumeurs d’or et cinq rats en or, car c’est un même fléau qui les a tous atteints, ainsi que vos tyrans. Vous ferez donc des images de vos tumeurs et des rats qui dévastaient votre pays et vous rendrez gloire au Dieu d’Israël. Peut-être sa main se fera-t-elle plus légère sur vous, sur vos dieux et sur votre pays. » (1 S 6, 4-5)
Cette réparation n’est pas sans rappeler l’épisode du serpent d’airain (Nb 21,6-9). Dans le désert, le Seigneur demande à Moïse d’ériger un serpent d’airain pour contrer les effets mortels des morsures de serpents. Le remède passe par une représentation de ce qui cause le mal. Ainsi, les tumeurs et les rats en lien avec l’épidémie sont représentés en images et offerts en réparation pour espérer la guérison.
L’épidémie touche aussi Israël
Pour ramener l’arche ainsi que les tumeurs et rats dorés, les Philistins attelèrent un chariot tiré par deux vaches en disant que si elles vont droit à Beth-Shèmesh, une localité israélite, cela indiquera que le Seigneur était à l’origine de tout ce mal. C’est d’ailleurs, ce qui se produit.
À Beth-Shèmesh, l’arrivée de l’arche du Seigneur cause d’abord une réjouissance. Les lévites sacrifient les vaches en holocauste et ils placent les présents en or sur une grosse pierre. Pourtant leur joie se tourne en désolation : « Le SEIGNEUR frappa les gens de Beth-Shèmesh, parce qu’ils avaient regardé l’arche du SEIGNEUR. Parmi le peuple, il frappa soixante-dix hommes – cinquante mille hommes. Le peuple fut dans le deuil, parce que le SEIGNEUR l’avait durement frappé. » (1 S 6,19) L’arche sera alors transférée à Qiryath-Yéarim dans un lieu consacré.
De la « distanciation sociale » à une solidarité sociale
Cet épisode montre que, dans la Bible, les fléaux sont souvent attribués au Seigneur. Ici, la maladie et la mort punissent la prise de l’arche par les Philistins et les Israélites de Beth-Shèmesh qui l’ont regardé. Il n’est pas étonnant que ceux qui tiennent à une interprétation littéraliste ou fondamentaliste de la Bible voient l’épidémie de COVID-19 comme une punition divine. Cela dit, il y a aussi des textes bibliques qui mettent en doute les adéquations rapides de ce genre. Par exemple, si les « amis » de Job comprennent que sa souffrance doit provenir d’un jugement divin de ses péchés, les lecteurs savent que cette explication traditionnelle du mal ne fonctionne pas. Dans les évangiles, on retrouve aussi la croyance que la maladie est reliée aux fautes d’une personne ou de ses parents. Or, en Jean 9, lorsqu’on demande à Jésus qui a péché pour qu’une personne soit aveugle depuis la naissance, Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. » (Jn 9,3) J’espère que les difficultés présentes par cette pandémie deviennent une opportunité pour passer de la « distanciation sociale » à une solidarité sociale qui pourrait manifester les œuvres de Dieu pour un temps qui en a bien besoin.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).